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Sortir du nucléaire n°66



Août 2015

Armes nucléaires

Depuis Hiroshima : révisionnisme et falsification nucléaire

Le 6 août 1945, une seule bombe réduisait en cendres la ville d’Hiroshima. L’opération se poursuivait trois jours plus tard sur Nagasaki. Selon les chiffres officiels, d’origine américaine et répétés par des générations d’historiens, les deux bombardements auraient fait dans l’instant et dans les heures qui suivirent environ 230 000 victimes, carbonisées par le feu nucléaire. En fait, des archives récemment ouvertes, révèlent le caractère arbitraire et minimal de ces chiffres. De plus, le ciblage d’Hiroshima prenait prétexte d’une ville clé de l’industrie d’armement japonaise, ce qui n’était pas le cas, mais les dirigeants américains pouvaient ainsi justifier la thèse d’une capitulation rapide du Japon. Du côté japonais, Hiroshima et Nagasaki allaient faire d’un empire militariste et colonial – réalité très longtemps occultée par le discours officiel – un peuple victime de l’arme nucléaire, ambassadeur d’un monde débarrassé de la menace atomique. Il ne s’agit pas là de nier l’horreur et la souffrance des survivants – les hibakusha – et encore moins leur engagement courageux pour dénoncer les préparatifs d’une guerre nucléaire et pour leur soutien aux victimes des essais nucléaires.

Nucléaire militaire

Ci-dessus : "La protection pour tous - Ne parlez pas. Le silence, c’est la sécurité"... la sécurité de l’État, de l’armée et des industriels du nucléaire ! (panneau à proximité du site nucléaire militaire de Hanford aux États-Unis à l’époque de la Guerre froide)

Les essais à l’aune d’Hiroshima

Les stratèges et grands experts en désarmement ont l’habitude de rappeler que la bombe atomique n’a été utilisée qu’à deux reprises, à Hiroshima et Nagasaki. La désinformation est d’autant plus énorme qu’elle se répète comme par ricochets dans tous les ouvrages scolaires et d’histoire du monde entier. Les puissances nucléaires occultent ainsi, volontairement, les quelque 2400 bombes qu’ils ont fait exploser, de 1946 à 2013, sur les lointains territoires de petits peuples coloniaux et sans défense. Ainsi de 1946 à 1958, l’archipel des Marshall a reçu l’équivalent de 1,6 bombe d’Hiroshima par jour. Quant à la Polynésie, elle a reçu, du temps des essais aériens de 1966 à 1974, l’équivalent de 6,6 bombes d’Hiroshima par mois. Lorsque les peuples victimes contestent, ripostent, font appel à l’ONU pour dénoncer les atteintes à leur vie, à leur santé, à leur environnement et aux générations futures, les grands patrons de la bombe répondent, quasiment à l’unanimité, que leurs “expérimentations” étaient propres et sans danger.

Un enfant d’Hiroshima pose sur l’eau une lanterne colorée lors de la commémoration du bombardement du 6 août 1945. On aperçoit le fameux dôme emblématique de la destruction de la ville.

Mensonges sur les conséquences des essais

Après sept décennies, Hiroshima et les centaines d’autres Hiroshima qu’ont été les essais nucléaires, sont encore d’actualité pour dénoncer le mensonge la plupart du temps perpétré par les dirigeants de ce monde, appuyés par une pléthore de scientifiques plus préoccupés de "chercher les moyens de tuer que ceux de guérir", comme l’écrivait le biologiste Jean Rostand. Mensonge des experts et diplomates américains qui considéraient que "le groupe des Marshallais irradiés constitue la meilleure source d’observation sur les êtres humains" et qui, en 2015, veulent obliger le peuple de Rongelap, aux Iles Marshall, à retourner dans leur île qu’ils n’ont pu entièrement décontaminer après les retombées de l’essai Bravo du 1er mars 1954.

Mensonge de Pékin qui organise, sur la Route de la soie, la visite touristique du site d’essais nucléaires de Lop Nor au Xingkiang, réputé "propre", alors qu’en réalité les points zéro des bombes chinoises se situaient à deux cents kilomètres plus à l’est, à quelques dizaines de kilomètres de villes ouïghoures !

Mensonge des autorités américaines qui ne reconnaissent que quelques comtés contaminés autour de leur site d’essais du Nevada alors qu’ entre 1959 et 1961 des universitaires de Saint-Louis du Missouri (à plus de 1500 kilomètres du Nevada) mesuraient dans les dents de lait des enfants de cette ville la présence de strontium-90 issu des nuages radioactifs.

