4 décembre 2023
Sur le réacteur 3 de la centrale nucléaire de Chinon (Centre - Val de Loire), un circuit censé se mettre en route automatiquement en cas d’accident ne fonctionnait pas. Dans ce cas, le réacteur doit être arrêté sous huit heures, mais encore faut-il que EDF ait connaissance des avaries.
Crédit photo : André Paris
C’est par le communiqué de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) que l’on apprend les détails des faits qui ont conduit EDF à déclarer un incident significatif [1] pour la sûreté [2] du réacteur 3 de Chinon. Car dans la déclaration faite au public par l’exploitant nucléaire, il manque toute une partie de l’histoire. Une partie qui lui donne pourtant toute son ampleur.
Fin mai 2023 une intervention de maintenance est réalisée sur une pièce du circuit EAS [3] . Ce circuit doit permettre de faire descendre la température et la pression dans le bâtiment contenant le réacteur nucléaire en cas d’accident, le but étant d’éviter une explosion et de permettre un minimum de refroidissement. Le circuit doit se déclencher automatiquement et doit être en parfait état de marche lorsque le réacteur fonctionne. Et pour qu’il fonctionne, un système de ventilation lui est associé, afin d’éviter que la pompe qui fait tourner le circuit ne surchauffe. C’est sur ce système de ventilation qu’une intervention a eu lieu. Une fois celle-ci terminée, EDF teste le circuit et conclue que tout fonctionne correctement. Sauf que ce n’était pas le cas.
Ce n’est que plusieurs mois après, fin octobre 2023, que EDF se rend compte que la ventilation associée au circuit AES ne fonctionnait pas, l’intervention de maintenance de mai ayant été mal réalisée. On ne sait pas pourquoi, ni pourquoi les essais réalisés par la suite ne l’ont pas révélé. Mais de ce fait, une partie du circuit EAS n’était pas en état de fonctionner durant tout ce temps. Dans ce cas là, les règles à suivre imposent de mettre le réacteur à l’arrêt dans la semaine. Puisque EDF a mis des mois à s’en rendre compte, forcément il n’a pas pu les respecter. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Et c’est l’ASN qui nous raconte la suite.
Lorsque EDF a découvert qu’une partie du circuit EAS était HS, il a aussi découvert d’autres problèmes sur une l’autre partie du circuit. Dans les réacteurs nucléaires, le risque en cas de problème est si grave que les circuits les plus importants sont redondants, ils sont doublés : ils sont faits de 2 parties, indépendantes l’une de l’autre, qui remplissent la même fonction. Le but de cette redondance est simple : si une partie du circuit tombe en panne, l’autre partie peut prendre le relai et la fonction remplie par le circuit reste assurée. Loupé. Les deux parties du circuit EAS étaient HS en même temps, atteintes chacune de problèmes différents. Des problèmes entravant son fonctionnement et que EDF ignorait totalement. Lorsque tout le circuit EAS est HS, le réacteur doit être arrêté dans l’heure. Là non plus EDF n’a pas pu respecter la règle, faute d’avoir connaissance de toutes les avaries qui affectaient le circuit.
Intervention de maintenance ratée, tests de bon fonctionnement qui ne détectent pas les dysfonctionnements, manque de surveillance de l’état des équipements, cumul d’avaries qui finissent par bloquer totalement le fonctionnement d’un circuit qui sert à refroidir le réacteur et à éviter une explosion en cas d’accident ... et non respect des règles imposant des délais de remise en état et l’arrêt du réacteur.
Et pour mettre une petite cerise sur ce joli gâteau : plusieurs échanges entre l’industriel et l’ASN auront été nécessaires pour que EDF consente, fin novembre, à déclarer les faits comme ayant significativement impacté la sûreté de son réacteur. À croire que l’exploitant nucléaire ne voyait pas le problème.
L.B.
Détection tardive d’un non-respect des règles générales d’exploitation sur l’unité de production n°3
Publié le 02/11/2023
Evénement sûreté
Le 24 mai 2023, au cours de la visite partielle de l’unité de production n°3 de la centrale de Chinon, les équipes procèdent au remplacement d’un moto-ventilateur associé à une des pompes du système de sauvegarde permettant l’aspersion de l’enceinte du bâtiment réacteur en cas d’accident (EAS)*. Lors de la requalification du nouveau matériel, aucune anomalie n’est détectée et le matériel est considéré disponible.
Le 25 octobre 2023, alors que l’unité de production n°3 est mise à l’arrêt pour des opérations de maintenance programmée, une anomalie constatée sur ce moto-ventilateur amène à le considérer indisponible. Une intervention est réalisée pour retrouver sa pleine fonctionnalité et requalifier le matériel mais l’analyse montre que le remplacement réalisé lors de la précédente visite partielle n’était pas conforme.
