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Sortir du nucléaire n°83



Automne 2019

Dossier : Déchets radioactifs, une gestion illusoire

L’échec technologique de Cigéo

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°83 - Automne 2019

 Déchets radioactifs  Bure - CIGEO


Cigéo est un projet complexe sur lequel quatre questions essentielles et permanentes se posent : Pourquoi Cigéo, pour quelle utilité et avec quels objectifs ? L’implantation et les raisons de l’argile en roche hôte ? Comment, avec quelle approche conceptuelle et avec quels risques associés ? Combien, pour quel coût et avec quels aléas ?



Pourquoi Cigéo ?

Cigéo se veut être la solution pour ne pas laisser reposer sur les générations futures le fardeau des déchets Haute Activité (HA-VL) et Moyenne Activité à Vie Longue (MA-VL) générés par l’industrie nucléaire (recherche, production, démantèlement). Cette définition, simple en apparence, recèle en réalité une condition, absente des débats, qui présuppose la poursuite de la production électronucléaire française.

L’inventaire des déchets à destination de Cigéo ainsi que la conception du projet, excluent la prise en compte des combustibles usés (CU). Ces matières seraient valorisées dans un hypothétique futur parc de type réacteur à neutrons rapides (RNR) après le développement et le démantèlement d’un parc de réacteurs pressurisés européens (EPR) dont on connaît les déboires du seul premier exemplaire français à Flamanville.

De ce fait, Cigéo ne répond que marginalement à sa destination en ne prenant en compte qu’environ 13% des matières HA-VL dans le cadre du scénario, bien plus réaliste, de non développement d’un futur parc RNR [1] .

L’implantation et le choix de l’argile pour Cigéo ?

Cigéo est né à la suite de la Loi Bataille du 30 décembre 1991 dans laquelle l’enfouissement a été privilégié avec le choix d’implanter un laboratoire à Bure en 1998 [2] . Ce choix impose alors l’argile comme roche hôte confirmant l’enfouissement dans ce seul site d’étude.

C’était opter pour une roche peu appropriée au projet. L’argile est saturée en eau (7 à 8 %) conduisant sous l’effet des forts rayonnements à une radiolyse de l’eau, à la génération d’hydrogène et de deux radicaux (H+ et OH-) très corrosifs pour les métaux. C’est par ailleurs une roche non autoporteuse nécessitant des soutènements doublés de structures métalliques [3] . L’argile développe par ces deux caractéristiques (eau et friabilité) une corrosion massive générant des milliers de m3 d’hydrogène par an, gaz extrêmement mobile, inflammable et explosif.

C’était également faire le choix, par la nature sédimentaire de la roche, d’une couche hôte en pente (1 à 2 %) et d’eau circulante dans le plafond. La nature argileuse induit à nouveau des contraintes techniques très délicates (horizontalité et étanchéité) pour une installation industrielle souterraine aussi étendue [4] .

© NDDL Poursuivre Ensemble - 5 mai 2019, contre le projet de poubelle nucléaire à La-Barre-de-Mont (85)

Comment, et sous quelle approche conceptuelle ?

Il s’avère alors nécessaire de mettre en place des soutènements à l’épreuve du temps et une impérieuse et massive évacuation de l’hydrogène en période d’exploitation.

Le coût du volume utile de stockage à 490 m de profondeur atteindra des sommets. Les colis ne seront donc pas dotés de protections radiologiques lors de leur mise en alvéole afin de diminuer le volume à stocker.

Il sera alors impossible de pénétrer dans une alvéole ou d’intervenir sur la structure de l’alvéole. Elles seront irradiantes dès le stockage du premier colis. Pour ces mêmes raisons, il est décidé de développer des alvéoles MA-VL peu nombreuses (50), mais d’une longueur de 450 m et de 9 m de diamètre. La nouvelle équipe a récemment décidé de passer à 22 alvéoles de plus de 900 m et de 12 m de diamètre. On comprendra aisément que cela entraînera un risque multiplicatif d’incident avec la présence de près de 10 000 colis par alvéole.

