Une centrale nucléaire hors-la-loi, ça fait un peu désordre. Surtout quand lillégalité résulte dune « broutille » administrative. Lhistoire concerne le centre nucléaire de production délectricité du Blayais, basé à Saint-Ciers-sur-Gironde. Pour fonctionner, une centrale doit bénéficier dautorisations administratives, notamment celles de pomper de leau et de rejeter des effluents radioactifs et non radioactifs, liquides et gazeux.
Sur le site du Blayais, lesdites autorisations sont arrivées à échéance le 31 mars 2003. En théorie, EDF na donc plus le droit de pomper les 500 millions de litres deau nécessaires pour le refroidissement de ses quatre réacteurs (dont deux fonctionnent en ce moment, les deux autres étant en révision), ni de rejeter léquivalent en effluents dans lestuaire de la Gironde. En pratique, lentreprise publique sen fiche bien. Elle reconnaît fonctionner sans avoir le droit de le faire mais assure respecter les normes fixées par les autorisations obtenues en 1989. « Cest scandaleux, explique Maître Reulet, avocat de lassociation Tchernoblaye (*), qui a assigné EDF en justice. EDF agit comme un automobiliste privé de permis de conduire qui promettrait de respecter le code de la route. »
Comment EDF a-t-elle pu négliger ces autorisations ? Leur cheminement administratif est long et lentreprise aurait omis de lancer la procédure à temps. Cest la Direction régionale de lindustrie, de la recherche et de lenvironnement (Drire) de lAquitaine qui monte le dossier de la centrale, mais cest un arrêté interministériel (industrie, écologie et santé) qui délivre les fameux imprimatur.
Lassociation Tchernoblaye guettait lexpiration des autorisations délivrées par la préfecture en 1989. Dès le 1er avril, elle assigne lentreprise en justice. « Nous demandions au juge de constater une voie de faits et de stopper lactivité de la centrale », explique Stéphane Lhomme, président de lassociation. Un voeu symbolique quEDF a évité grâce à un ergotage juridique : lassociation sest fait débouter lundi au motif que ses statuts ne prévoient pas la possibilité dengager des poursuites judiciaires. Le jugement rendu précise même que les statuts de Tchernoblaye « nindiquent pas que celle-ci a pour objet spécifique de veiller aux conditions réglementaires applicables aux installations nucléaires ». Comble de lironie, Tchernoblaye est condamnée à payer 610 euros damende.
« Pour nous, il y a un vrai problème de démocratie. EDF nous dit : « Même sans autorisation, je fonctionne. » Ça veut dire quoi ? Nul nest censé ignorer la loi, y compris le lobby nucléaire », sénerve Stéphane Lhomme. Le dossier, désormais en cours dinstruction dans les ministères, se débloquera à la fin de lannée 2003. Dici là, Tchernoblaye aura modifié ses statuts et repartira à lassaut. A moins quEDF ne prépare un nouveau tour de passe-passe juridique pour se défiler. En attendant, la centrale nucléaire du Blayais continuera à fonctionner, en toute illégalité.
Laure Noualhat
(article paru dans Libération du samedi 17 mai 2003)
(*) Tchernoblaye Cinéma Utopia Place Camille-Jullian, 33000 Bordeaux Tel. 05 56 50 00 05 www.tchernoblaye.org
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