De nouveaux réacteurs, une aberration face à l’urgence climatique
Pour les défenseurs du nucléaire, construire de nouveaux réacteurs serait un moyen de produire massivement une électricité "bas-carbone" et serait donc un choix incontournable pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Mais qu’en est-il vraiment ?
Une perte de temps et d’argent dans la lutte contre le changement climatique
C’est un fait : les émissions du nucléaire sont peu élevées, très inférieures à celles des énergies fossiles et à peu près du même ordre de grandeur que celles des énergies renouvelables. Mais pour juger de la pertinence d’une option dans la lutte contre le changement climatique, se focaliser sur les seules émissions de CO2 ne suffit pas. Encore faut-il que cette option puisse être déployée suffisamment rapidement au regard de l’urgence et à un prix qui ne soit pas prohibitif. Deux points noirs pour les nouveaux réacteurs !
En novembre 2020, le journal Reporterre rendait publics des documents de travail traduisant des échanges entre EDF et le gouvernement. Il était déjà prévu de lancer la construction d’une première paire de réacteurs en 2024, une deuxième en 2028 et une troisième en 2032. Le temps de construction était évalué à 12 ans par paire.
Dans les projets d’EDF, la première paire pourrait entrer en service dès 2035-2037. Pourtant, un document interne de la Direction Générale de l’Énergie et du Climat dévoilé par Contexte.com indique que le couplage des nouveaux réacteurs au réseau électrique ne pourrait sans doute avoir lieu que dans les années 2040, voire en 2045. Tabler sur des options de production d’électricité qui se font autant attendre est le plus sûr moyen de rater les échéances de neutralité carbone pour la France.
L’exemple du réacteur EPR en construction à Flamanville montre d’ailleurs que la durée effective d’un chantier peut être très largement supérieure aux prévisions : initialement prévu en 2012, son démarrage n’aura officiellement pas lieu avant mi-2023, une estimation déjà jugée très optimiste ! EDF prétend qu’elle a tiré les leçons de ce chantier désastreux et qu’elle sera en ordre de marche pour construire les nouveaux réacteurs. Mais au vu de la persistance des malfaçons sur les chantiers et du volume très lourd des travaux qu’EDF devra mener par ailleurs si elle veut prolonger la durée de fonctionnement des centrales existantes, on peut douter que les délais soient tenus.
Le cas de l’EPR de Flamanville n’est pas une exception : en 2007, EDF Energy annonçait aux Britanniques qu’en 2017, ils pourraient cuisiner leur dinde de Noël avec de l’électricité provenant des futurs réacteurs EPR d’Hinkley Point, alors à l’état de projet. Aux dernières estimations, le démarrage du premier réacteur n’aura pas lieu avant 2026. Au niveau mondial, au moins 31 des 53 réacteurs en construction dans le monde sont concernés par des retards [1].
À l’inverse, les recherches récentes montrent que si l’on souhaite réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre, il est bien plus efficace de miser sur des solutions à petite échelle facilement diffusables (isolation des logements, pose de panneaux solaires...) que sur de gros projets.
Selon les document dévoilé par Reporterre, EDF chiffre à 47,2 milliards d’euros son projet de construction de 6 réacteurs EPR, soit un peu plus de 7 milliard par réacteur. Là encore, l’exemple de l’EPR de Flamanville montre qu’on peut s’attendre à des dérapages : initialement chiffré à 3,5 milliards d’euros, le chantier pourrait finalement atteindre 19,1 milliards, selon un calcul réalisé en 2020 par la Cour des comptes ! Le coût du MWh de l’EPR atteindrait 110 à 120€, contre 60 pour les derniers projets de parcs éoliens offshore.
De plus, si le gouvernement et EDF décidaient de nouveaux EPR, les dépenses ne se limiteraient pas à l’investissement pour la construction des réacteurs. Il faudrait construire une nouvelle usine de retraitement, de nouvelles installations d’entreposage ou de stockage des déchets nucléaires, assurer le coût du démantèlement de ces réacteurs et… construire un nouveau site de stockage de déchets radioactifs !
EDF ne peut faire face seule à cette dépense à venir, et il est déjà prévu que l’État prenne en charge 54% du coût du projet... et tout ou partie des surcoûts éventuels ! Ces dizaines de milliards d’argent public représentent autant de sommes qui ne pourraient pas être consacrées à des moyens plus efficaces et plus rapides pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, qui sont loin de concerner le seul secteur de l’énergie.
