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Des accidents nucléaires partout

France : Cattenom : La surveillance du réacteur 3 faussée depuis des mois

Erreurs lors de la visite décennale et problèmes depuis le redémarrage




25 octobre 2021


Le réacteur 3 de Cattenom (Grand Est) a été arrêté de longs mois pour visite décennale [1], du 12 février au 3 septembre 2021. Manifestement, les travaux réalisés lors de cet arrêt n’ont pas été suffisants et les vérifications n’ont pas été assez poussées : la centrale nucléaire en est déjà à sa deuxième déclaration d’évènement significatif [2] pour la sûreté [3] dont l’origine provient d’interventions faites lors de cet arrêt.


Le personnel de la centrale nucléaire a découvert le 11 octobre 2021 que la surveillance du réacteur 3 était faussée depuis des mois, car de l’eau déminéralisée venait diluer le circuit qui sert à mesurer la radioactivité et à détecter des fuites éventuelles. Une vanne a été mal fermée fin juillet. Le système de surveillance n’était donc plus opérationnel depuis cette date. Dans ce cas là, les règles imposent à EDF d’arrêter son réacteur nucléaire dans les 7 jours et de procéder toutes les 12h à une mesure manuelle de la radioactivité. Mais comme l’indisponibilité du système de mesure n’a été détectée que le 11 octobre, forcément EDF n’a pas pu appliquer les règles et compenser la perte d’information.
À se demander ce qui est le plus inquiétant industriellement parlant : que la vanne n’ait pas été fermée correctement, que personne ne se soit rendu compte durant des semaines que la mesure de la radioactivité du circuit secondaire [4] et la surveillance de fuites du circuit primaire [5] était faussée, où qu’un exploitant se fie à des données fausses pour surveiller un réacteur nucléaire et soit dans l’incapacité d’appliquer les règles censées garantir en toute circonstance un minimum de sûreté.

C’est la seconde erreur du genre commise lors de l’arrêt pour visite décennale du réacteur 3 à Cattenom. Début août, lors de l’entretien du circuit RCV (le circuit qui contrôle le volume et la composition chimique du circuit primaire et qui permet d’y injecter de l’eau en cas de fuite pour éviter que le combustible ne surchauffe), une pompe a été mal réglée. Ce n’est que plusieurs jours plus tard, lors des essais réglementaires de redémarrage du réacteur, que le problème a été décelé : en raison de ce mauvais réglage, le débit de l’eau injectée dans le circuit primaire n’était pas suffisant. Le repli du réacteur a été entamé (réduire la pression et la température du circuit primaire, c’est à dire faire tout l’inverse d’un redémarrage), mais trop tard par rapport à ce qu’exigent les règles de l’Autorité de sûreté nucléaire. L’incident, significatif pour la sûreté, a retardé le redémarrage du réacteur nucléaire.

Lors que celui-ci a finalement redémarré le 3 septembre, il n’a fonctionné que quelques jours. Il a fallu de nouveau l’arrêter le 13 septembre, pour intervenir sur le filtre d’une pompe en salle des machines. Une intervention dont EDF ne dit pas grand chose mais qui prendra plusieurs jours [6]. Manifestement, le problème était d’importance, sinon pourquoi arrêter un réacteur qui vient enfin de redémarrer ? Encore un problème passé au travers des vérifications de la visite décennale. Où qui y trouve son origine peut être ?

Les problèmes du réacteur 3 ne s’arrêtent pas là, puisque le 5 octobre 2021, ce même réacteur s’arrête automatiquement. Un arrêt automatique n’est jamais anodin, puisqu’il survient lorsqu’un problème suffisamment importance pour menacer le fonctionnement du réacteur nucléaire est détecté. Cette fois au niveau du turbo-alternateur [7], la partie de l’installation qui convertie l’énergie produite en électricité (voir schéma en fin d’article). Second arrêt à peine un mois après son redémarrage, et arrêt en urgence cette fois. Il faudra encore plusieurs jours à EDF pour redémarrer sa machine nucléaire.

Ces arrêts successifs pour problèmes matériels après des mois de vérifications, couplés aux défauts de surveillance et d’entretien des équipements qui ont donné lieu à des déclarations d’incidents, misent bout à bout montrent une situation à Cattenom qui n’a rien de rassurant. Comme quoi, des mois d’arrêt et des visites décennales à rallonge ne suffisent pas à faire des réacteurs nucléaires d’EDF des installations sûres.

Ce que dit l’ASN :

Détection tardive de l’indisponibilité d’une mesure du système de surveillance de la radioactivité

Publié le 25/10/2021

Centrale nucléaire de Cattenom Réacteurs de 1300 MWe - EDF

Le 18 octobre 2021, l’exploitant de la centrale nucléaire de Cattenom a déclaré à l’ASN un événement significatif pour la sûreté relatif au non-respect des règles générales d’exploitation (RGE) du réacteur 3 concernant la disponibilité du système de surveillance de la radioactivité.

