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Des accidents nucléaires partout

France : Cruas : Un circuit requalifié qui ne fonctionne pas

Quand la maintenance génère des problèmes et qu’EDF ne les voit pas




13 juillet 2021


Fin juin 2021, en plein redémarrage du réacteur 1 de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse (Drôme), EDF découvre que le circuit RIS [1] , essentiel pour refroidir le réacteur et stopper la réaction nucléaire en cas de problème, ne fonctionne pas. Ce circuit avait pourtant été "entretenu" par EDF en mai 2021. L’industriel a même requalifié le circuit, le considérant comme pleinement opérationnel, alors qu’il était mal réglé et de ce fait, ne pouvait pas fonctionner.


Ce circuit dit RIS permet d’injecter de l’eau et du bore dans le circuit primaire qui sert à refroidir le combustible nucléaire présent dans la cuve [2] . C’est un circuit qui n’est censé servir qu’en cas d’accident, mais il est si important que son fonctionnement doit être pleinement garantit lorsque le réacteur n’est pas arrêté et froid [3] . C’était le cas le 23 juin 2021, lorsqu’un test réalisé sur un autre équipement (le système de protection du réacteur) révèle que non, le circuit RIS ne fonctionne pas comme il se doit : impossible d’injecter de l’eau sous pression par une de ses voies (les circuits les plus importants sont doublés : deux voies, indépendantes, permettent de remplir la même fonction).
Les équipes d’EDF entament alors le repli du réacteur (c’est à dire abaisser la température et la pression du circuit primaire) afin de limiter les risques et de ramener le réacteur dans un état où le bon fonctionnement des 2 voies du circuit RIS n’est plus exigé. C’est finalement tout le moteur de la pompe servant à injecter l’eau sous pression dans le circuit primaire qui sera changé. Mais pour ces réparations, EDF mettra plus de temps qu’il n’est autorisé dans les règles générales d’exploitation : plusieurs jours seront nécessaires à l’exploitant nucléaire alors que le délai maximal est de 8 heures. EDF a manifestement eu des difficultés de diagnostic et de réparations. Des difficultés particulièrement problématiques et qui posent de sérieux enjeux lorsqu’il s’agit de réparer un circuit essentiel et nécessaire d’un réacteur nucléaire.

Contrairement à ce que semble indiquer le communiqué de l’industriel, l’histoire ne s’arrête pas là. Non seulement EDF a eu des difficultés à remettre en service le circuit RIS du réacteur 1 de Cruas, non seulement l’exploitant nucléaire n’avait pas détecté avant que ce circuit ne fonctionnait pas alors qu’il était requis dans l’état où était le réacteur, mais qui plus est c’est EDF lui-même qui a causé ce problème de fonctionnement. Et ne l’a pas vu. L’exploitant a requalifié le 22 mai 2021 le circuit d’injection de sécurité, c’est à dire qu’il a procédé à des opérations de maintenance dessus, puis testé et validé le bon fonctionnement dudit circuit, et considéré que le circuit était qualifié pour remplir sa fonction : injecter de l’eau borée sous pression dans le circuit primaire. Pourtant, le test fait le 23 juin a démontré que cette injection ne pouvait pas se faire : une vanne mal réglée ne s’ouvrait pas assez.

Après les rejets de gaz radioactifs début juin 2021 dont les raisons et l’origine restent inconnues, cette nouvelle déclaration d’incident sur le site nucléaire drômois pointe des problèmes de qualité chez EDF, tant dans les interventions de maintenance que dans la surveillance d’EDF et la connaissance qu’il a de l’état de ses installations. Un exploitant nucléaire qui met lui-même hors-service un circuit obligatoire, nécessaire, ne s’en rend pas compte avant plusieurs semaines et n’arrive pas à réparer dans les délais imposés... Tout n’est pas sous contrôle sur le site nucléaire de Cruas. Et manifestement, EDF n’est pas en mesure de connaître l’état réel des équipements de sa centrale nucléaire. Et même si l’évènement significatif pour la sûreté n’a - selon l’expression consacrée des autorités - "pas eu de conséquences réelles" puisqu’il n’y a pas eu de brèche dans le circuit primaire du réacteur 1 en juin 2021, le manque de maîtrise de l’industriel sur son installation génère des risques accrus pour les travailleurs, les populations et l’environnement.

