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Sortir du nucléaire n°60



Février 2014

Nucléaire militaire

Uranium appauvri : un tueur méconnu

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°60 - Février 2014

 Nucléaire militaire


Depuis quelques décennies, plusieurs pays ont recours aux armes à l’uranium appauvri (UA). Très chimiotoxique, ce sont aussi de puissantes armes radiologiques. Malgré les dangers qu’elles représentent, leur utilisation est encore légale. Revenons sur les dangers et les impacts de ces armes terribles.



 

Les armes à l’uranium appauvri, c’est quoi ?

L’uranium appauvri (UA) est un sous-produit de l’enrichissement de l’uranium et du traitement du combustible usé. Il ne possède pas les propriétés nécessaires pour être utilisé dans un réacteur mais cela ne le rend pas moins dangereux, bien au contraire. Par ailleurs, cette substance est très toxique. L’UA est utilisé dans l’armement pour ses propriétés physiques. Étant un métal lourd, il est d’une efficacité redoutable pour transpercer les parois des chars blindés. Il est tellement dur qu’il ne se déforme pas lorsqu’il entre en contact avec sa cible, mais s’enflamme, en relâchant en grande quantité de minuscules particules radioactives. Transportées par le vent, ces particules peuvent se retrouver dans l’eau, le sol, les nappes phréatiques… contaminant tout l’environnement. L’usage de l’UA vient une nouvelle fois contrecarrer le mythe d’une frontière imperméable entre le nucléaire militaire et civil. En effet, l’UA utilisé pour la fabrication d’obus-flèches provient de la filière civile, et notamment des étapes d’enrichissement et retraitement.

L’UA équipe aujourd’hui les chars Leclerc. En France, deux sites militaires accueillent les essais d’obus à l’UA : à Bourges (Cher,) les essais se font en plein air, tandis qu’à Gramat (Lot), les tirs d’obus ont lieu dans des cavités souterraines [1] . La Direction Générale de l’Armement assure qu’il n’y a aucun risque de contamination mais le secret-défense entourant ces essais ne permet pas d’en être certain.

Où ces armes ont-elles été utilisées et quand ?

Ces armes ont d’ores et déjà fait beaucoup de victimes sur la planète, ayant été utilisées dans de nombreux conflits : en Ex-Yougoslavie, pendant le conflit qui a entraîné une intervention des forces de l’OTAN, en Irak pendant la Guerre du Golfe de 1991 et pendant l’intervention américaine de 2003. On soupçonne aussi les États-Unis d’avoir utilisé des armes à l’UA en Afghanistan. De plus, il y a de fortes suspicions d’utilisation d’UA pendant la guerre du Liban par l’armée israélienne. On estime que 140 000 kg d’UA auraient été utilisés dans ces conflits avant 2004 [2].

Quels sont les impacts des armes à l’uranium appauvri ?

Les propriétés chimiques et radiologiques de l’UA ont des impacts désastreux sur l’environnement et les êtres humains. La contamination à l’UA se fait quasi exclusivement de manière interne, car le rayonnement émis par l’UA est très court. Ainsi, il y a trois voies majeures de contamination : par ingestion, lésion cutanée, ou par l’inhalation de particules, qui est la plus dangereuse pour les êtres vivants.

L’UA peut atteindre les reins, les poumons, le squelette, les organes reproducteurs, la thyroïde, les muscles, les ganglions lymphatiques ainsi que le système neurologique. Les types de pathologies observées sont principalement les cancers et les malformations congénitales. Les effets ne sont pas les mêmes selon l’intensité et la durée d’exposition, mais aussi selon la nature physique et chimique de l’UA. En outre, les enfants sont beaucoup plus vulnérables aux effets de l’UA. La Commission Internationale de Protection Radiologique a été obligée d’admettre officiellement que, si le risque augmente en fonction de la dose reçue, il n’existe pas de seuil d’innocuité [3]. On observe ces pathologies chez les populations victimes de bombardements à l’UA, mais aussi chez les vétérans.

Une arme qui ne respecte pas le Droit International Humanitaire

Malgré leur incroyable dangerosité, les armes à l’UA sont toujours "légales", bien qu’elles ne remplissent aucun des critères du droit international humanitaire, censé définir ce qui est "acceptable" lors d’un conflit. Tout d’abord parce qu’on ne peut pas limiter les effets de l’UA au champ de bataille. Avec le vent, les particules radioactives sont dispersées dans l’environnement et ne peuvent être circonscrites à un lieu donné. Cette dispersion peut donc atteindre des cibles dites "illégales" : les civils, voire les pays voisins qui ne sont pas en guerre.

Deuxièmement, l’UA continue d’avoir des effets sur l’environnement et la population même après la fin du conflit. Il continue donc d’agir pendant des laps de temps très importants. En outre, procéder à un nettoyage des lieux contaminés apparaît complètement irréaliste au vu de la volatilité des particules, et l’UA continue à tuer, même des centaines d’années après la fin d’un conflit, quand plus aucun belligérant n’est encore en vie.

