Afrique
A qui profite l’uranium nigérien ?
D’un côté, des discours sur l’aide au développement, de l’autre le pillage des matières premières. Le groupe français Areva vient de renouveler ses contrats miniers avec le Niger.
Avec effet rétroactif au 1er janvier, Areva enlèvera ou achètera cette année dans ce pays plus de 3 000 tonnes d’uranium métal à 40 000 Francs CFA (61 euros) le kilo contre 27 300 (42 euros) à ce jour, soit une augmentation de l’ordre de 50 %.
Pourtant, ce prix est à peine le tiers de celui pratiqué aujourd’hui sur le marché spot (126 000 Francs CFA, soit 192 euros). Malgré les dénégations officielles des groupes miniers, le prix spot reste la référence confidentielle pour les contrats à cinq ou dix ans. De plus, le cours de l’uranium n’est pas près de s’effondrer, puisque la demande à l’échelle mondiale peut être estimée à 80 000 tonnes pour une production effective de 46 700 tonnes.
AREVA : extorquer à bas prix les matières premières
A la lumière de ce nouveau contrat, deux questions se posent. La première ressort des rapports entre le groupe français et les autorités nigériennes. Alors que, depuis des décennies, les prix sont renégociés chaque année en octobre, pourquoi Areva conclut cette année une convention à la fin juillet en acceptant une rémunération en hausse de 50 % ? La seconde se rapporte, plus généralement, à l’ordre économique mondial. Comment expliquer que l’ONU définisse en 2000, avec solennité, les objectifs du millénaire en matière de développement pour réduire la pauvreté de 50 % d’ici à 2015, et que les matières premières indispensables à la consommation des puissants soient extorquées à bas prix à des pays qu’elle-même classe parmi les plus "pauvres" ?
On peut avancer quelques éléments de réponse à la première question. Si Areva s’est assuré, dès septembre 2004, le riche gisement d’Imouraren au nord (4 000 tonnes par an en 2012), les permis de recherche d’uranium, accordés par le Niger en 2006 et avril 2007, ont remis en cause son monopole traditionnel. Ces deux dernières années, Areva a acquis quatre des trente-huit permis répartis sur quinze sites. L’ouverture s’est faite notamment vers l’Afrique du Sud, l’Australie, le Canada et la Chine. La volonté des autorités nigériennes de diversifier leurs partenaires a poussé Areva à se montrer plus à l’écoute des revendications du Niger en matière de prix.
A cela s’ajoutent les récents déboires de ses représentants sur place, un ancien attaché de défense à l’ambassade de France au Niger et un ancien diplomate fraîchement reconvertis, tous deux expulsés en avril et en juillet car soupçonnés d’intelligence avec le Mouvement nigérien pour la justice (MNJ), expression d’une rébellion touareg réanimée en février.
Une extravagante conduite politique du monde
La seconde question se pose avec une cruelle acuité pour le peuple nigérien. Selon les critères de l’indice de développement humain, retenus par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Niger occupe la dernière position dans le classement de l’ensemble des pays du monde. Cette place est largement due au très fort taux d’analphabétisme (89 %), plus sensible encore chez les femmes.
Pourtant, l’uranium du Niger est enlevé par les groupes miniers, dont le français Areva en premier lieu, au tiers du cours mondial, et l’énergie nucléaire est la parade choisie par les puissances industrielles pour limiter soit-disant le réchauffement de la planète et préserver l’équilibre des écosystèmes.
Sauvegarder la planète en maintenant dans la misère la majorité de la population qui vit dans ses espaces recélant l’indispensable source d’énergie ? Cette extravagante conduite politique du monde alimente à peine la mauvaise conscience des instances internationales. A l’ONU et dans d’autres enceintes, il est de bon ton de ressasser, non sans condescendance, l’impérieuse nécessité d’accroître l’aide publique au développement quand la théorie du pillage des matières premières n’est pas aussi morte qu’on le croit - à l’image de ce qui se passe au Niger.
Les objectifs du millénaire, la nouvelle ligne Maginot de la bonne conscience universelle, ne font plus que nourrir des colloques et des fonctionnaires internationaux, peu attentifs à la réalité des rapports de force qui scellent le contenu des contrats et conventions signés par des groupes miniers au Niger, en Afrique ou ailleurs dans le monde.
Guy Labertit
Conseiller Afrique de la Fondation Jean-Jaurès
Importantes manifestations contre Areva
Plusieurs milliers de manifestants ont manifesté le 9 septembre 2007 à Niamey pour exiger le départ de la société française Areva, accusée de financer les rebelles touareg actifs dans le nord du pays, riche en uranium.
"Nous exigeons qu’Areva quitte purement et simplement le Niger, et que les deux sociétés d’exploitation de l’uranium (basées au Nord) soient nationalisées", a déclaré à l’AFP Nouhou Arzika de la Coalition contre la vie chère, principal organisateur de la manifestation.
Areva, numéro un mondial du nucléaire civil, exploite depuis 40 ans deux gisements d’uranium, l’un à ciel ouvert à Arlit pour la Société des mines de l’Aïr (Somaïr) et l’autre souterrain pour la Compagnie minière d’Akokan (Cominak), près d’Arlit.
"Nous dénonçons les travers d’Areva, qui, non contente de tirer de grands profits au Niger, se permet de financer le MNJ (Mouvement des Nigériens pour la justice, rébellion touareg)", a accusé M. Arzika.
Il a estimé que depuis le début de l’exploitation de son uranium, le Niger n’avait gagné "en tout et pour tout que 300 milliards FCFA" (environ 457 millions d’euros).
Selon les organisateurs, ces manifestations sont orchestrées à l’appel d’organisations de consommateurs, des mouvements de jeunes, des chômeurs, des associations féminines et des ONG de défense des droits de l’homme.
Le Niger, l’Etat le plus pauvre de la planète, est le troisième producteur mondial d’uranium avec 9% de parts de marché.
Ses relations avec Areva ont commencé à se dégrader à partir du mois de juin avec l’expulsion de deux cadres d’Areva, accusés de soutenir les rebelles touareg.
D’après le président du Niger, M.Tandja, ce soutien présumé du groupe français au MNJ, vise à empêcher d’autres compagnies étrangères concurrentes de s’installer dans la zone pour exploiter l’uranium.
Source : AFP