Investir dans un puits sans fond comme de futurs EPR plutôt que de financer les énergies renouvelables, la rénovation des logements, le développement des transports en commun ou la reconversion de l’agriculture, voilà un choix difficilement justifiable du point de vue de la lutte contre le changement climatique.
Des installations vulnérables au changement climatique
- Quand le débit des fleuves devient insuffisant
Les centrales nucléaires ont besoin de grandes quantités d’eau pour assurer leur refroidissement. Selon les modèles de réacteurs, tout ou partie de cette eau est rejetée dans les cours d’eau ou dans la mer, à une température plus élevée, ce qui n’est pas sans impacts sur la biodiversité.
Le changement climatique déjà en cours s’accompagne déjà d’impacts sur les cours d’eau en été : baisse du débit, mais aussi élévation de la température. De plus en plus régulièrement, en été, des réacteurs doivent s’arrêter ou réduire leur puissance pour éviter de réchauffer encore plus des fleuves et rivières en souffrance. À l’été 2020, la centrale de Chooz, dans les Ardennes, a même dû s’arrêter car le débit de la Meuse était tout simplement trop bas pour qu’elle puisse continuer d’y prélever de l’eau sans empiéter sur les autres usages. C’est également le cas pour la centrale de Civaux sur la Vienne.. Au niveau de la centrale nucléaire du Bugey, l’un des sites pressentis, le débit d’étiage est actuellement de 130 m3/seconde.
Cette tendance risque fortement de s’accentuer : une baisse de 10 à 40% du débit des cours d’eau français est prévue d’ici à la fin du siècle.
Le débit d’étiage de nombreux cours d’eau français pose déjà la question de la faisabilité de la prolongation du fonctionnement des réacteurs existants. La question se pose d’autant plus pour d’éventuels nouveaux réacteurs dont la durée de fonctionnement prévue serait de 60 ans, ce qui nous amène à la fin du siècle.
Pour en savoir plus, lire notre article : "Sécheresse et canicule, des centrales nucléaires en surchauffe"
- Et le risque de submersion ?
Pour pouvoir continuer à assurer le refroidissement des réacteurs, il n’y aurait donc qu’à installer les nouvelles installations en bord de mer ? Deux des sites pressentis pour ces éventuels « nouveaux réacteurs », Penly et Gravelines, sont d’ailleurs implantés au bord de la Manche.
Pour autant, l’implantation sur le littoral expose les nouvelles centrales à d’autres risques, et notamment à la montée des eaux. D’ici à la fin du siècle, l’élévation du niveau de la mer pourrait atteindre plus d’un mètre dans les scénarios de fort réchauffement. Un site comme Gravelines, construit sur un polder, pourrait devenir "offshore".
Extrait de la carte interactive coastal.climatecentral.org
Comme on peut l’observer, le site de Penly n’est d’ailleurs que partiellement préservé par la montée des eaux
Les bouleversements climatiques occasionneront plus de phénomènes extrêmes, notamment tempêtes, fortes pluies… Pour les centrales en bord de mer, ces tempêtes pourraient accroître les risques d’inondation (comme ce fut déjà le cas lors de la tempête de 1999, lors de laquelle la centrale du Blayais est passée à deux doigts de la catastrophe). Mais de fortes tempêtes pourraient aussi mettre en difficulté les centrales implantées au bord des fleuves, endommageant les réseaux électriques et provoquant une accumulation de débris susceptibles d’obstruer les captages d’eau.
Non, le GIEC ne considère pas le nucléaire comme "indispensable" pour lutter contre le changement climatique
Contrairement à une idée reçue largement répandue, le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC) ne considère pas que la lutte contre le changement climatique doit absolument passer par le nucléaire. Dans les scénarios étudiés par le GIEC, le nucléaire ne joue qu’un rôle marginal.
Certains des scénarios permettant de maintenir l’augmentation des températures sous 1,5°C de réchauffement voient même le nucléaire disparaître d’ici à la fin du siècle. Par ailleurs, le GIEC fait état de nombreux facteurs qui rendent peu probable un développement massif du nucléaire.
Pour en savoir plus : Que dit vraiment le GIEC sur le nucléaire ?