Au regard des effets de l’UA sur l’être humain, on ne peut qualifier cette arme d’ "humainement acceptable". Elle provoque des pathologies extrêmement graves. Mais le plus inhumain ici vient du fait qu’en s’attaquant à l’ADN, l’UA met en péril le capital génétique des personnes et détruit à petit feu des populations entières. De génération en génération, les effets s’accumulent… Son utilisation constitue donc un crime contre l’humanité. Enfin, les effets de l’UA sur l’environnement peuvent être considérés comme irréversibles tant ils sont néfastes et perdurent dans le temps. Les eaux, les terres agricoles, l’air et, au final, toute la chaîne alimentaire sont contaminés.

Les armes à l’UA devraient donc être considérées comme illégales. Mais pour un arrêt définitif de leur utilisation, il faudrait que les instances internationales se saisissent du problème. Or, le chemin à parcourir est encore très long. D’autant plus que cela sous-entendrait que les pays utilisateurs de ces armes doivent procéder à la décontamination des zones où ils ont utilisé l’UA et au dédommagement des victimes. Les sommes à débourser sont tellement colossales que rendre illégale l’utilisation de l’UA serait difficile à assumer financièrement pour les pays utilisateurs… Au détriment de vies humaines.

Les nouvelles révélations sur l’usage de l’uranium appauvri en Irak

Depuis 1959, l’Organisation mondiale de la santé est liée à l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique par un accord qui lui interdit de publier des rapports qui concernent la radioactivité sans l’aval de cette dernière. De ce fait, aucun des rapports "critiques" de l’OMS sur les armes à l’uranium appauvri n’a jamais été publié.

Pour la première fois en 2011, une prestigieuse revue médicale, l’International Journal of Environmental Research and Public Health, publiait des données sur les conséquences de l’usage d’armes chimiques par l’armée américaine en Irak, et plus particulièrement d’armes à l’UA.

Les chercheurs font le lien entre les assauts de l’armée – dont la terrible opération militaire Phantom Fury de 2004 – à Falloujah et la croissance brutale des cancers, la hausse spectaculaire des fausse-couches, des naissances prématurées, et des malformations congénitales.

Les armes utilisées dans ces combats contiennent des substances chimiques comme le phosphore, le napalm, et l’uranium appauvri. C’est sur ce dernier que se concentrent plus particulièrement les études.

Le bilan humain de ces assauts ne peut être définitif, et ne le sera jamais, l’UA provoquant des modifications génétiques irréversibles et qui s’accumulent dans le temps. Les Irakiens vont continuer de subir les détériorations de leur patrimoine génétique au fil du temps…

Récemment, de nouveaux chiffres sur les effets de l’UA sur la population irakienne ont été dévoilés. Des médecins de l’hôpital de Falloujah ont observé une croissance très inquiétante du nombre de bébés naissant avec des malformations congénitales : celles-ci concerneraient 144 naissances sur 1000, soit 14,4 %. Ce taux est normalement inférieur à 2 %, explique le docteur Alaani, qui étudie ce phénomène depuis de nombreuses années à Falloujah. Mais bien évidemment, l’OMS reste muette…

Mélisande Seyzériat


Notes

[1Jean-Dominique Merchet, "Plus de 2000 obus à l’uranium appauvri testés en France", Libération, 11 janvier 2001

[3Joëlle Penochet, "Les dangers de l’emploi de munitions à l’uranium appauvri", Médecines Nouvelles, 3ème trimestre, 2002, pp.79-90

 

Les armes à l’uranium appauvri, c’est quoi ?

L’uranium appauvri (UA) est un sous-produit de l’enrichissement de l’uranium et du traitement du combustible usé. Il ne possède pas les propriétés nécessaires pour être utilisé dans un réacteur mais cela ne le rend pas moins dangereux, bien au contraire. Par ailleurs, cette substance est très toxique. L’UA est utilisé dans l’armement pour ses propriétés physiques. Étant un métal lourd, il est d’une efficacité redoutable pour transpercer les parois des chars blindés. Il est tellement dur qu’il ne se déforme pas lorsqu’il entre en contact avec sa cible, mais s’enflamme, en relâchant en grande quantité de minuscules particules radioactives. Transportées par le vent, ces particules peuvent se retrouver dans l’eau, le sol, les nappes phréatiques… contaminant tout l’environnement. L’usage de l’UA vient une nouvelle fois contrecarrer le mythe d’une frontière imperméable entre le nucléaire militaire et civil. En effet, l’UA utilisé pour la fabrication d’obus-flèches provient de la filière civile, et notamment des étapes d’enrichissement et retraitement.

L’UA équipe aujourd’hui les chars Leclerc. En France, deux sites militaires accueillent les essais d’obus à l’UA : à Bourges (Cher,) les essais se font en plein air, tandis qu’à Gramat (Lot), les tirs d’obus ont lieu dans des cavités souterraines [1] . La Direction Générale de l’Armement assure qu’il n’y a aucun risque de contamination mais le secret-défense entourant ces essais ne permet pas d’en être certain.

