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Des accidents nucléaires partout

France : Cruas : Un diesel qui fume

EDF valide les essais de fonctionnement un peu rapidement




13 août 2021


À la centrale nucléaire de Cruas (Drôme), EDF valide les essais obligatoires pour vérifier le bon fonctionnement de ses équipements un peu trop rapidement. Même lorsque ceux-ci sont essentielles pour éviter les accidents majeurs.
Un des moteurs diesels, chargé de fournir de l’électricité au réacteur nucléaire n°4 en cas de coupure de courant, a été considéré comme apte à fonctionner alors qu’il dégageait de la fumée lors d’un essai. En réalité, il n’aurait pas pu fonctionner bien longtemps s’il avait été sollicité pour de vrai.


Le 9 juillet 2021, lorsque les équipes d’EDF testent un des 2 moteurs diesel  [1] du réacteur 4, le groupe électrogène dégage de la fumée. Les équipes considèrent quand même que l’essai est validé. Faisant preuve de bon sens, l’industriel se dit qu’il y a quand même matière à vérifier d’où vient cette fumée. Mais les vérifications, EDF les fera à froid, alors que le moteur est arrêté et ne fonctionne pas. Plein de bon sens industriel avons-nous dit ?

Un mois plus tard, le 6 août, nouvel essai obligatoire de bon fonctionnement sur le même groupe électrogène  [2]. Comme la dernière fois, le moteur fume. Cette fois, l’industriel poussera un peu plus loin ses vérifications. Et trouvera d’où vient le problème : l’absence d’un collier au niveau d’un compensateur d’échappement du moteur.

D’où vient ce problème, pourquoi ce collier était absent, depuis quand ? Aucune précision n’est apportée par l’exploitant. Mais ce collier manquant faisait qu’en fait le groupe électrogène n’aurait pas pu fonctionner bien longtemps s’il avait été sollicité. Il n’aurait donc pas pu fournir l’électricité nécessaire au refroidissement du réacteur ni aux systèmes élémentaires qui doivent rester fonctionnels dans toutes les situations (les systèmes dits de sauvegarde, qui doivent permettre de garder le contrôle du réacteur et de limiter les conséquences d’un accident grave à l’extérieur de la centrale). Heureusement, il n’y a pas eu de coupure d’électricité sur le réacteur 4 de la centrale nucléaire de Cruas en juillet, pas de conséquences réelles à cet incident souligne donc EDF. Mais à faire ses essais un peu trop rapidement, sans pousser suffisamment loin ses questionnements alors même qu’il y a un dysfonctionnement manifeste, l’industriel augmente les risques que génère son usine nucléaire. Des risques encourus par les travailleurs, les populations et l’environnement.

Ce n’est pas la première fois sur le site nucléaire de Cruas qu’EDF va un peu trop vite en besogne et considère que tout marche parfaitement dans son installation alors que ce n’est pas le cas. Le circuit d’injection de sécurité a par exemple été requalifié par l’industriel après une intervention d’entretien, mais il s’est avéré plusieurs semaines après qu’il ne fonctionnait pas. Là encore, heureusement qu’il n’y a pas eu de brèche dans le circuit primaire du réacteur dans ce laps de temps et pas eu besoin d’utiliser ce circuit. Là aussi, précipitation, manque d’application lors des interventions et de vérifications suffisamment poussées. Et au final, un industriel qui a en tête une représentation erronée, une image de ce qui y fonctionne et ne fonctionne pas dans son installation qui n’est pas du tout conforme à la réalité.
En juillet encore, c’est cette fois une vanne fermée qui n’aurait pas dû l’être, que personne n’a repérée et qui a mis hors service ce même circuit, mais sur un autre réacteur nucléaire du site. Début août, le réacteur 1 s’est arrêté en urgence car la puissance produite ne pouvait plus être évacuée à cause d’une connectique défectueuse, elle aussi passée entre les mailles des contrôles matériels de l’industriel. Sans parler de rejets radioactifs dans l’air, plus importants que ce qui est autorisé, mais qui ne sont découverts qu’après-coup, une fois que tout est terminé. Avec autant de laxisme, de ratés et d’imprécisions, comment EDF peut prétendre être capable de maîtriser les risques générés par ses réacteurs nucléaires ? Un manque de sérieux, de bon sens et des difficultés d’exploitation qui sont à chaque fois à l’origine d’incidents significatifs [3] (pour une revue des derniers incidents à Cruas, voir l’encadré à droite de cet article).

L.B.

Ce que dit EDF :

Détection tardive de l’indisponibilité d’un diesel de secours

Evénement sûreté

Publié le 13/08/2021

Le 9 juillet 2021, les équipes de la centrale procèdent à un essai de bon fonctionnement [4] sur un groupe électrogène de secours (aussi appelé « diesel de secours ») de l’unité n°4, en production.

Durant cet essai, les intervenants constatent le dégagement de légères fumerolles, au-dessus du diesel de secours. Les paramètres de fonctionnement étant conformes aux critères fixés par les règles générales d’exploitation, l’essai est terminé et déclaré satisfaisant. Un premier diagnostic est ensuite mené pour déterminer l’origine des fumerolles mais aucun écart matériel n’est constaté. Il est décidé de procéder à un nouveau diagnostic lorsque le diesel sera à nouveau en fonctionnement lors du prochain essai. Ce dernier est réalisé le 6 août et se déroule aussi de manière conforme. Le jour même, à l’issue de l’essai, la cause de l’apparition des fumerolles est déterminée. Les équipes engagent la réparation avec la remise en place du collier du collecteur d’échappement à l’origine de ce dégagement. La réparation est achevée le 7 août 2021 et le diesel de secours est requalifié. Les analyses approfondies montrent alors qu’en cas de sollicitation, le groupe électrogène aurait pu ne pas être en mesure d’assurer pleinement ses fonctions d’alimentation, et ce depuis l’essai du 9 juillet 2021.