Mensonge éhonté des autorités de l’Académie des sciences de Moscou qui, interpellées en février 1961 par des médecins kazakhs inquiets du développement des cancers dans les villages proches du site d’essais soviétiques de Semipalatinsk, conclurent qu’il n’existe pas de maladies provoquées par les radiations et que les cancers des habitants de la région de Semipalatinsk avaient pour origine la malnutrition. Mensonges des chefs militaires britanniques qui, en 1956, lors de la préparation de leurs expériences thermonucléaires prévues les deux années suivantes près de l’île Christmas, prétendirent que les "populations primitives" n’avaient nul besoin d’être équipées, comme les troupes britanniques, de tenues de protection parce que, "pour ces populations, les risques pour la santé seraient très faibles".

Au bord du cratère Sedan sur le site d’essais nucléaires du Nevada, aux États-Unis.

La propagande française

La France se distingue particulièrement dans la désinformation sur ses expériences nucléaires. En juin 1973, le "Comité interministériel pour l’information" diffusait des documents dans toutes les ambassades des pays du Pacifique et des grandes capitales affirmant que la technique employée par la France avec des tirs sous ballon, à quelque 500 mètres d’altitude, était particulièrement propre et inoffensive. C’était oublier que les citoyens quelque peu informés n’ignoraient pas que la bombe d’Hiroshima fut déclenchée à quelque 580 mètres d’altitude avec les résultats que l’on connaît. Aujourd’hui, les anciens ministres de la défense qui ont tant clamé l’innocuité des essais français n’osent plus s’exprimer sur le sujet tant leurs propos d’alors sont démentis par des archives récemment ouvertes.

Claude Nicod, ici pris en photo le 30 mai 1970 devant le "champignon" nucléaire de l’essai français Dragon, est décédé en 2004 à l’âge de 59 ans des suites d’un cancer du rein.

La loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires de 2010 retient pour le Sahara des zones géographiques – des secteurs angulaires minus- cules - où il fallait se trouver pour prétendre à une indemnisation. Les documents militaires de l’époque, déclassifiés en 2013, sur les essais au Sahara montrent que ces "secteurs angulaires" étaient calculés et dessinés par les météorologues avant l’explosion, mais qu’après tir, les nuages radioactifs des essais de Reggane ne se sont pas comportés selon les prévisions et les retombées ont été mesurées sur l’ensemble de l’Afrique, au nord de l’équateur.

Amiraux, généraux et ministres ont affirmé et continuent d’affirmer avec persistance que les essais souterrains étaient parfaitement contenus dans des cavités entièrement vitrifiées. Le 26 mai 2015, répondant à une journaliste tahitienne, Bernard Dupraz, délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense, affirmait encore avec aplomb : "Les déchets radioactifs qui sont dans l’atoll de Moruroa, sont confinés dans l’atoll pour l’éternité donc sans aucune conséquence pour l’environnement ni pour la population." Or, les rapports publiés par le ministère de la défense en 2005 attestent qu’un essai souterrain sur trois a provoqué des fuites radioactives.

Ras-le-bol polynésien

Ministre des Outre-Mers, M. Victorin Lurel fut reçu à Tahiti en novembre 2013. Alors qu’il souhaitait consacrer son déplacement aux difficultés économiques de la Polynésie, il confia qu’il avait été agacé par les mots d’accueil des autorités polynésiennes évoquant tous les conséquences des essais nucléaires ! Quelques semaines plus tard, en février 2014, l’amirale Anne Cullère, commandant les armées de Polynésie, récidivait en invitant les Polynésiens à "arrêter de psychoter sur les essais nucléaires". De tels propos soulignent le malentendu persistant franco-polynésien que les autorités françaises veulent occulter tout autant que la poursuite du système colonial, anachronisme imposé aux francophones du Pacifique, sous le nom d’autonomie.

Le 2 juillet 2015, le 49ème anniversaire de la première bombe française à Moruroa sera commémoré avec solennité. Désormais, l’association "Moruroa e tatou" n’est plus seule à entretenir la mémoire des victimes et ils étaient des centaines autour du lieu de mémoire de Papeete, désormais pérennisé après l’éviction de Gaston Flosse, avec un mot d’ordre : la vérité. "Comment pouvons-nous accepter que la France dépense 100 millions d’euros pour la surveillance de Moruroa, s’interroge le trésorier de la nouvelle association "193" (pour 193 essais en Polynésie), alors que les autorités françaises affirment qu’il n’y a aucun danger à Moruroa. Nous en avons assez de ces mensonges !"

