14 avril 2022
Janvier 2022, EDF annonçait que de la corrosion sous contrainte avait fissuré des tuyauteries au cœur de plusieurs de ses réacteurs nucléaires les plus récents (1450 MWe), à Civaux (Vienne) et à Chooz (Ardennes). Puis à Penly (1300 MWe, Seine Maritime). Mi avril 2022, EDF annonce que d’autres réacteurs sont probablement atteints, à Flamanville (Manche), à Golfech (Tarn-et-Garonne), à Cattenom (Moselle). Mais aussi à Chinon (Indre-et-Loire), sur un réacteur de 900 MWe. Les trois modèles de réacteurs nucléaires d’EDF en fonctionnement actuellement en France sont donc touchés par ce phénomène que l’industriel ne comprend pas ; d’après ses connaissances et ses modélisations, les tuyauteries n’auraient pas dû se fissurer. Les contrôles se poursuivent. Ils ne sont pas simples et ne sont pas prêts d’être terminés.
C’est d’abord à Civaux 1 lors de contrôles faits durant sa visite décennale que les fissures ont été découvertes. Puis sur Civaux 2, sur Chooz 2 et sur Penly 1. Des fissures qui peuvent engendrer la rupture des tuyaux sur un circuit essentiel en cas d’accident, le circuit RIS [1] , qui est directement connecté au circuit primaire qui permet de refroidir en permanence le combustible nucléaire [2] . Ces fissures à proximité de soudures sur les tuyauteries sont dues à de la corrosion sous contrainte (CSC) [3] , un phénomène qui n’était pas censé apparaître selon les études d’EDF. Les réacteurs ont été mis à l’arrêt pour plusieurs mois, de même que Chooz 1. EDF devra contrôler tous les réacteurs nucléaires de France, 56 au total (voir notre article du 14 janvier 2022 pour plus de détails).
En février 2022, EDF annonce qu’à la relecture des derniers contrôles effectués lors des arrêts de ses réacteurs, il a dresser une liste : 6 d’entre-eux sont à arrêter en priorité. Les 2 réacteurs de Flamanville, 2 réacteurs au Bugey, le réacteur 3 de Cattenom et le réacteur 3 de Chinon. Les examens par ultrasons effectués précédemment ont donné des "indications" [4], mais sur le coup, celles-ci ont été interprétées comme des bruits parasites, puisque les fissures par corrosion sous contrainte n’étaient pas censées pouvoir se produire. Pour mener à bien ses vérifications, EDF doit développer une nouvelle méthode d’examen de ses tuyauteries. L’industriel doit être capable de détecter de manière plus efficace la CSC, mais aussi de mieux comprendre le phénomène et afin de pouvoir identifier les circuits potentiellement concernés et qui doivent être contrôlés. Des examens à faire sur des tuyauteries fortement irradiées, et qui ne sont pas sans coût pour les travailleurs en terme de dosimétrie [5] . La méthode doit donc être efficace, mais aussi rapide afin que les travailleurs soient exposés le moins longtemps possible aux rayonnements ionisants.
Fin février 2022, l’Autorité de sûreté nucléaire demandait à EDF d’approfondir ses analyses, notamment en terme de conséquences sur la sûreté et de couverture de l’ensemble des cas possibles. Car il n’y a pas que le circuit RIS qui montre des signes de CSC, des indications similaires ont été découvertes à Civaux,Chooz et Penly sur le circuit de refroidissement à l’arrêt (RRA) [6] . EDF devra procéder à des contrôles approfondis jusqu’à septembre 2022 sur réacteurs à l’arrêt qui sont jugés par l’industriel comme étant représentatifs des modèles en exploitation (Fessenheim 2, Chinon B3, Civaux 1, Penly 1) pour identifier zones susceptibles d’être affectées de CSC et mieux comprendre phénomène. Une représentativité que l’ASN questionne. Puis, à partir de septembre 2022 et jusqu’à fin 2023, EDF pourra enfin commencer le déploiement de sa nouvelle méthode de contrôle (permettant notamment de mesurer la profondeur des fissures) sur tous les réacteurs.
