Economies d’énergies
Maîtriser les consommations d’énergie, un défi pour nos sociétés de consommation
Les politiques de maîtrise de la demande dénergie sont particulièrement difficiles à mettre en oeuvre dans nos sociétés de consommation, sociétés dabondance par excellence, dans lesquelles se chauffer, séclairer, se déplacer relève de la sphère du confort.
Or, ces éléments de progrès ont une fonction symbolique tellement forte que toute action publique susceptible de les menacer génère, au mieux de lindifférence, au pire de fortes oppositions. Cette observation se trouve confortée par une tendance générale à refuser, puis déplacer les responsabilités. Deux solutions peuvent alors être envisagées : communiquer et agir sur le registre de lefficacité.
Une contrainte forte en matière de maîtrise de la demande dénergie : la crainte de perdre son confort
Lhomme attribue aux objets des fonctions symboliques (une voiture est un moyen de locomotion mais cest aussi un signe de prestige ou un instrument dautonomie). Se priver de ou limiter les usages quil fait de ces objets, cest perdre davantage que les finalités qui leur sont assignées (séclairer renvoie aussi à ambiance, chaleur, luminosité, accueil, esthétique). Cette remarque vaut pour la notion de confort. Lautomobile, le chauffage, léclairage renvoient à des systèmes techniques fiables, performants, efficaces et sans souci ; ce qui caractérise la sphère du confort. Par contre, choisir dutiliser du GPL en guise de carburant pour son automobile, cest sengager à faire le plein plus souvent, à faire leffort den trouver sur des trajets inhabituels, cest se voir interdire le stationnement dans certains parkings couverts utiliser des lampes fluo-compactes, cest accepter de ne pas avoir une lumière instantanée ; se chauffer au bois, cest simposer des contraintes dapprovisionnement et de stockage
La dimension immatérielle de la consommation étant fondamentale, il est nécessaire de bien apprécier le poids de cet ensemble peu maîtrisable que constituent croyances, certitudes, représentations et désirs. Ces quatre dimensions renvoient en fait à quatre univers qui fragilisent lefficacité de toute politique publique : lindividu se caractérise en effet par sa subjectivité (la notion de confort est, par exemple, tout à fait personnelle). Il se distingue ensuite par sa culture qui renvoie à des valeurs relatives, par exemple, au bien et au mal et qui concerne notamment lintérêt que lindividu peut accorder à ses façons de consommer lénergie. Il est le plus souvent imprévisible et surtout vulnérable (au sens où il est sensible à lesthétique, aux signes distinctifs et quil peut se laisser séduire par une technologie aux antipodes de ses valeurs, sous leffet dun simple coup de cur).
Le jeu dune double culture : la culture du déni et la culture de la délégation (1)
Sur le principe du cest pas moi, cest lautre, le consommateur tend à rejeter la responsabilité des pollutions, comme celle des fortes consommations dénergie, en direction de ses concitoyens, du marché et des pouvoirs publics : Responsable peut-être, mais pas coupable. Deux registres culturels sont alors mobilisés : celui du déni et celui de la délégation.
En ce qui concerne lautomobiliste par exemple, même sil déclare avoir conscience des problèmes de pollution, on ne lobserve guère actif dans la pratique (montée en gamme, parc automobile qui vieillit, attrait pour les options polluantes (climatisation), peu de report modal...). Or ce constat peut être généralisé à tous les systèmes techniques consommateurs dénergie : si des efforts individuels doivent être envisagés, le consommateur tend à considérer que dautres, plus responsables (propriétaires de vieilles voitures, de voitures essence, de grosses cylindrées...) ou ayant moins besoin de leur voiture, peuvent sy soumettre.
Il est plutôt réfractaire aux mesures qui touchent les habitudes de conduite (limitations de vitesse par exemple) et les usages de la voiture (interdiction de circuler en ville, hausse du prix des parkings en centre ville ...). Ces mesures font appel à un certain civisme et saccompagnent dun contrôle social (radars, présence de gendarmes sur les bords de routes, contraventions...). Elles restent contournables : la crainte de la sanction ne suffit pas à contraindre les automobilistes à les respecter et tout le monde peut potentiellement appuyer sur laccélérateur (ne serait-ce quen cas durgence, ou pour le plaisir de jouer avec les règles...).