Quatre facteurs de risques pourraient donc contribuer au développement d’un incendie. La présence de deux combustibles : l’hydrogène (1 m3 équivaut à 2 kg de TNT en puissance explosive), le bitume par la présence de colis bitumineux (9 700 tonnes de bitume pur), un comburant essentiel : l’oxygène dans la forte ventilation de l’installation (500 à 600 m3/s), et les étincelles des batteries et des processus de friction au sein de l’exploitation.

Un incendie s’avère alors quasi certain, et il est très difficile d’imaginer les possibilités de prévention et de maîtrise dans ces 265 km de galeries et alvéoles. Celui-ci entraînerait une contamination à court terme des puits et de l’environnement de l’est de la France, et contaminerait les cours d’eau de l’ouest du bassin parisien, et bien entendu à terme, une migration des radioéléments s’effectuerait de l’installation vers les aquifères [5] de ce même bassin.

Combien, et avec quels aléas ?

Il est très difficile de chiffrer un projet qui s’étend sur plus de 150 ans d’exploitation, mais il convient de respecter des règles simples d’évaluation. Dans son processus probabiliste de 2014 l’Andra aboutit à 32,8 Mrds d’€ (conditions économiques de janvier 2012) avec des risques de surcoûts et des opportunités d’optimisation.

En considérant un inventaire actualisé prenant en compte les combustibles usés, les optimisations envisagées (-2,1 Mrds d’€), et les sous-estimations [6] (+ 3,3 Mrds d’€), le projet atteint 105 milliards d’euros sans même considérer une part d’aléas [7] . Si on applique la fourchette d’estimation des coûts indiquée par l’Andra (- 20% à + 40%), on arrive en final à un coût de projet s’établissant entre 84 et 147 milliards d’euros.

En conclusion, il apparaît que ce projet d’enfouissement ne répond pas à ses objectifs, ne peut pas se réaliser dans de l’argile, reste éminemment risqué, n’est pas réversible et ne peut pas être financé. Il ressort après trois décennies d’étude que son élboration, sa planification et son engagement législatif sont plutôt justifiés par un besoin de communication sur l’existence d’une solution à ces déchets, bien que largement hors d’atteinte et caduque, afin de permettre politiquement la poursuite du programme de production électronucléaire français.

Bernard Thuillier

© AdobeStock

Échec juridique de Cigéo : petite histoire de la lutte

L’histoire de la lutte juridique contre Cigéo remonte à près de 30 ans. En 1993, la Haute-Marne et la Meuse déposent leur candidature pour l’implantation d’un laboratoire de recherches souterrain sur le stockage des déchets radioactifs. Le CDR 55 et l’Association des élus meusiens et haut-marnais, opposés à cette implantation, vont alors être à l’origine d’une première salve d’actions en justice.

Le 3 août 1999, un décret autorise officiellement l’Andra à installer et exploiter à Bure un laboratoire souterrain. Cette autorisation est prorogée fin 2006 et sera renouvelée en 2011. En parallèle, une loi du 28 juin 2006 fixe un calendrier pour la mise en exploitation d’un centre de stockage réversible en couche géologique profonde.

En mai 2013, six associations assigneront l’Andra en justice concernant sa dissimulation fautive du potentiel géothermique du site de Bure. C’est par le biais de cette action qu’un groupe juridique informel se met en place. Depuis, différents recours ont été intentés. Ainsi, la sous-évaluation des coûts de Cigéo par le Ministère de l’Écologie a fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État.

En outre, un certain nombre d’actions en justice ont été menées autour du Bois Lejuc à Mandres-en-Barrois, enjeu stratégique pour la réalisation du projet. La plus emblématique est, pour l’heure, celle menée en 2016, alors que le bois faisait l’objet d’une occupation de terrain. Un référé afin de faire suspendre les travaux illégaux entrepris par l’Andra dans ce bois avait été déposé. Le 1er août 2016, le tribunal de Bar-le-Duc donnera raison aux opposants et mettra fin aux travaux alors initiés. Cette victoire sera confirmée en appel en mai 2017. Le projet n’est toutefois pas abandonné et le combat est donc encore loin d’être terminé... Gageons que de nouvelles victoires en justice seront obtenues !

Marie Frachisse


Notes

[1L’annonce de la suspension du projet ASTRID à la fin de l’été, confirme cette hypothèse.

[2Voir à ce sujet l’article paru dans le n°80 de la Revue Sortir du nucléaire, pages 5-6.

