28 septembre 2023
Dans la nuit du 30 août 2023, une partie des informations qui servent à piloter le réacteur 1 de la centrale nucléaire de Civaux (Nouvelle Aquitaine) a disparu de la salle de commande. Aveugle, EDF a dû arrêter très vite son réacteur qui tournait à pleine puissance.
Crédit photo : André Paris
L’annonce de cet incident fut succincte. EDF n’a pas livré de détails : pourquoi et quelles informations ont été perdues, durant combien de temps ? Pourtant les faits ne manquent pas de gravité : ne plus avoir toutes les informations nécessaires dans la salle de commande d’un réacteur nucléaire en plein fonctionnement, ça n’arrive pas tous les jours - et heureusement. Sans les informations sur ce qu’il se passe dans son réacteur, comment surveiller sa puissance, ajuster les paramètres qui doivent l’être et le piloter, comment garder le contrôle de la réaction nucléaire en cours dans la cuve ?
"Indisponibilité de matériels de contrôle commande", l’industriel n’en dira pas plus sur l’origine de cette perte d’informations en salle de commande. Formule un peu vague qui semble désigner une, ou plutôt des pannes. Mais de quoi, c’est quoi au juste ce "contrôle-commande" ? Le contrôle-commande c’est l’ensemble des systèmes qui effectuent automatiquement des mesures et assurent la régulation mais aussi la protection du réacteur. C’est le système de surveillance (de contrôle) qui permet de piloter (commander). Imaginez-vous au volant de votre véhicule à pleine vitesse, sans rien voir à travers le pare-brise, avec des commandes de frein, d’accélération, de direction bloquées, et sans indicateurs du niveau d’huile ni de liquide de freins ni de carburant. Sauf qu’il ne s’agit pas d’une voiture mais d’un réacteur nucléaire. Avec ces quelques éléments (que EDF ne livre pas dans son communiqué) tout devient plus clair non ? Oui, perdre les informations en salle de commande à cause de défaillances de composants du contrôle-commande c’est grave. On comprend mieux que les règles d’exploitation imposent l’arrêt immédiat du réacteur nucléaire dans ces cas-là. On imagine aussi le stress des équipes de conduite qui étaient en poste à ce moment-là.
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) le dit elle-même, la complexité des systèmes de contrôle-commande s’est considérablement développée ces dernières années et ils intègrent maintenant beaucoup de logiciels [1]. Les réacteurs de Civaux, les plus récents du parc nucléaire français, "bénéficient" des dernières innovations de recherche et développement. Et la récente visite décennale du réacteur 1 (en 2021, lorsque les fissures de corrosion sous contrainte ont été découvertes au cœur de ce réacteur alors qu’il était impossible qu’elles se produisent d’après les choix de conception faits par EDF) a aussi été l’occasion d’intégrer des modifications de contrôle-commande. Mais est-ce que les compétences suivent ? Est-ce que le système a fait ses preuves ? Est-ce que, parce que c’est plus récent, c’est mieux ?
Par ironie du sort, une inspection de l’Autorité de sûreté nucléaire était justement prévue à la centrale de Civaux le 30 août 2023, sur le système de contrôle-commande, ses modifications et la maîtrise qu’en a EDF. Le rapport de cette inspection, publié le 20 septembre, ne mentionne même pas les pannes survenues durant la nuit et l’arrêt du réacteur. Mais il évoque de sérieux problèmes relatifs au contrôle-commande : perte de personnel et manque de compétences pour gérer les systèmes, défaillances de cartes électroniques en 2019 et 2020 ayant causé la perte d’informations et de protection du réacteur 1 ... Mais alors, si les problèmes associés au contrôle-commande sont récurrents et connus, pourquoi ne sont-ils pas résolus ?
Question personnel, EDF n’a pas anticipé. Des recrutements sont actés, "les projections à trois ans indiquent que les effectifs présents sur le CNPE (Centre nucléaire de production d’électricité, ndlr) pour gérer les systèmes de contrôle-commande recouvreront la plupart des compétences demandées". La plupart ... D’ici 2024...
Quant à identifier l’origine des défaillances de composants électroniques et des bugs informatiques, là aussi il peut falloir beaucoup de temps. Surtout quand les cartes électroniques défaillantes, envoyées en expertise, ont été perdues durant leur transport vers le laboratoire ...Et qu’il faut attendre les prochaines défaillances de matériels pour comprendre pourquoi ces pannes. Surtout quand on n’a plus les effectifs ni les compétences en interne pour mener à bien certaines vérifications. Surtout quand on implante des modifications sans avoir vraiment fait tout le tour de la question en termes de conception et de développement.