Fin avril 2022, Les 2 réacteurs de Civaux, de Chooz et Penly 1 sont toujours à l’arrêt. Et ils le resteront pour encore plusieurs mois. Cattenom 3, Chinon 3 et Bugey 4, sur la liste des prioritaires, ont été arrêtés spécifiquement pour examiner leurs circuits. Flamanville 1 et 2 ainsi que Bugey 3 ont été arrêtés pour maintenance, des arrêts déjà prévus mais dont lesquels EDF profite pour vérifier la présence de corrosion sous contrainte. À Glofech aussi, l’arrêt du réacteur 1 qui était prévu a été mis à profit pour aller vérifier la présence ou non de corrosion au cœur de ses circuits.
Et plus les arrêts se multiplient, plus la liste des réacteurs touchés par ce phénomène s’allonge. Pour l’heure, officiellement, EDF a annoncé qu’en plus de Civaux 1 et 2, de Chooz 1 et 2 et de Penly 1, Golfech 1, Flamanville 2, Cattenom 3 et Chinon 3 sont concernés. EDF ne parle que d’indications, difficile donc de savoir si c’est bien de la corrosion sous contrainte, si des fissures ont été découvertes, sur quels circuits et dans quelle mesure le phénomène est avancé (localisation, taille, nombre des fissures etc.).
Étant donné qu’EDF doit encore comprendre la survenue du phénomène pour cibler les circuits à contrôler et donc pouvoir estimer correctement les risques induits sur le fonctionnement de ses installations, mettre au point une méthode de contrôle plus fiable, contrôler l’ensemble de son parc nucléaire (56 réacteurs) et établir un éventuel plan de remise en état (ce qui ne sera pas sans coûts, financier et dosimétrique), l’histoire n’est pas prête de se terminer. En attendant, et malgré l’ampleur des inconnues au plan de la sûreté, EDF laisse fonctionner tous les réacteurs qu’il n’a pas estimé prioritaire d’arrêter.
Mise à jour du 5 mai 2022 :
Lors d’une conférence le 4 mai 2022, EDF a confirmé que le cœur de 3 réacteurs, Civaux 1, Chooz 1 et Penly 1, étaient atteints de CSC indique l’Usine nouvelle. Il a fallu découper les tuyauteries pour en avoir le cœur net. Pour Civaux 2, Chooz 2, Flamanville 1 et 2, Chinon 3, Cattenom 3, Golfech 1, Bugey 3 et 4, on en reste au stade d’indications, des tests en laboratoire sont nécessaires pour identifier précisément la nature des défauts en question.
Étant donné que les indications sur les 3 premiers réacteurs ont été confirmées comme étant de la CSC, il est probable que les 9 autres soient aussi effectivement touchés. Reste à connaître l’ampleur des dégâts causés par la CSC, les conséquences induites sur la sûreté, pourquoi apparaît cette corrosion et combien d’autres réacteurs sont touchés.
L.B.
Phénomène de corrosion sous contrainte détecté sur des portions de tuyauteries de circuits auxiliaires du circuit primaire principal de plusieurs réacteurs nucléaires - mise à jour du 14 avril 2022
Publié le 14/04/2022
EDF poursuit son plan de contrôles et expertises sur les réacteurs priorisés (sur la base de l’analyse des fiches de résultats des examens non destructifs réalisés lors des dernières visites décennales des réacteurs).
Les expertises et les contrôles se poursuivent sur les réacteurs de Civaux 1-2, Chooz 1-2 et Penly 1. Ils sont en cours ou le seront très prochainement sur les 6 autres réacteurs priorisés (voir ci-après « Mise à jour du 8 février 2022 »).
Des indications ont été détectées lors de la réalisation des contrôles non destructifs par ultrasons sur des portions de tuyauterie des réacteurs de Chinon B3, Cattenom 3 et Flamanville 2.
Les investigations se poursuivent pour en caractériser la nature et l’origine. Par ailleurs, à l’occasion de la troisième visite décennale du réacteur n°1 de la centrale de Golfech, qui se déroule actuellement, des contrôles périodiques programmés ont été réalisés sur le circuit RIS. Des indications ont été détectées. Des contrôles approfondis et des expertises complémentaires vont être réalisés pour caractériser ces indications.