À lire également : brochure du Réseau Action Climat : Nucléaire, un pari risqué face à l’urgence climatique
Une perte de temps et d’argent dans la lutte contre le changement climatique
C’est un fait : les émissions du nucléaire sont peu élevées, très inférieures à celles des énergies fossiles et à peu près du même ordre de grandeur que celles des énergies renouvelables. Mais pour juger de la pertinence d’une option dans la lutte contre le changement climatique, se focaliser sur les seules émissions de CO2 ne suffit pas. Encore faut-il que cette option puisse être déployée suffisamment rapidement au regard de l’urgence et à un prix qui ne soit pas prohibitif. Deux points noirs pour les nouveaux réacteurs !
En novembre 2020, le journal Reporterre rendait publics des documents de travail traduisant des échanges entre EDF et le gouvernement. Il était déjà prévu de lancer la construction d’une première paire de réacteurs en 2024, une deuxième en 2028 et une troisième en 2032. Le temps de construction était évalué à 12 ans par paire.
Dans les projets d’EDF, la première paire pourrait entrer en service dès 2035-2037. Pourtant, un document interne de la Direction Générale de l’Énergie et du Climat dévoilé par Contexte.com indique que le couplage des nouveaux réacteurs au réseau électrique ne pourrait sans doute avoir lieu que dans les années 2040, voire en 2045. Tabler sur des options de production d’électricité qui se font autant attendre est le plus sûr moyen de rater les échéances de neutralité carbone pour la France.
L’exemple du réacteur EPR en construction à Flamanville montre d’ailleurs que la durée effective d’un chantier peut être très largement supérieure aux prévisions : initialement prévu en 2012, son démarrage n’aura officiellement pas lieu avant mi-2023, une estimation déjà jugée très optimiste ! EDF prétend qu’elle a tiré les leçons de ce chantier désastreux et qu’elle sera en ordre de marche pour construire les nouveaux réacteurs. Mais au vu de la persistance des malfaçons sur les chantiers et du volume très lourd des travaux qu’EDF devra mener par ailleurs si elle veut prolonger la durée de fonctionnement des centrales existantes, on peut douter que les délais soient tenus.
Le cas de l’EPR de Flamanville n’est pas une exception : en 2007, EDF Energy annonçait aux Britanniques qu’en 2017, ils pourraient cuisiner leur dinde de Noël avec de l’électricité provenant des futurs réacteurs EPR d’Hinkley Point, alors à l’état de projet. Aux dernières estimations, le démarrage du premier réacteur n’aura pas lieu avant 2026. Au niveau mondial, au moins 31 des 53 réacteurs en construction dans le monde sont concernés par des retards [1].
À l’inverse, les recherches récentes montrent que si l’on souhaite réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre, il est bien plus efficace de miser sur des solutions à petite échelle facilement diffusables (isolation des logements, pose de panneaux solaires...) que sur de gros projets.
Selon les document dévoilé par Reporterre, EDF chiffre à 47,2 milliards d’euros son projet de construction de 6 réacteurs EPR, soit un peu plus de 7 milliard par réacteur. Là encore, l’exemple de l’EPR de Flamanville montre qu’on peut s’attendre à des dérapages : initialement chiffré à 3,5 milliards d’euros, le chantier pourrait finalement atteindre 19,1 milliards, selon un calcul réalisé en 2020 par la Cour des comptes ! Le coût du MWh de l’EPR atteindrait 110 à 120€, contre 60 pour les derniers projets de parcs éoliens offshore.
De plus, si le gouvernement et EDF décidaient de nouveaux EPR, les dépenses ne se limiteraient pas à l’investissement pour la construction des réacteurs. Il faudrait construire une nouvelle usine de retraitement, de nouvelles installations d’entreposage ou de stockage des déchets nucléaires, assurer le coût du démantèlement de ces réacteurs et… construire un nouveau site de stockage de déchets radioactifs !
EDF ne peut faire face seule à cette dépense à venir, et il est déjà prévu que l’État prenne en charge 54% du coût du projet... et tout ou partie des surcoûts éventuels ! Ces dizaines de milliards d’argent public représentent autant de sommes qui ne pourraient pas être consacrées à des moyens plus efficaces et plus rapides pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, qui sont loin de concerner le seul secteur de l’énergie.
