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Sortir du nucléaire n°104



Hiver 2025
Crédit photo : Nicolas Gallon / Contextes

Agir

Enquête-photo sur la France nucléaire : « Je ne pouvais pas regarder les centrales sans regarder l’être humain »

Pendant 10 ans, le photo-journaliste Nicolas Gallon a parcouru la France pour photographier le nucléaire, des mines abandonnées au projet d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure, en passant par chacune des centrales que compte le territoire. Il en tire un livre : "Territoires dénaturés, enquête sur la France nucléaire", sorti en octobre 2024 aux Éditions Seuil. Rencontre.

Culture antinucléaire Localisation des sites nucléaires Sites nucléaires

• Comment vous est venue l’idée de réaliser cette enquête-photo sur le nucléaire en France ?

Presque par hasard ! C’est vraiment un point de départ personnel, je connaissais peu de choses. Comme beaucoup de mes concitoyens je ne m’étais posé que peu de questions sur l’énergie nucléaire avant le début de ce travail. Et puis en 2012, à l’approche de la commémoration de Fukushima, je me suis demandé « qu’est-ce qu’une centrale ? ». Sur un coup de tête, j’ai pris ma voiture et je suis parti pour Nogent-sur-Seine, la centrale la plus proche de là où j’habite, pour la photographier. Je me suis retrouvé face à un bâtiment industriel très impressionnant, imposant, presque beau tellement c’est majestueux. J’ai tourné autour pendant deux jours pour trouver un angle intéressant. Je suis arrivé à un stade où des enfants jouaient au foot, et je voyais la centrale derrière. Cette juxtaposition de la vie et de la centrale raconte pas mal de choses sur l’être humain et l’industrie. En tant que photo-journaliste et photographe social, je ne pouvais pas regarder ces centrales sans regarder l’être humain. C’est ce qui m’a donné envie de sillonner la France pour photographier toutes les centrales.

• Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant ce travail ?

Le premier choc, plus que les centrales que je photographiais sans trop me poser de questions tout en percevant des zones d’ombre, c’est quand je me suis rendu à La Hague. J’ai découvert cette péninsule magnifique et je me suis rendu compte que l’industrie nucléaire a pris toute la place, avec une main-mise sur le paysage, sur les esprits et sur la parole. J’ai rencontré des personnes qui m’ont dit « oui, il y a un problème, mais on ne peut pas en parler parce que mon beau-frère, mon fils, ma mère, etc travaille pour Orano ».
Sur un aspect plus positif, il y a aussi mon passage à Plogoff : à ce moment-là, ça faisait 10 ans que je travaillais sur ce reportage, et je ne m’en sortais pas. Travailler uniquement sur un sujet problématique comme celui du nucléaire peut être lourd. À Plogoff, je n’ai rencontré que des gens accueillants qui m’ont remotivé par leur lutte passée, j’ai vu ce paysage qui a été épargné, et je suis reparti requinqué et prêt à finir le travail !

• Un chapitre est consacré aux travailleurs du nucléaire. Comment avez-vous réussi à convaincre ces personnes de témoigner pour votre livre ?

Ça a été un enfer : j’arrivais à la fin du livre et il me manquait un chapitre, celui sur les travailleurs. Plusieurs m’ont dit « je sais qu’il y a un problème de dose », « je sais qu’on ne nous dit pas tout », mais ils refusaient d’être photographiés de peur de perdre leur travail.
Au final, les six ou sept travailleurs qui témoignent dans le livre sont soit des personnes qui ne travaillent plus dans le nucléaire, soit des personnes élues à des postes syndicaux qui font qu’elles ne peuvent pas être virées.

• Vos photographies sont accompagnées de textes, avec des rédacteurs variés. Parlez-nous d’eux.

Quand j’ai rencontré les Éditions Seuil j’avais déjà une idée très précise de ce que je voulais. J’avais les huit chapitres en tête et l’envie que pour chacun il y ait une prise de parole d’une personne qui connaisse la problématique. On s’est retrouvé avec des textes qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Au début on s’est dit que ça n’allait pas le faire. Et puis on s’est rendu compte que chacun parlait avec ses mots : l’ingénieur avec ses mots d’ingénieur, la militante avec ses mots de militante, etc., et on a trouvé ça hyper varié et intéressant. Le dernier texte, sur Bure, a été rédigé en collectif et en écriture inclusive. C’était une belle façon de terminer le livre.

• Il n’est pas question du nucléaire militaire dans votre enquête. Pourquoi ?

Quand j’ai commencé le sujet du nucléaire, je voulais parler du militaire et du civil, car l’un ne va pas sans l’autre. Mais très rapidement j’ai réalisé que je n’allais pas pouvoir aborder les deux, ça aurait été un travail monstrueux. En partie par facilité, j’ai choisi de me concentrer sur le nucléaire civil. On s’est posé la question d’intégrer un chapitre juste sur le nucléaire militaire, mais c’est un sujet trop vaste pour un seul chapitre, et très compliqué à traiter en photo.