Bruno Barrillot expert, co-fondateur de l’Observatoire des armements

Pour en savoir plus :

Essais nucléaires français : l’héritage empoisonné, Bruno Barrillot, Observatoire des armements, 2012, 320 p. Victimes des essais nucléaires : histoire d’un combat, Bruno Barrillot, préface de Christiane Taubira, Observatoire des armements, 2010, 200 p. Sur le web, le mémorial des essais nucléaires français : www.moruroa.org

Ci-dessus : "La protection pour tous - Ne parlez pas. Le silence, c’est la sécurité"... la sécurité de l’État, de l’armée et des industriels du nucléaire ! (panneau à proximité du site nucléaire militaire de Hanford aux États-Unis à l’époque de la Guerre froide)

Les essais à l’aune d’Hiroshima

Les stratèges et grands experts en désarmement ont l’habitude de rappeler que la bombe atomique n’a été utilisée qu’à deux reprises, à Hiroshima et Nagasaki. La désinformation est d’autant plus énorme qu’elle se répète comme par ricochets dans tous les ouvrages scolaires et d’histoire du monde entier. Les puissances nucléaires occultent ainsi, volontairement, les quelque 2400 bombes qu’ils ont fait exploser, de 1946 à 2013, sur les lointains territoires de petits peuples coloniaux et sans défense. Ainsi de 1946 à 1958, l’archipel des Marshall a reçu l’équivalent de 1,6 bombe d’Hiroshima par jour. Quant à la Polynésie, elle a reçu, du temps des essais aériens de 1966 à 1974, l’équivalent de 6,6 bombes d’Hiroshima par mois. Lorsque les peuples victimes contestent, ripostent, font appel à l’ONU pour dénoncer les atteintes à leur vie, à leur santé, à leur environnement et aux générations futures, les grands patrons de la bombe répondent, quasiment à l’unanimité, que leurs “expérimentations” étaient propres et sans danger.

Un enfant d’Hiroshima pose sur l’eau une lanterne colorée lors de la commémoration du bombardement du 6 août 1945. On aperçoit le fameux dôme emblématique de la destruction de la ville.

Mensonges sur les conséquences des essais

Après sept décennies, Hiroshima et les centaines d’autres Hiroshima qu’ont été les essais nucléaires, sont encore d’actualité pour dénoncer le mensonge la plupart du temps perpétré par les dirigeants de ce monde, appuyés par une pléthore de scientifiques plus préoccupés de "chercher les moyens de tuer que ceux de guérir", comme l’écrivait le biologiste Jean Rostand. Mensonge des experts et diplomates américains qui considéraient que "le groupe des Marshallais irradiés constitue la meilleure source d’observation sur les êtres humains" et qui, en 2015, veulent obliger le peuple de Rongelap, aux Iles Marshall, à retourner dans leur île qu’ils n’ont pu entièrement décontaminer après les retombées de l’essai Bravo du 1er mars 1954.

Mensonge de Pékin qui organise, sur la Route de la soie, la visite touristique du site d’essais nucléaires de Lop Nor au Xingkiang, réputé "propre", alors qu’en réalité les points zéro des bombes chinoises se situaient à deux cents kilomètres plus à l’est, à quelques dizaines de kilomètres de villes ouïghoures !

Mensonge des autorités américaines qui ne reconnaissent que quelques comtés contaminés autour de leur site d’essais du Nevada alors qu’ entre 1959 et 1961 des universitaires de Saint-Louis du Missouri (à plus de 1500 kilomètres du Nevada) mesuraient dans les dents de lait des enfants de cette ville la présence de strontium-90 issu des nuages radioactifs.

Mensonge éhonté des autorités de l’Académie des sciences de Moscou qui, interpellées en février 1961 par des médecins kazakhs inquiets du développement des cancers dans les villages proches du site d’essais soviétiques de Semipalatinsk, conclurent qu’il n’existe pas de maladies provoquées par les radiations et que les cancers des habitants de la région de Semipalatinsk avaient pour origine la malnutrition. Mensonges des chefs militaires britanniques qui, en 1956, lors de la préparation de leurs expériences thermonucléaires prévues les deux années suivantes près de l’île Christmas, prétendirent que les "populations primitives" n’avaient nul besoin d’être équipées, comme les troupes britanniques, de tenues de protection parce que, "pour ces populations, les risques pour la santé seraient très faibles".