Ce que dit EDF :

Événement sûreté

Déclaration d’un événement significatif de niveau 1 sur l’échelle INES pour le non-respect des spécifications techniques d’exploitation : détection tardive de l’indisponibilité d’une vanne d’injection de sécurité

Publié le 12/07/2021

Mercredi 23 juin, lors des essais périodiques menés sur le système de protection du réacteur, un défaut est identifié sur une vanne d’injection de sécurité, celle-ci ne s’ouvre pas complètement mais garantit un débit suffisant. Les réparations sont lancées rapidement mais ne sont pas soldées dans le délai fixé par les spécifications techniques d’exploitation qui imposent une réparation sous huit heures.

Le repli de la tranche est alors amorcé dans un état où le système d’injection de sécurité n’est plus requis. Suite à la réalisation des opérations de maintenance la vanne d’injection de sécurité est de nouveau fonctionnelle et les opérations de redémarrage du réacteur ont pu reprendre. Après expertise, il s’avère que l’indisponibilité remonte au 4 juin 2021. Ainsi, rétroactivement, la conduite à tenir par les spécifications techniques d’exploitation n’a pas pu être respectée.

Cet événement n’a pas eu d’impact sur la sûreté de l’installation. Toutefois, en raison de sa détection dite tardive, la direction de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse a déclaré cet événement le 9 juillet 2021 à l’Autorité de sureté nucléaire comme un événement significatif de sûreté de niveau 1 (anomalie) de l’échelle INES qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/declaration-d-un-evenement-significatif-de-niveau-1-sur-l-echelle-ines-pour-le-non-respect-des-specifications-techniques-d-exploitation-detection-tardive-de-l


Ce que dit l’ASN :

Détection tardive de l’indisponibilité d’une voie du circuit d’injection de sécurité haute pression du réacteur 1 de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse

Publié le 13/07/2021

Centrale nucléaire de Cruas-Meysse - Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 28 juin 2021, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif relatif à l’indisponibilité d’une voie du circuit d’injection de sécurité haute pression du réacteur 1 de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse, détectée tardivement. Cette déclaration a été complétée le 9 juillet 2021.

Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet en cas d’accident, par exemple une fuite importante du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci afin d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur. Ce circuit est constitué de deux voies indépendantes l’une de l’autre.

Le 23 juin 2021, dans le cadre d’un essai périodique du système de protection du réacteur réalisé en état d’arrêt à chaud, il est mis en évidence que l’ouverture d’une des vannes du circuit RIS est incomplète et empêche la réalisation de la séquence d’injection de sécurité haute pression sur l’une des deux voies. Cette situation interrompt l’essai périodique et l’exploitant engage alors le repli du réacteur vers l’état d’arrêt à froid, conformément aux règles générales d’exploitation (RGE) de l’installation qui imposent que les deux voies du système d’injection de sécurité haute pression soient disponibles.

Le 26 juin 2021, le fonctionnement normal de la vanne est rétabli après remplacement de son servomoteur.

Les analyses réalisées par EDF révèlent que la vanne concernée avait été requalifiée le 22 mai 2021, durant l’arrêt pour rechargement du réacteur, alors que le réglage de son capteur d’ouverture n’avait pas été réalisé de manière satisfaisante. Cette situation rendait indisponible une des voies du système d’injection de sécurité ; à compter du 4 juin 2021, le réacteur étant en phase de remontée en pression pour son redémarrage, l’état des installations n’était pas conforme aux RGE qui imposent que les deux voies d’injection de sécurité haute pression soient disponibles.

Le circuit d’injection de sécurité n’a pas été sollicité pendant la durée de l’événement. De plus, en cas de brèche sur le circuit primaire, l’autre voie du circuit d’injection de sécurité aurait été disponible pour assurer le refroidissement du cœur. Cet événement n’a donc pas eu de conséquence sur les installations, le personnel ou l’environnement.

Toutefois, en raison du délai tardif de détection de l’événement par l’exploitant, l’incident a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

https://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Avis-d-incident-des-installations-nucleaires/Detection-tardive-de-l-indisponibilite-d-une-voie-du-circuit-d-injection-de-securite-haute-pression


[1Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d’accident causant une brèche importante au niveau du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci. Le but de cette manœuvre est d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur. https://www.asn.fr/Lexique/R/RIS

[2Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire

[3Arrêt à froid  : Situation d’un réacteur nucléaire à l’arrêt dans lequel l’état du fluide de refroidissement se rapproche de celui qui correspond aux conditions ambiantes de pression et de température. https://www.asn.fr/Lexique/A/Arret-a-froid


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Installation(s) concernée(s)

Cruas

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