• Vous dites dans votre avant-propos que vous n’êtes pas un militant, ni un lanceur d’alerte, et que vous ne cherchez à convaincre personne. Que cherchez-vous à faire avec "Territoires dénaturés" ?

Ma volonté c’est d’informer : chercher des informations, les regrouper et les diffuser pour que les personnes qui veulent se renseigner le puissent. Je n’allais pas informer sur les « bienfaits » du nucléaire : tout le monde le fait. Mon travail c’est de chercher les choses endormies, masquées, moins regardées. Ce n’est pas normal que des incidents comme Three Mile Island, celui de Saint-Laurent ou du Blayais ne soient pas relayés ou que les conditions de travail des travailleurs du nucléaire ne soient pas connues. Je n’ai rien révélé d’inaccessible : toutes les infos que je transmets sont disponibles, mais j’ai mis en lumière des choses qui ne le sont pas. C’est pour ça que je dis que je ne suis pas militant ; je suis journaliste. Mais peut-être qu’informer c’est aussi militer.

• Le livre s’accompagne d’une exposition. Comment ces deux éléments ont été accueillis par le public ?

Pour l’instant il y a assez peu de retours. Je pense que c’est un livre qui s’installe dans la durée, que c’est une avancée en plus dans le travail de recherche sur le sujet. Mon but principal c’est l’information, et sur cet aspect le travail est fait : les gens qui ont vu l’expo en font un retour positif, en reconnaissant l’investissement, la recherche d’informations, la qualité des images et l’honnêteté de la démarche. Ils ont l’air touchés. Beaucoup ont reconnu qu’ils ne connaissaient pas ou ne s’attendaient pas à une telle ampleur de l’impact du nucléaire.

• Si vous ne pouviez garder qu’un seul cliché de votre enquête, lequel ce serait ?

Quelle question difficile ! C’est impossible, je pourrais raconter une anecdote sur chaque photo. Je pense à la scierie où je prends un compteur Geiger et d’où je m’en vais en courant ; je revois Christophe, avec sa trachéo, qui me tape sur l’épaule quand je m’en vais et qui me dit « merci pour ce que vous faites »… Toutes les photos racontent une histoire, une histoire liée à la mienne aussi. Je regarde le livre et je me dis surtout que je suis très content d’être arrivé au bout de ce travail.

Propos recueillis par Louiselle Debiez

Des photos qui valent mille mots

Avec notre pack "Territoires dénaturés" découvrez l’enquête-photo de Nicolas Gallon, commandez votre lot de 10 cartes postales exclusives et offrez un tirage inédit !

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• Comment vous est venue l’idée de réaliser cette enquête-photo sur le nucléaire en France ?

Presque par hasard ! C’est vraiment un point de départ personnel, je connaissais peu de choses. Comme beaucoup de mes concitoyens je ne m’étais posé que peu de questions sur l’énergie nucléaire avant le début de ce travail. Et puis en 2012, à l’approche de la commémoration de Fukushima, je me suis demandé « qu’est-ce qu’une centrale ? ». Sur un coup de tête, j’ai pris ma voiture et je suis parti pour Nogent-sur-Seine, la centrale la plus proche de là où j’habite, pour la photographier. Je me suis retrouvé face à un bâtiment industriel très impressionnant, imposant, presque beau tellement c’est majestueux. J’ai tourné autour pendant deux jours pour trouver un angle intéressant. Je suis arrivé à un stade où des enfants jouaient au foot, et je voyais la centrale derrière. Cette juxtaposition de la vie et de la centrale raconte pas mal de choses sur l’être humain et l’industrie. En tant que photo-journaliste et photographe social, je ne pouvais pas regarder ces centrales sans regarder l’être humain. C’est ce qui m’a donné envie de sillonner la France pour photographier toutes les centrales.

• Qu’est-ce qui vous a le plus marqué durant ce travail ?

Le premier choc, plus que les centrales que je photographiais sans trop me poser de questions tout en percevant des zones d’ombre, c’est quand je me suis rendu à La Hague. J’ai découvert cette péninsule magnifique et je me suis rendu compte que l’industrie nucléaire a pris toute la place, avec une main-mise sur le paysage, sur les esprits et sur la parole. J’ai rencontré des personnes qui m’ont dit « oui, il y a un problème, mais on ne peut pas en parler parce que mon beau-frère, mon fils, ma mère, etc travaille pour Orano ».
Sur un aspect plus positif, il y a aussi mon passage à Plogoff : à ce moment-là, ça faisait 10 ans que je travaillais sur ce reportage, et je ne m’en sortais pas. Travailler uniquement sur un sujet problématique comme celui du nucléaire peut être lourd. À Plogoff, je n’ai rencontré que des gens accueillants qui m’ont remotivé par leur lutte passée, j’ai vu ce paysage qui a été épargné, et je suis reparti requinqué et prêt à finir le travail !