EDF modifie ses outils de contrôle et de commande de ses réacteurs nucléaires, met en avant des améliorations de sûreté, mais qu’en est-il vraiment ? Ce qu’il s’est passé à Civaux fin août 2023 le montre bien : EDF tâtonne. Au point, de temps en temps mais plus souvent qu’on ne l’aurait pensé, de se retrouver sans informations en salle de commande. Alors non, EDF ne le dit pas haut et fort et non, il ne livre pas trop de détails sur ce genre d’incident. Car il serait alors un peu trop visible que l’industriel ne maîtrise pas vraiment bien ses activités, y compris les modifications de ses systèmes clés.
Épilogue
Pour la petite histoire, les deux réacteurs de Civaux ont été en même temps déconnectés du réseau électrique et arrêtés quelques jours avant cet incident. Rien à voir avec le système de contrôle-commande, mais avec le fonctionnement des turbines qui permettent la production électrique. Sur le réacteur 2, c’était une fuite d’huile consécutive à la rupture d’un tuyau. Sur le réacteur 1, c’était un ensemble de vannes qui était défectueux
[2]
. Une preuve de plus, si besoin était, que le niveau d’entretien des centrales nucléaires et la qualité de leurs équipements n’est pas vraiment à la hauteur de l’image de modernité ni de l’excellence industrielle mise en avant par l’exploitant.
L.B.
Publié le 30/08/2023
Les équipes de la centrale de Civaux ont initié les opérations de mise à l’arrêt de l’unité de production n°1 à 2h15 le 30 août 2023 (en application des procédures d’exploitation), en raison de l’indisponibilité de matériels de contrôle commande ayant causé la perte d’une partie des informations en salle de commande.
L’intervention du service automatismes a permis de retrouver rapidement la disponibilité de ces matériels, permettant aux équipes de redémarrer l’unité de production quelques heures plus tard. L’unité de production a été reconnectée au réseau électrique le 30 août à 7h43.
Les deux unités de production de Civaux sont à la disposition du réseau électrique national.
Publié le 04/10/2023
La centrale nucléaire de Civaux a déclaré, le 4 septembre 2023, à l’Autorité de sûreté nucléaire, un événement significatif sûreté (au niveau 0 en-dessous de l’échelle INES) suite à la déconnexion de l’unité de production n°1 du réseau électrique national, le 30 août 2023.
La réalisation d’une activité de maintenance programmée cumulée à un fortuit de carte électronique a entrainé l’indisponibilité de matériels de contrôle commande ayant causé la perte d’une partie des informations en salle de commande. La conduite à tenir imposée par les spécifications techniques d’exploitation (le code de la route de l’exploitant) est le repli de l’unité de production sous 1h.
L’intervention du service automatismes a permis de retrouver rapidement la disponibilité de ces matériels, permettant aux équipes de redémarrer l’unité de production quelques heures plus tard. L’unité de production a été reconnectée au réseau électrique le 30 août à 7h43.
Lettre de suite de l’inspection du 30 août 2023 (n° INSSN-BDX-2023-0049) sur le thème du contrôle-commande - Centrale nucléaire de Civaux (Réacteurs de 1450 MWe)
L’inspection en objet avait pour objectif de contrôler les dispositions prises par le CNPE pour s’assurer de la disponibilité et du bon fonctionnement des systèmes de contrôle-commande. Les inspecteurs se sont assurés de la suffisance des effectifs du CNPE ainsi que du maintien de leurs compétences pour gérer les systèmes de contrôle-commande au sein du service « instrumentation automatismes essais » (IAE).
Les inspecteurs ont contrôlé par sondage le suivi effectué par le site de plusieurs modifications du contrôle commande déployées durant les visites décennales des deux réacteurs
(....)
La plupart de ces modifications se sont notamment traduites par l’informatisation de certains systèmes et la diminution d’équipements présents physiquement sur le terrain.
(...) vous rencontrez des difficultés pour vous assurer que les effectifs du service automatisme ainsi que la gestion de leurs compétences soient à la cible demandés, mais que des progrès sont attendus dans les trois ans à venir.
(...)
Gestion prévisionnelle des compétences
(...)
Les inspecteurs ont contrôlé l’évolution des effectifs dédiés au contrôle commande sur le CNPE au travers de l’examen de la matrice des emplois et des compétences du service en charge des automatismes (IAE) qui leur a été présentée. En particulier les inspecteurs se sont intéressés à l’acquisition de compétences supplémentaires par votre personnel en prévision de l’évolution de vos systèmes de contrôle-commande dans le cadre des modifications mises en œuvre au cours de la deuxième visite décennale de vos réacteurs. En effet ces modifications réalisées et à venir prévoient des nouveautés en matière de gestion d’informatique industrielle.