De même, il rejette fortement les mesures économiques (taxation des carburants conventionnels) alors quil reste sensible aux mesures incitatives (prime à lachat ou prime à la casse) qui présentent un intérêt financier direct. En fait, il tend à se réfugier derrière les mesures réglementaires qui sadressent aux constructeurs (pose obligatoire du pot catalytique, bridage des véhicules, amélioration des systèmes de carburation) ; mesures qui ne laissent aucune prise au libre arbitre et présentent lavantage de simposer indifféremment à tous. La perception différenciée de ces mesures conduit lautomobiliste à procéder à une sorte de hiérarchisation des contraintes à supporter. Il est dautant plus prêt à accepter ces contraintes quelles sont intégrées à lamont (dès la construction des véhicules) : il délègue aux concepteurs des voitures et à lEtat (premiers responsables de la mise sur le marché de voitures polluantes) le soin de résoudre le problème de la pollution automobile ; observation que lon peut sans peine extrapoler à lensemble des pratiques sociales consommatrices dénergie.
Lutilité et lefficacité comme ressorts de laction
Intégrer le souci de modérer ses consommations dénergie renvoie à deux paramètres supplémentaires que sont la motivation (cest ce qui donne du sens à lacte) et lengagement (le passage à lacte). Mais quest ce qui peut motiver un consommateur ? Deux types de jugements vont alors intervenir : un jugement dutilité qui peut concerner le côté technique, social, économique ou environnemental de la démarche et un jugement defficacité qui se traduit par lattente de résultats concrets (économie financière, praticité, réduction effective des gaz à effet de serre ). Maîtriser la demande dénergie requiert de devoir maximiser ces fonctions dutilité et defficacité pour susciter lintérêt.
Réduire ou modifier ses besoins en électricité, une démarche à médiatiser
Les dispositifs qui visent à orienter les comportements dachat vers des systèmes techniques moins consommateurs dénergie (primes, étiquettes), souffrent de ne pas être accompagnés de dispositifs de médiatisation suffisamment performants. Médiatiser renvoie par exemple aux actions de promotion sur les lieux de vente grâce à limplication des vendeurs et/ou des mini-expositions sur la maîtrise de la demande dénergie. Médiatiser renvoie aussi aux efforts de certains installateurs qui profitent dun diagnostic énergie pour proposer des solutions alternatives (solaire ). Cela rappelle les efforts de communication sur la question engagés par certaines sociétés de vente par correspondance dans leurs catalogues. Médiatiser sapparente sur un autre registre, à laction des « ambassadeurs du tri » qui, promus par la société « Eco-emballages », font du porte à porte pour expliquer comment et pourquoi trier ses déchets ménagers.
Médiatiser cest faire connaître et informer dans un langage et en des termes accessibles à lensemble du public ciblé, tout en faisant référence à un univers familier. Cette opération peut reposer sur une action de traduction vers des enjeux personnels qui rejoignent les fonctions dutilité et defficacité : communément nommée « technique du gendarme couché » qui consiste à déplacer les buts ou les objectifs de laction publique (2) (maîtriser la demande dénergie). Le procédé consiste à agir sur un registre auquel lindividu est sensible (léconomie financière) pour atteindre, par effet dagrégation des comportements individuels, un objectif qui est en réalité environnemental (consommer moins dénergie totale). Ainsi, cest en jouant sur les processus affectifs et conatifs (qui concernent la mobilisation) quil devient envisageable dattirer lintérêt et dinitier des changements de pratiques (3).
Marie-Christine Zelem
Maître de conférences en sociologie
Contact : Marie-Christine Zelem - Laboratoire CERTOP-CNRS, Maison de la Recherche, Université de Toulouse-Le Mirail, 5 allées Antonio Machado 31058 TOULOUSE cedex 1
(1) N. GOLOVTCHENKO, M.-C ZELEM, « La lutte contre les pollutions automobiles : la place des usagers. Première partie : les usages sociaux de lautomobile », Toulouse, CERTOP-CNRS, rapport au Conseil Régional de Midi-Pyrénées, octobre 2001, p.23.
(2) M. CALLON, « Eléments pour une sociologie de la traduction : La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de Saint-Brieux », LAnnée sociologique (36), 1986.
(3) C. DEJOURS, Le facteur humain, Paris, PUF, coll : « Que sais-je ? », 1995, p. 21