Cette situation a conduit EDF à considérer que le moto-ventilateur et, par conséquent, une partie du système d’aspersion de l’enceinte de l’unité de production n°3, n’étaient pas disponibles depuis le 24 mai 2023, date de la dernière maintenance réalisée. Cette indisponibilité constatée a posteriori, alors que le réacteur était dans un domaine d’exploitation où le système d’aspersion de l’enceinte était requis, constitue un non-respect des règles générales d’exploitation.
Cet événement n’a pas eu de conséquence réelle sur la sûreté des installations. Cependant, du fait de sa détection tardive, la direction de la centrale de Chinon a déclaré le 31 octobre 2023 à l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), un évènement significatif sûreté au niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7.
* Le système de sauvegarde EAS est un système d’aspersion d’eau dans l’enceinte du bâtiment réacteur. Ce système est mis en service automatiquement en situation accidentelle et a pour objectif de diminuer la pression et la température dans l’enceinte de confinement.
Non-respect de la conduite à tenir prévue par les règles générales d’exploitation du réacteur 3
Publié le 04/12/2023
Centrale nucléaire de Chinon B Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 23 novembre 2023, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un évènement significatif pour la sûreté relatif à l’indisponibilité du système d’aspersion d’eau (EAS) dans l’enceinte de confinement du réacteur 3.
Le circuit EAS est un système de sauvegarde qui permet l’aspersion d’eau dans l’enceinte du bâtiment réacteur. Ce système est mis en service automatiquement en situation accidentelle et a pour objectif de diminuer la pression et la température dans l’enceinte de confinement. Il est constitué de deux voies redondantes comprenant notamment une motopompe par voie. Les locaux où sont installés les moteurs des pompes EAS disposent chacun d’un système de ventilation spécifique (le circuit DVS) dont le rôle est d’assurer, en situation accidentelle, le refroidissement de ces locaux afin de garantir le bon fonctionnement de chaque moteur. Ainsi, l’indisponibilité du système DVS d’un local où se trouve le moteur d’une pompe EAS rend indisponible la voie EAS associée.
Les règles générales d’exploitation (RGE) sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite associées. Elles prescrivent notamment des conduites à tenir et des délais d’intervention en cas d’indisponibilités fortuites de matériels, en fonction de leur importance pour le maintien en état sûr du réacteur, et de leur éventuel cumul. Ainsi, dans le cas d’un réacteur en puissance, une indisponibilité partielle du circuit EAS nécessite le repli du réacteur sous 7 jours et une indisponibilité totale un repli sous 8 heures.
Le 30 mai 2023, alors que le réacteur 3 était en maintenance pour renouvellement de combustible, une intervention a été réalisée sur le système DVS associé à la voie B du circuit EAS. Dans le cadre du redémarrage de ce réacteur, le circuit EAS a été requis à partir du 28 juillet 2023.
Le 25 octobre 2023, une anomalie a été découverte sur le système DVS associé à la voie A du circuit EAS. L’exploitant a mis à profit un arrêt fortuit le 26 octobre 2023 pour procéder à sa réparation. A l’issue de cette intervention, il a cependant découvert une autre anomalie affectant le système DVS, associé à la voie B du circuit EAS. Les investigations menées a posteriori par l’exploitant ont mis en évidence que :
Dès la détection de ces anomalies, l’exploitant a réalisé de manière réactive les réparations nécessaires sur le circuit DVS. Cet événement n’a pas eu de conséquence sur l’installation, le personnel ou l’environnement. Toutefois, il a affecté les fonctions de sûreté liées au confinement et au refroidissement du réacteur en situation accidentelle. Au regard de sa détection tardive, et du non-respect des RGE, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
L’analyse de la déclaration initiale de cet événement par l’exploitant a fait l’objet de plusieurs échanges avec l’ASN. Ces échanges ont conduit à une nouvelle déclaration le 23 novembre 2023.
[1] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[2] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire
[3] Circuit d’aspersion de secours (EAS) : En cas d’accident conduisant à une augmentation de pression et de température dans le bâtiment réacteur, le circuit d’aspersion de secours pulvérise de l’eau additionnée de soude afin de rétablir des conditions ambiantes acceptables, de préserver l’intégrité de l’enceinte de confinement et de rabattre au sol les aérosols radioactifs éventuellement disséminés. Source : https://www.asn.fr/lexique/C/Circuit-d-aspersion-de-secours