L’élaboration du programme de contrôles sur l’ensemble du parc nucléaire se poursuit, en intégrant, au fur et à mesure, les enseignements tirés des expertises réalisées. Les contrôles seront réalisés sur les arrêts déjà programmés pour maintenance et rechargement de combustible en 2022, 2023 et 2024.
Des échanges techniques sont en cours avec l’Autorité de sûreté nucléaire depuis la détection du phénomène sur le réacteur n°1 de Civaux. Ces échanges portent notamment sur la stratégie globale des contrôles, des expertises et du traitement de ce phénomène de corrosion sous contrainte.
Phénomène de corrosion sous contrainte détecté sur des portions de tuyauteries de circuits auxiliaires du circuit primaire principal de plusieurs réacteurs nucléaires - Mise à jour du 8 février 2022
Publié le 8 février 2022
Les calculs réalisés à partir du défaut le plus marqué constaté à date sur une portion de tuyauterie du circuit RIS de Civaux 1, nous permettent de confirmer notre confiance sur l’intégrité des circuits. Nous estimons que l’aptitude des circuits à remplir leur fonction est assurée.
L’analyse de 72 fiches de résultats d’examens non destructifs réalisés lors des dernières visites décennales des 56 réacteurs du parc nucléaire et les résultats des dernières expertises en laboratoire, nous conduisent à établir la liste priorisée des réacteurs sur lesquels des contrôles seront repris avec des moyens optimisés et la prise en compte du retour d’expérience de Civaux et Penly :
▸ dans les 3 mois, lors de leurs arrêts programmés : Bugey 3, Flamanville 1 et Flamanville 2
▸ dans les 3 mois, lors d’un arrêt spécifique : Chinon 3, Cattenom 3 et Bugey 4.
Les premières expertises réalisées en laboratoire montrent une propagation lente du phénomène et une profondeur limitée des fissures qui varient de 0,75mm à 5,6mm au maximum (à comparer à l’épaisseur des tuyauteries de près de 30mm). L’ensemble des échantillons expertisés ont tous montré une fin de fissure située à la hauteur de la première passe de soudage (dite passe « racine »), soit quelques millimètres au maximum.
Les contrôles et expertises se poursuivent.
L’ASN est tenue régulièrement informée des résultats des contrôles et expertises. La première phase du programme de contrôle intégrant les enseignements issus des expertises réalisées sur Civaux 1 et 2 et Penly 1 a été finalisée. Les contrôles réalisés sur le réacteur de Chooz 1 ayant montré des résultats similaires à ceux de Chooz 2, la date prévisionnelle de reconnexion au réseau électrique du réacteur est le 31/12/2022. Compte tenu des résultats des expertises réalisées sur Penly 1 depuis la mi-janvier, la date prévisionnelle de reconnexion au réseau électrique du réacteur est le 31/10/2022.
https://www.edf.fr/sites/default/files/contrib/groupe-edf/producteur-industriel/nucleaire/Notes d’information/edf_mise_a_jour_note_info_ris_fev2022.pdf
[1] Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d’accident causant une brèche importante au niveau du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci afin d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur.
[2] Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire
[3] La Corrosions sous contrainte (CSC) résulte de la rencontre de plusieurs facteurs : le type de matériau utilisé (le métal des tuyauteries), le milieu agressif (les produits chimiques qui y circulent), des pressions physiques exercées sur ce métal (thermiques et mécaniques)
[4] Une indication est un signal (typiquement un écho pour des contrôles par ultrason) mettant en évidence la possible présence d’un défaut dans le matériau contrôlé.
[5] La dosimétrie est la détermination, par évaluation ou par mesure, de la dose de rayonnement absorbée par une substance ou un individu ou un groupe d’individus.
[6] Le circuit de refroidissement du réacteur à l’arrêt (RRA) assure l’évacuation de la puissance résiduelle dégagée par le combustible, quand il est encore dans la cuve, pendant les périodes d’arrêt.