• Un chapitre est consacré aux travailleurs du nucléaire. Comment avez-vous réussi à convaincre ces personnes de témoigner pour votre livre ?

Ça a été un enfer : j’arrivais à la fin du livre et il me manquait un chapitre, celui sur les travailleurs. Plusieurs m’ont dit « je sais qu’il y a un problème de dose », « je sais qu’on ne nous dit pas tout », mais ils refusaient d’être photographiés de peur de perdre leur travail.
Au final, les six ou sept travailleurs qui témoignent dans le livre sont soit des personnes qui ne travaillent plus dans le nucléaire, soit des personnes élues à des postes syndicaux qui font qu’elles ne peuvent pas être virées.

• Vos photographies sont accompagnées de textes, avec des rédacteurs variés. Parlez-nous d’eux.

Quand j’ai rencontré les Éditions Seuil j’avais déjà une idée très précise de ce que je voulais. J’avais les huit chapitres en tête et l’envie que pour chacun il y ait une prise de parole d’une personne qui connaisse la problématique. On s’est retrouvé avec des textes qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Au début on s’est dit que ça n’allait pas le faire. Et puis on s’est rendu compte que chacun parlait avec ses mots : l’ingénieur avec ses mots d’ingénieur, la militante avec ses mots de militante, etc., et on a trouvé ça hyper varié et intéressant. Le dernier texte, sur Bure, a été rédigé en collectif et en écriture inclusive. C’était une belle façon de terminer le livre.

• Il n’est pas question du nucléaire militaire dans votre enquête. Pourquoi ?

Quand j’ai commencé le sujet du nucléaire, je voulais parler du militaire et du civil, car l’un ne va pas sans l’autre. Mais très rapidement j’ai réalisé que je n’allais pas pouvoir aborder les deux, ça aurait été un travail monstrueux. En partie par facilité, j’ai choisi de me concentrer sur le nucléaire civil. On s’est posé la question d’intégrer un chapitre juste sur le nucléaire militaire, mais c’est un sujet trop vaste pour un seul chapitre, et très compliqué à traiter en photo.

• Vous dites dans votre avant-propos que vous n’êtes pas un militant, ni un lanceur d’alerte, et que vous ne cherchez à convaincre personne. Que cherchez-vous à faire avec "Territoires dénaturés" ?

Ma volonté c’est d’informer : chercher des informations, les regrouper et les diffuser pour que les personnes qui veulent se renseigner le puissent. Je n’allais pas informer sur les « bienfaits » du nucléaire : tout le monde le fait. Mon travail c’est de chercher les choses endormies, masquées, moins regardées. Ce n’est pas normal que des incidents comme Three Mile Island, celui de Saint-Laurent ou du Blayais ne soient pas relayés ou que les conditions de travail des travailleurs du nucléaire ne soient pas connues. Je n’ai rien révélé d’inaccessible : toutes les infos que je transmets sont disponibles, mais j’ai mis en lumière des choses qui ne le sont pas. C’est pour ça que je dis que je ne suis pas militant ; je suis journaliste. Mais peut-être qu’informer c’est aussi militer.

• Le livre s’accompagne d’une exposition. Comment ces deux éléments ont été accueillis par le public ?

Pour l’instant il y a assez peu de retours. Je pense que c’est un livre qui s’installe dans la durée, que c’est une avancée en plus dans le travail de recherche sur le sujet. Mon but principal c’est l’information, et sur cet aspect le travail est fait : les gens qui ont vu l’expo en font un retour positif, en reconnaissant l’investissement, la recherche d’informations, la qualité des images et l’honnêteté de la démarche. Ils ont l’air touchés. Beaucoup ont reconnu qu’ils ne connaissaient pas ou ne s’attendaient pas à une telle ampleur de l’impact du nucléaire.

• Si vous ne pouviez garder qu’un seul cliché de votre enquête, lequel ce serait ?

Quelle question difficile ! C’est impossible, je pourrais raconter une anecdote sur chaque photo. Je pense à la scierie où je prends un compteur Geiger et d’où je m’en vais en courant ; je revois Christophe, avec sa trachéo, qui me tape sur l’épaule quand je m’en vais et qui me dit « merci pour ce que vous faites »… Toutes les photos racontent une histoire, une histoire liée à la mienne aussi. Je regarde le livre et je me dis surtout que je suis très content d’être arrivé au bout de ce travail.

Propos recueillis par Louiselle Debiez

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