Investir dans un puits sans fond comme de futurs EPR plutôt que de financer les énergies renouvelables, la rénovation des logements, le développement des transports en commun ou la reconversion de l’agriculture, voilà un choix difficilement justifiable du point de vue de la lutte contre le changement climatique.
Des installations vulnérables au changement climatique
- Quand le débit des fleuves devient insuffisant
Les centrales nucléaires ont besoin de grandes quantités d’eau pour assurer leur refroidissement. Selon les modèles de réacteurs, tout ou partie de cette eau est rejetée dans les cours d’eau ou dans la mer, à une température plus élevée, ce qui n’est pas sans impacts sur la biodiversité.
Le changement climatique déjà en cours s’accompagne déjà d’impacts sur les cours d’eau en été : baisse du débit, mais aussi élévation de la température. De plus en plus régulièrement, en été, des réacteurs doivent s’arrêter ou réduire leur puissance pour éviter de réchauffer encore plus des fleuves et rivières en souffrance. À l’été 2020, la centrale de Chooz, dans les Ardennes, a même dû s’arrêter car le débit de la Meuse était tout simplement trop bas pour qu’elle puisse continuer d’y prélever de l’eau sans empiéter sur les autres usages. C’est également le cas pour la centrale de Civaux sur la Vienne.. Au niveau de la centrale nucléaire du Bugey, l’un des sites pressentis, le débit d’étiage est actuellement de 130 m3/seconde.
Cette tendance risque fortement de s’accentuer : une baisse de 10 à 40% du débit des cours d’eau français est prévue d’ici à la fin du siècle.
Le débit d’étiage de nombreux cours d’eau français pose déjà la question de la faisabilité de la prolongation du fonctionnement des réacteurs existants. La question se pose d’autant plus pour d’éventuels nouveaux réacteurs dont la durée de fonctionnement prévue serait de 60 ans, ce qui nous amène à la fin du siècle.
Pour en savoir plus, lire notre article : "Sécheresse et canicule, des centrales nucléaires en surchauffe"
- Et le risque de submersion ?
Pour pouvoir continuer à assurer le refroidissement des réacteurs, il n’y aurait donc qu’à installer les nouvelles installations en bord de mer ? Deux des sites pressentis pour ces éventuels « nouveaux réacteurs », Penly et Gravelines, sont d’ailleurs implantés au bord de la Manche.
Pour autant, l’implantation sur le littoral expose les nouvelles centrales à d’autres risques, et notamment à la montée des eaux. D’ici à la fin du siècle, l’élévation du niveau de la mer pourrait atteindre plus d’un mètre dans les scénarios de fort réchauffement. Un site comme Gravelines, construit sur un polder, pourrait devenir "offshore".
Extrait de la carte interactive coastal.climatecentral.org
Comme on peut l’observer, le site de Penly n’est d’ailleurs que partiellement préservé par la montée des eaux
Les bouleversements climatiques occasionneront plus de phénomènes extrêmes, notamment tempêtes, fortes pluies… Pour les centrales en bord de mer, ces tempêtes pourraient accroître les risques d’inondation (comme ce fut déjà le cas lors de la tempête de 1999, lors de laquelle la centrale du Blayais est passée à deux doigts de la catastrophe). Mais de fortes tempêtes pourraient aussi mettre en difficulté les centrales implantées au bord des fleuves, endommageant les réseaux électriques et provoquant une accumulation de débris susceptibles d’obstruer les captages d’eau.
Non, le GIEC ne considère pas le nucléaire comme "indispensable" pour lutter contre le changement climatique
Contrairement à une idée reçue largement répandue, le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC) ne considère pas que la lutte contre le changement climatique doit absolument passer par le nucléaire. Dans les scénarios étudiés par le GIEC, le nucléaire ne joue qu’un rôle marginal.
Certains des scénarios permettant de maintenir l’augmentation des températures sous 1,5°C de réchauffement voient même le nucléaire disparaître d’ici à la fin du siècle. Par ailleurs, le GIEC fait état de nombreux facteurs qui rendent peu probable un développement massif du nucléaire.
Pour en savoir plus : Que dit vraiment le GIEC sur le nucléaire ?
À lire également : brochure du Réseau Action Climat : Nucléaire, un pari risqué face à l’urgence climatique