[3Des centaines de milliers de tonnes.

[4Plusieurs dizaines de km2 avec environ 265 km de galeries et alvéoles.

[5Aquifère : formation géologique, poreuse ou fissurée et perméable stockant de grandes quantités d’eau circulante.

[6Coûts de retours d’expérience en génie civil moyens (990 M€), coûts en énergie (1 750 M€), démantèlement de bâtiments similaires (353 M€), remplacement plus rapide du matériel informatique, etc.

[7Les aléas d’un tel projet ont été arrêtés de 0 à 5% alors que le tunnel sous la Manche a été augmenté de 64%, l’EPR à minima d’un facteur 3, et le WIPP (site du Nouveau Mexique aux USA) d’un facteur 19, voire plus.

Pourquoi Cigéo ?

Cigéo se veut être la solution pour ne pas laisser reposer sur les générations futures le fardeau des déchets Haute Activité (HA-VL) et Moyenne Activité à Vie Longue (MA-VL) générés par l’industrie nucléaire (recherche, production, démantèlement). Cette définition, simple en apparence, recèle en réalité une condition, absente des débats, qui présuppose la poursuite de la production électronucléaire française.

L’inventaire des déchets à destination de Cigéo ainsi que la conception du projet, excluent la prise en compte des combustibles usés (CU). Ces matières seraient valorisées dans un hypothétique futur parc de type réacteur à neutrons rapides (RNR) après le développement et le démantèlement d’un parc de réacteurs pressurisés européens (EPR) dont on connaît les déboires du seul premier exemplaire français à Flamanville.

De ce fait, Cigéo ne répond que marginalement à sa destination en ne prenant en compte qu’environ 13% des matières HA-VL dans le cadre du scénario, bien plus réaliste, de non développement d’un futur parc RNR [1] .

L’implantation et le choix de l’argile pour Cigéo ?

Cigéo est né à la suite de la Loi Bataille du 30 décembre 1991 dans laquelle l’enfouissement a été privilégié avec le choix d’implanter un laboratoire à Bure en 1998 [2] . Ce choix impose alors l’argile comme roche hôte confirmant l’enfouissement dans ce seul site d’étude.

C’était opter pour une roche peu appropriée au projet. L’argile est saturée en eau (7 à 8 %) conduisant sous l’effet des forts rayonnements à une radiolyse de l’eau, à la génération d’hydrogène et de deux radicaux (H+ et OH-) très corrosifs pour les métaux. C’est par ailleurs une roche non autoporteuse nécessitant des soutènements doublés de structures métalliques [3] . L’argile développe par ces deux caractéristiques (eau et friabilité) une corrosion massive générant des milliers de m3 d’hydrogène par an, gaz extrêmement mobile, inflammable et explosif.

C’était également faire le choix, par la nature sédimentaire de la roche, d’une couche hôte en pente (1 à 2 %) et d’eau circulante dans le plafond. La nature argileuse induit à nouveau des contraintes techniques très délicates (horizontalité et étanchéité) pour une installation industrielle souterraine aussi étendue [4] .

© NDDL Poursuivre Ensemble - 5 mai 2019, contre le projet de poubelle nucléaire à La-Barre-de-Mont (85)

Comment, et sous quelle approche conceptuelle ?

Il s’avère alors nécessaire de mettre en place des soutènements à l’épreuve du temps et une impérieuse et massive évacuation de l’hydrogène en période d’exploitation.

Le coût du volume utile de stockage à 490 m de profondeur atteindra des sommets. Les colis ne seront donc pas dotés de protections radiologiques lors de leur mise en alvéole afin de diminuer le volume à stocker.

Il sera alors impossible de pénétrer dans une alvéole ou d’intervenir sur la structure de l’alvéole. Elles seront irradiantes dès le stockage du premier colis. Pour ces mêmes raisons, il est décidé de développer des alvéoles MA-VL peu nombreuses (50), mais d’une longueur de 450 m et de 9 m de diamètre. La nouvelle équipe a récemment décidé de passer à 22 alvéoles de plus de 900 m et de 12 m de diamètre. On comprendra aisément que cela entraînera un risque multiplicatif d’incident avec la présence de près de 10 000 colis par alvéole.