Cet événement n’a eu aucun impact sur la sûreté des installations ou l’environnement, d’autres sources d’alimentation électriques de secours étant toujours disponibles. En raison du caractère tardif de la détection de l’indisponibilité du diesel de secours, la direction de la centrale de Cruas-Meysse a déclaré le 12 août 2021 à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif sûreté de niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/detection-tardive-de-l-indisponibilite-d-un-diesel-de-secours


Ce que dit l’ASN :

Détection tardive de l’indisponibilité d’un groupe électrogène de secours à moteur diesel

Publié le 13/08/2021

Centrale nucléaire de Cruas-Meysse - Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 12 août 2021, l’exploitant de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire un événement significatif pour la sûreté relatif à l’indisponibilité d’un des deux groupes électrogènes à moteur diesel de secours du réacteur 4.

Chaque réacteur à eau sous pression est équipé de deux groupes électrogènes de secours à moteur diesel qui assurent de façon redondante l’alimentation électrique des deux voies indépendantes des systèmes de sauvegarde du réacteur, dites voie A et voie B. A la suite de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, un troisième groupe électrogène de secours, plus résistant aux agressions externes, a été installé : il s’agit du diesel d’ultime secours (DUS).

Le 9 juillet 2021, alors que le groupe électrogène de secours à moteur diesel de la voie A était démarré dans le cadre d’un essai périodique, un léger dégagement de fumée a été constaté dans le local. L’équipe de quart a considéré que ce dégagement de fumée ne remettait pas en cause le résultat satisfaisant de l’essai. Néanmoins, elle a sollicité le service métier afin de déterminer l’origine de ce dégagement de fumée. Les investigations menées, moteur diesel à l’arrêt, n’ont pas mis en évidence d’anomalie et un nouveau diagnostic a été planifié lors de la réalisation d’un prochain essai périodique.

Le 6 août 2021, dans le cadre d’un essai périodique, le démarrage du groupe électrogène a de nouveau conduit à un léger dégagement de fumée dans le local. Les investigations complémentaires réalisées ont alors mis en évidence l’absence d’un collier au niveau d’un compensateur d’échappement du moteur. Les travaux de réparation ont été lancés immédiatement et le moteur a été remis en conformité le 7 août 2021.

L’analyse montre que ce défaut a remis en cause la capacité du groupe électrogène de secours à assurer complètement sa fonction. En effet, en cas de perte totale des alimentations électriques externes, le fonctionnement dans la durée du groupe électrogène de secours à moteur diesel n’était pas garanti.

En l’absence de perte des alimentations électriques nécessitant la sollicitation des groupes électrogènes de secours, et le groupe électrogène de secours à moteur diesel de la voie B étant resté disponible, cet événement n’a pas eu de conséquence sur l’installation, le personnel et l’environnement.

Cependant, compte tenu de la détection tardive de l’indisponibilité d’un matériel requis par les spécifications techniques d’exploitation, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.

https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Detection-tardive-de-l-indisponibilite-d-un-groupe-electrogene-de-secours-a-moteur-diesel3


[1Diesels de secours : Chaque réacteur à eau sous pression est équipé de deux lignes électriques extérieures en provenance du réseau national, et de deux groupes électrogènes de secours à moteur diesel. En situation normale le réacteur est alimenté par l’une des deux sources électriques externes constituées des lignes électriques extérieures. En cas de perte des deux sources électriques externes, les groupes électrogènes de secours à moteur diesel sont utilisés afin d’alimenter en électricité et permettre le fonctionnement des systèmes de sauvegarde qui seraient mis en œuvre en cas d’accident. Ces groupes électrogènes de secours à moteur diesel sont redondants puisque un seul est suffisant pour réaliser cette mission. L’exploitant démarre périodiquement ces groupes électrogènes afin de vérifier leurs performances. https://www.asn.fr/Lexique/D/Diesel-de-secours

[2Les moteurs diesels qui équipent chaque réacteur nucléaire sont si importants pour éviter un accident qu’ils doivent faire l’objet de contrôles périodiques, des tests obligatoires, réalisés régulièrement, pour vérifier que le moteur fonctionne correctement. Il existe 2 moteurs diesels par réacteur nucléaire pour doubler cette sécurité d’approvisionnement en électricité. Si un souci matériel empêche le fonctionnement de l’un, il y a toujours le second diesel de secours pour prendre le relai. Si tant est qu’il n’est pas aussi affecté d’un problème de fonctionnement. Dans ce cas là, lorsque les 2 diesels d’un même réacteurs ne peuvent pas fonctionner, EDF est dans l’obligation d’arrêter immédiatement le réacteur nucléaire. Avec à la clés, des pertes financières puisque arrêté, un réacteur nucléaire consomme de l’eau et de l’électricité, il coûte donc cher à son exploitant mais il ne produit plus d’électricité. Il ne lui rapporte donc rien.

[3Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif

[4Sur une centrale nucléaire, les circuits contribuant à la sûreté des installations sont redondants et régulièrement éprouvés par des essais de bon fonctionnement. Ces essais, appelés essais périodiques, répondent à plusieurs critères fixés par les règles générales d’exploitation qui encadrent le fonctionnement des réacteurs.


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Installation(s) concernée(s)

Cruas

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