Au bord du cratère Sedan sur le site d’essais nucléaires du Nevada, aux États-Unis.

La propagande française

La France se distingue particulièrement dans la désinformation sur ses expériences nucléaires. En juin 1973, le "Comité interministériel pour l’information" diffusait des documents dans toutes les ambassades des pays du Pacifique et des grandes capitales affirmant que la technique employée par la France avec des tirs sous ballon, à quelque 500 mètres d’altitude, était particulièrement propre et inoffensive. C’était oublier que les citoyens quelque peu informés n’ignoraient pas que la bombe d’Hiroshima fut déclenchée à quelque 580 mètres d’altitude avec les résultats que l’on connaît. Aujourd’hui, les anciens ministres de la défense qui ont tant clamé l’innocuité des essais français n’osent plus s’exprimer sur le sujet tant leurs propos d’alors sont démentis par des archives récemment ouvertes.

Claude Nicod, ici pris en photo le 30 mai 1970 devant le "champignon" nucléaire de l’essai français Dragon, est décédé en 2004 à l’âge de 59 ans des suites d’un cancer du rein.

La loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires de 2010 retient pour le Sahara des zones géographiques – des secteurs angulaires minus- cules - où il fallait se trouver pour prétendre à une indemnisation. Les documents militaires de l’époque, déclassifiés en 2013, sur les essais au Sahara montrent que ces "secteurs angulaires" étaient calculés et dessinés par les météorologues avant l’explosion, mais qu’après tir, les nuages radioactifs des essais de Reggane ne se sont pas comportés selon les prévisions et les retombées ont été mesurées sur l’ensemble de l’Afrique, au nord de l’équateur.

Amiraux, généraux et ministres ont affirmé et continuent d’affirmer avec persistance que les essais souterrains étaient parfaitement contenus dans des cavités entièrement vitrifiées. Le 26 mai 2015, répondant à une journaliste tahitienne, Bernard Dupraz, délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense, affirmait encore avec aplomb : "Les déchets radioactifs qui sont dans l’atoll de Moruroa, sont confinés dans l’atoll pour l’éternité donc sans aucune conséquence pour l’environnement ni pour la population." Or, les rapports publiés par le ministère de la défense en 2005 attestent qu’un essai souterrain sur trois a provoqué des fuites radioactives.

Ras-le-bol polynésien

Ministre des Outre-Mers, M. Victorin Lurel fut reçu à Tahiti en novembre 2013. Alors qu’il souhaitait consacrer son déplacement aux difficultés économiques de la Polynésie, il confia qu’il avait été agacé par les mots d’accueil des autorités polynésiennes évoquant tous les conséquences des essais nucléaires ! Quelques semaines plus tard, en février 2014, l’amirale Anne Cullère, commandant les armées de Polynésie, récidivait en invitant les Polynésiens à "arrêter de psychoter sur les essais nucléaires". De tels propos soulignent le malentendu persistant franco-polynésien que les autorités françaises veulent occulter tout autant que la poursuite du système colonial, anachronisme imposé aux francophones du Pacifique, sous le nom d’autonomie.

Le 2 juillet 2015, le 49ème anniversaire de la première bombe française à Moruroa sera commémoré avec solennité. Désormais, l’association "Moruroa e tatou" n’est plus seule à entretenir la mémoire des victimes et ils étaient des centaines autour du lieu de mémoire de Papeete, désormais pérennisé après l’éviction de Gaston Flosse, avec un mot d’ordre : la vérité. "Comment pouvons-nous accepter que la France dépense 100 millions d’euros pour la surveillance de Moruroa, s’interroge le trésorier de la nouvelle association "193" (pour 193 essais en Polynésie), alors que les autorités françaises affirment qu’il n’y a aucun danger à Moruroa. Nous en avons assez de ces mensonges !"

Bruno Barrillot expert, co-fondateur de l’Observatoire des armements

Pour en savoir plus :

Essais nucléaires français : l’héritage empoisonné, Bruno Barrillot, Observatoire des armements, 2012, 320 p. Victimes des essais nucléaires : histoire d’un combat, Bruno Barrillot, préface de Christiane Taubira, Observatoire des armements, 2010, 200 p. Sur le web, le mémorial des essais nucléaires français : www.moruroa.org



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