Quatre facteurs de risques pourraient donc contribuer au développement d’un incendie. La présence de deux combustibles : l’hydrogène (1 m3 équivaut à 2 kg de TNT en puissance explosive), le bitume par la présence de colis bitumineux (9 700 tonnes de bitume pur), un comburant essentiel : l’oxygène dans la forte ventilation de l’installation (500 à 600 m3/s), et les étincelles des batteries et des processus de friction au sein de l’exploitation.

Un incendie s’avère alors quasi certain, et il est très difficile d’imaginer les possibilités de prévention et de maîtrise dans ces 265 km de galeries et alvéoles. Celui-ci entraînerait une contamination à court terme des puits et de l’environnement de l’est de la France, et contaminerait les cours d’eau de l’ouest du bassin parisien, et bien entendu à terme, une migration des radioéléments s’effectuerait de l’installation vers les aquifères [5] de ce même bassin.

Combien, et avec quels aléas ?

Il est très difficile de chiffrer un projet qui s’étend sur plus de 150 ans d’exploitation, mais il convient de respecter des règles simples d’évaluation. Dans son processus probabiliste de 2014 l’Andra aboutit à 32,8 Mrds d’€ (conditions économiques de janvier 2012) avec des risques de surcoûts et des opportunités d’optimisation.

En considérant un inventaire actualisé prenant en compte les combustibles usés, les optimisations envisagées (-2,1 Mrds d’€), et les sous-estimations [6] (+ 3,3 Mrds d’€), le projet atteint 105 milliards d’euros sans même considérer une part d’aléas [7] . Si on applique la fourchette d’estimation des coûts indiquée par l’Andra (- 20% à + 40%), on arrive en final à un coût de projet s’établissant entre 84 et 147 milliards d’euros.

En conclusion, il apparaît que ce projet d’enfouissement ne répond pas à ses objectifs, ne peut pas se réaliser dans de l’argile, reste éminemment risqué, n’est pas réversible et ne peut pas être financé. Il ressort après trois décennies d’étude que son élboration, sa planification et son engagement législatif sont plutôt justifiés par un besoin de communication sur l’existence d’une solution à ces déchets, bien que largement hors d’atteinte et caduque, afin de permettre politiquement la poursuite du programme de production électronucléaire français.

Bernard Thuillier

© AdobeStock

Échec juridique de Cigéo : petite histoire de la lutte

L’histoire de la lutte juridique contre Cigéo remonte à près de 30 ans. En 1993, la Haute-Marne et la Meuse déposent leur candidature pour l’implantation d’un laboratoire de recherches souterrain sur le stockage des déchets radioactifs. Le CDR 55 et l’Association des élus meusiens et haut-marnais, opposés à cette implantation, vont alors être à l’origine d’une première salve d’actions en justice.

Le 3 août 1999, un décret autorise officiellement l’Andra à installer et exploiter à Bure un laboratoire souterrain. Cette autorisation est prorogée fin 2006 et sera renouvelée en 2011. En parallèle, une loi du 28 juin 2006 fixe un calendrier pour la mise en exploitation d’un centre de stockage réversible en couche géologique profonde.

En mai 2013, six associations assigneront l’Andra en justice concernant sa dissimulation fautive du potentiel géothermique du site de Bure. C’est par le biais de cette action qu’un groupe juridique informel se met en place. Depuis, différents recours ont été intentés. Ainsi, la sous-évaluation des coûts de Cigéo par le Ministère de l’Écologie a fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État.

En outre, un certain nombre d’actions en justice ont été menées autour du Bois Lejuc à Mandres-en-Barrois, enjeu stratégique pour la réalisation du projet. La plus emblématique est, pour l’heure, celle menée en 2016, alors que le bois faisait l’objet d’une occupation de terrain. Un référé afin de faire suspendre les travaux illégaux entrepris par l’Andra dans ce bois avait été déposé. Le 1er août 2016, le tribunal de Bar-le-Duc donnera raison aux opposants et mettra fin aux travaux alors initiés. Cette victoire sera confirmée en appel en mai 2017. Le projet n’est toutefois pas abandonné et le combat est donc encore loin d’être terminé... Gageons que de nouvelles victoires en justice seront obtenues !

Marie Frachisse



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