Le système de surveillance de la radioactivité (KRT) a pour fonction d’assurer la surveillance des niveaux d’activité radiologique dans les équipements industriels et les bâtiments du site, ainsi que des rejets radioactifs. Des chaînes de mesures sont dédiées au contrôle de l’activité radiologique de l’eau utilisée dans le circuit secondaire, au niveau des générateurs de vapeur, afin d’y détecter d’éventuelles fuites du circuit primaire vers le circuit secondaire.

Le 11 octobre 2021, l’exploitant a détecté la fermeture incomplète d’une vanne d’eau déminéralisée sur le circuit de mesure d’activité radiologique des purges d’un générateur de vapeur. Dans ces conditions, l’eau diluant le fluide venant des purges, la mesure de l’activité n’était plus fiable et ne permettait plus de détecter correctement les éventuelles fuites du circuit primaire sur ce générateur de vapeur. Les autres systèmes de mesure de la radioactivité présents sur le circuit secondaire auraient pu permettre cette détection, mais avec un retard potentiel.

Les investigations menées par l’exploitant ont mis en évidence que la dernière manœuvre de la vanne d’eau déminéralisée a eu lieu fin juillet au cours de la visite décennale du réacteur 3. Ainsi, la chaîne de mesure concernée n’était plus disponible depuis cette date. Les règles générales d’exploitation, qui imposent en cas de défaut sur cette mesure l’arrêt du réacteur sous 7 jours ainsi qu’une mesure manuelle de l’activité de l’eau du circuit secondaire toutes les 12 heures, n’ont ainsi pas été respectées.

Cet événement n’a pas eu de conséquence sur le personnel ni sur l’environnement de l’installation. Du fait de sa détection tardive, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.

À la suite de la détection de l’écart, l’exploitant a remis en conformité l’installation en fermant la vanne d’eau déminéralisée et a engagé une analyse approfondie de cet événement. L’ASN sera vigilante quant à l’analyse des causes humaines et organisationnelles ayant entraîné cette anomalie et aux actions prises pour en éviter le renouvellement.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/detection-tardive-de-l-indisponibilite-d-une-mesure-du-systeme-de-surveillance-de-la-radioactivite


Le fonctionnement d’un réacteur nucléaire à eau pressurisée :

Source : https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-centrales-nucleaires/reacteurs-nucleaires-France/Pages/1-reacteurs-nucleaires-France-Fonctionnement.aspx#.YXbbhSU6-cw


[1Fin de la 3ème visite décennale de l’unité de production n°3 de la centrale EDF de Cattenom : L’unité de production n°3 de la centrale nucléaire de Cattenom vient de vivre sa troisième visite décennale, qui avait débuté le vendredi 12 février 2021. Le vendredi 3 septembre 2021, peu après 22 heures, l’unité de production n°3 a été reconnectée au réseau national de production d’électricité (...) près de 3 000 intervenants pour réaliser 20 000 activités, plus de 150 modifications sur les installations et de nombreux examens réglementaires (...) Les opérations de rénovation et de modernisation des installations, volets centraux du projet Grand Carénage, ont mobilisé tous les métiers de la centrale, mais également de nombreux partenaires industriels. Source : https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-cattenom/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-cattenom/fin-de-la-3eme-visite-decennale-de-l-unite-de-production-ndeg3-de-la-centrale-edf-de-cattenom-le-reacteur-produit-a-nouveau-de-l-electricite

[2Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif

[3La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire

[4Le circuit secondaire est un circuit fermé dans lequel la vapeur produite dans le générateur de vapeur est conduite à la turbine, qui transforme son énergie en énergie mécanique. Il comprend : la partie secondaire des générateurs de vapeur, la turbine, le condenseur, les systèmes d’extraction et de réchauffage de l’eau condensée jusqu’au retour au générateur de vapeur, ainsi que les tuyauteries associées. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-secondaire

[5Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire

[6Dans la nuit du lundi 13 au mardi 14 septembre 2021, les équipes de la centrale de Cattenom ont procédé à la mise à l’arrêt de l’unité de production n°3 afin de réaliser une intervention de maintenance sur un filtre situé sur une des turbopompes alimentaires, localisée en salle des machines (partie non nucléaire de l’installation). Vendredi 17 septembre, en fin d’après-midi, l’unité de production n°3 de la centrale de Cattenom a été reconnectée au réseau électrique national. Source : https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-cattenom/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-cattenom/actualite-de-l-unite-de-production-ndeg3-de-la-centrale-de-cattenom

[7Un turbo-alternateur est l’accouplement d’une turbine et d’un alternateur en vue de transformer la puissance mécanique d’un fluide en mouvement en électricité. Le fluide exploité peut être liquide, comme l’eau d’une rivière pour une centrale hydroélectrique, ou gazeux, comme la vapeur produite par une centrale nucléaire. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Turbo-alternateur.


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Installation(s) concernée(s)

Cattenom

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158