Les inspecteurs ont pu constater que vous rencontriez des difficultés avec des départs annoncés qui vont conduire à une diminution de vos effectifs jusqu’en 2024. Toutefois vous avez procédé au recrutement d’agents qui devraient contribuer à augmenter de nouveau vos effectifs dans les années qui viennent. Les inspecteurs ont pu constater que vos effectifs allaient également augmenter de façon à recruter deux personnes compétentes sur les nouveaux dispositifs d’informatique industrielle. Un plan de formation doit également être mis en place sur le CNPE.
Enfin, les projections à trois ans indiquent que les effectifs présents sur le CNPE pour gérer les systèmes de contrôle-commande recouvreront la plupart des compétences demandées sur le site, mais qu’il subsistera des difficultés pour réaliser certains essais périodiques sur le système de mesure de la puissance nucléaire RPN ainsi que pour gérer les essais sur le système d’instrumentation du cœur RIC-ébulliomètre. Les projections d’effectifs à plus court terme (un an) montrent que vous êtes toujours en difficulté concernant les compétences sur certains systèmes particuliers. (...)
Préconisations d’usage et d’utilisations de composants électroniques programmés
(...)
Les inspecteurs ont examiné le bilan de fonction « réactivité » présenté en comité fiabilité du 6 avril 2022. Ce bilan évoque la défaillance en 2019 et en 2020 de cartes électroniques, lesquelles contribuent à provoquer des pertes d’informations de l’unité fonctionnelle 1 de l’unité d’acquisition et de traitement des protections (UATP) sur le réacteur 1. Ce type d’avarie matérielle a pu être rencontré à quelques reprises sur vos réacteurs et vous a contraint à remplacer des composants mémoire de la carte d’unité centrale. Ces composants mémoire électroniques ont été envoyés en expertise de manière à caractériser le défaut rencontré et à alimenter les données recueillies relatives à la recherche et développement sur le vieillissement de ce type de matériel. Néanmoins vos représentants ont précisé aux inspecteurs que les mémoires électroniques n’ont pas pu être expertisées car elles ont été perdues au cours de leur transfert vers un laboratoire extérieur. Vos représentants ont indiqué que les expertises se poursuivront à l’avenir sur d’autres composants défaillants (...)
https://www.asn.fr/content/download/192658/download_file/INSSN-BDX-2023-0049.pdf
Consulter l’intégralité du rapport d’inspection INSSN-BDX-2023-0049 :
[2] Arrêts fortuits pour les deux unités de production
Publié le 22/08/2023
Les deux unités de production du CNPE de Civaux ont été découplées du réseau électrique national lundi 21 août en fin d’après-midi, à la suite de deux aléas techniques.
Indépendants l’un de l’autre comme de la canicule en cours, ces deux aléas ont pour origine un dysfonctionnement sur les groupes turbo-alternateurs. Ils ont nécessité la déconnexion du réseau pour chacune des unités, sans sollicitation des protections du réacteur. Sur l’unité 2, les investigations ont rapidement mis en évidence la défaillance d’un flexible d’huile associé au système de régulation de la turbine. L’huile a été collectée, le flexible changé et les opérations de redémarrage engagées ce mardi 22 août. Sur l’unité 1, les investigations sont en cours pour comprendre l’origine du dysfonctionnement observé sur la turbine.
https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-civaux/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-civaux/arrets-fortuits-pour-les-deux-unites-de-production
Les deux unités de production de Civaux reconnectées au réseau électrique national
Publié le 24/08/2023
L’unité de production n°2 de Civaux a été reconnectée au réseau électrique national dans la nuit du 22 au 23 août, puis l’unité de production n°1 dans l’après-midi du 23 août.
Elles avaient toutes deux été découplées du réseau électrique national lundi 21 août en fin d’après-midi, à la suite de deux aléas techniques. (...)
Sur l’unité 2, les investigations avaient rapidement mis en évidence la défaillance d’un flexible d’huile associé au système de régulation de la turbine. L’huile a été collectée et le flexible défectueux remplacé.
Sur l’unité 1, le dysfonctionnement était lié à un bloc de vanne défectueux, participant aux systèmes de sécurité de la turbine. L’intervention de remplacement du matériel a été réalisée le 23 août.
Les deux unités de Civaux sont à la disposition du réseau électrique national.
https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-civaux/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-civaux/les-deux-unites-de-production-de-civaux-reconnectees-au-reseau-electrique-national