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Sortir du nucléaire n°83



Automne 2019

Dossier : Déchets radioactifs, une gestion illusoire

La mémoire, talon d’Achille du nucléaire

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°83 - Automne 2019

 Culture antinucléaire  Déchets radioactifs  Bure - CIGEO


Alors qu’un siècle a suffi pour faire oublier le danger, pourtant encore réel, des rebuts de 14-18, comment croire que notre mémoire permettra de maintenir la vigilance des générations futures autour des déchets nucléaires qui resteront dangereux pour des millénaires ?



Lorsque j’ai commencé à enquêter sur les séquelles environnementales de la Grande Guerre, j’étais loin d’imaginer que ce travail me plongerait au cœur de la question des déchets nucléaires. L’actualité a donné un nouveau tour à mes recherches durant l’été 2015, lorsque les productions de lait et de céréales de sept exploitations agricoles du département de la Meuse ont été détruites pour cause de suspicion de pollution par des résidus de munitions toxiques de 14-18. Cette résurgence de substances dangereuses a permis la redécouverte d’un gigantesque complexe industriel de récupération et destruction de munitions installé dans les années 1920 aux alentours du petit village de Muzeray, totalement oublié.

En tentant de comprendre les mécanismes de cet oubli, j’ai découvert que 1 500 000 obus chimiques et 300 000 obus explosifs ont été détruits là contre l’avis de la population. Tout indique que ce territoire, dont la population déjà pauvre et de faible densité avant guerre, a été choisi en fonction de ces critères pour servir de poubelle à d’autres régions. L’usine de désobusage, reconnue comme un établissement insalubre et dangereux, fut imposée à la population locale malgré son opposition et celle de ses élus, exprimée pourtant par les voies légales. Par la suite, des ouvriers étrangers sous-payés accomplissaient les tâches dangereuses du démantèlement des munitions, jusqu’à ce que l’exploitant privé disparaisse, aux environs de 1925, dans des circonstances troubles... Cette histoire est un des premiers cas d’études historiques et scientifiques offrant un cadre de réflexion sur le destin et la mémoire des déchets toxiques à moyen et long terme.

© Frederic Pauwels

Alors que je donnais des conférences pour rendre une partie de leur histoire aux habitants du département de la Meuse, une de leurs réactions m’a interpelée : “Cent ans ont passé, mais l’histoire continue : aujourd’hui, c’est chez nous que certains veulent enfouir les pires déchets nucléaires de la France.“ Récurrente, cette réflexion m’a poussée à m’intéresser au projet de stockage géologique mené par l’ANDRA à Bure. De nombreuses similitudes sont apparues entre les deux histoires : dépassement technologique, urgences économiques et de sécurité, intérêts de lobbys industriels, dénis de démocratie, injustices commises vis-à-vis de populations abandonnées à leur sort...

Au travers de la mise en perspective du projet d’enfouissement de déchets radioactifs à Bure et de la pollution liée aux munitions toxiques “gérées“ dans les années 1920 à Muzeray, mon film tente d’inciter le plus large public possible à explorer les liens entre la mémoire collective et les processus de décisions utilisés pour mettre en place des projets dont les retombées s’étendent à long terme sur un territoire. La culture du secret entourant l’industrie nucléaire implique les pratiques décisionnelles les moins démocratiques de notre société, ce qui laisse augurer des pires biais de mémoire.

Isabelle Masson-Loodts
réalisatrice du documentaire, “Un héritage empoisonné“

Lorsque j’ai commencé à enquêter sur les séquelles environnementales de la Grande Guerre, j’étais loin d’imaginer que ce travail me plongerait au cœur de la question des déchets nucléaires. L’actualité a donné un nouveau tour à mes recherches durant l’été 2015, lorsque les productions de lait et de céréales de sept exploitations agricoles du département de la Meuse ont été détruites pour cause de suspicion de pollution par des résidus de munitions toxiques de 14-18. Cette résurgence de substances dangereuses a permis la redécouverte d’un gigantesque complexe industriel de récupération et destruction de munitions installé dans les années 1920 aux alentours du petit village de Muzeray, totalement oublié.

En tentant de comprendre les mécanismes de cet oubli, j’ai découvert que 1 500 000 obus chimiques et 300 000 obus explosifs ont été détruits là contre l’avis de la population. Tout indique que ce territoire, dont la population déjà pauvre et de faible densité avant guerre, a été choisi en fonction de ces critères pour servir de poubelle à d’autres régions. L’usine de désobusage, reconnue comme un établissement insalubre et dangereux, fut imposée à la population locale malgré son opposition et celle de ses élus, exprimée pourtant par les voies légales. Par la suite, des ouvriers étrangers sous-payés accomplissaient les tâches dangereuses du démantèlement des munitions, jusqu’à ce que l’exploitant privé disparaisse, aux environs de 1925, dans des circonstances troubles... Cette histoire est un des premiers cas d’études historiques et scientifiques offrant un cadre de réflexion sur le destin et la mémoire des déchets toxiques à moyen et long terme.

© Frederic Pauwels

Alors que je donnais des conférences pour rendre une partie de leur histoire aux habitants du département de la Meuse, une de leurs réactions m’a interpelée : “Cent ans ont passé, mais l’histoire continue : aujourd’hui, c’est chez nous que certains veulent enfouir les pires déchets nucléaires de la France.“ Récurrente, cette réflexion m’a poussée à m’intéresser au projet de stockage géologique mené par l’ANDRA à Bure. De nombreuses similitudes sont apparues entre les deux histoires : dépassement technologique, urgences économiques et de sécurité, intérêts de lobbys industriels, dénis de démocratie, injustices commises vis-à-vis de populations abandonnées à leur sort...

Au travers de la mise en perspective du projet d’enfouissement de déchets radioactifs à Bure et de la pollution liée aux munitions toxiques “gérées“ dans les années 1920 à Muzeray, mon film tente d’inciter le plus large public possible à explorer les liens entre la mémoire collective et les processus de décisions utilisés pour mettre en place des projets dont les retombées s’étendent à long terme sur un territoire. La culture du secret entourant l’industrie nucléaire implique les pratiques décisionnelles les moins démocratiques de notre société, ce qui laisse augurer des pires biais de mémoire.

Isabelle Masson-Loodts
réalisatrice du documentaire, “Un héritage empoisonné“



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