Où ces armes ont-elles été utilisées et quand ?

Ces armes ont d’ores et déjà fait beaucoup de victimes sur la planète, ayant été utilisées dans de nombreux conflits : en Ex-Yougoslavie, pendant le conflit qui a entraîné une intervention des forces de l’OTAN, en Irak pendant la Guerre du Golfe de 1991 et pendant l’intervention américaine de 2003. On soupçonne aussi les États-Unis d’avoir utilisé des armes à l’UA en Afghanistan. De plus, il y a de fortes suspicions d’utilisation d’UA pendant la guerre du Liban par l’armée israélienne. On estime que 140 000 kg d’UA auraient été utilisés dans ces conflits avant 2004 [2].

Quels sont les impacts des armes à l’uranium appauvri ?

Les propriétés chimiques et radiologiques de l’UA ont des impacts désastreux sur l’environnement et les êtres humains. La contamination à l’UA se fait quasi exclusivement de manière interne, car le rayonnement émis par l’UA est très court. Ainsi, il y a trois voies majeures de contamination : par ingestion, lésion cutanée, ou par l’inhalation de particules, qui est la plus dangereuse pour les êtres vivants.

L’UA peut atteindre les reins, les poumons, le squelette, les organes reproducteurs, la thyroïde, les muscles, les ganglions lymphatiques ainsi que le système neurologique. Les types de pathologies observées sont principalement les cancers et les malformations congénitales. Les effets ne sont pas les mêmes selon l’intensité et la durée d’exposition, mais aussi selon la nature physique et chimique de l’UA. En outre, les enfants sont beaucoup plus vulnérables aux effets de l’UA. La Commission Internationale de Protection Radiologique a été obligée d’admettre officiellement que, si le risque augmente en fonction de la dose reçue, il n’existe pas de seuil d’innocuité [3]. On observe ces pathologies chez les populations victimes de bombardements à l’UA, mais aussi chez les vétérans.

Une arme qui ne respecte pas le Droit International Humanitaire

Malgré leur incroyable dangerosité, les armes à l’UA sont toujours "légales", bien qu’elles ne remplissent aucun des critères du droit international humanitaire, censé définir ce qui est "acceptable" lors d’un conflit. Tout d’abord parce qu’on ne peut pas limiter les effets de l’UA au champ de bataille. Avec le vent, les particules radioactives sont dispersées dans l’environnement et ne peuvent être circonscrites à un lieu donné. Cette dispersion peut donc atteindre des cibles dites "illégales" : les civils, voire les pays voisins qui ne sont pas en guerre.

Deuxièmement, l’UA continue d’avoir des effets sur l’environnement et la population même après la fin du conflit. Il continue donc d’agir pendant des laps de temps très importants. En outre, procéder à un nettoyage des lieux contaminés apparaît complètement irréaliste au vu de la volatilité des particules, et l’UA continue à tuer, même des centaines d’années après la fin d’un conflit, quand plus aucun belligérant n’est encore en vie.

Au regard des effets de l’UA sur l’être humain, on ne peut qualifier cette arme d’ "humainement acceptable". Elle provoque des pathologies extrêmement graves. Mais le plus inhumain ici vient du fait qu’en s’attaquant à l’ADN, l’UA met en péril le capital génétique des personnes et détruit à petit feu des populations entières. De génération en génération, les effets s’accumulent… Son utilisation constitue donc un crime contre l’humanité. Enfin, les effets de l’UA sur l’environnement peuvent être considérés comme irréversibles tant ils sont néfastes et perdurent dans le temps. Les eaux, les terres agricoles, l’air et, au final, toute la chaîne alimentaire sont contaminés.

Les armes à l’UA devraient donc être considérées comme illégales. Mais pour un arrêt définitif de leur utilisation, il faudrait que les instances internationales se saisissent du problème. Or, le chemin à parcourir est encore très long. D’autant plus que cela sous-entendrait que les pays utilisateurs de ces armes doivent procéder à la décontamination des zones où ils ont utilisé l’UA et au dédommagement des victimes. Les sommes à débourser sont tellement colossales que rendre illégale l’utilisation de l’UA serait difficile à assumer financièrement pour les pays utilisateurs… Au détriment de vies humaines.

Les nouvelles révélations sur l’usage de l’uranium appauvri en Irak

Depuis 1959, l’Organisation mondiale de la santé est liée à l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique par un accord qui lui interdit de publier des rapports qui concernent la radioactivité sans l’aval de cette dernière. De ce fait, aucun des rapports "critiques" de l’OMS sur les armes à l’uranium appauvri n’a jamais été publié.

Pour la première fois en 2011, une prestigieuse revue médicale, l’International Journal of Environmental Research and Public Health, publiait des données sur les conséquences de l’usage d’armes chimiques par l’armée américaine en Irak, et plus particulièrement d’armes à l’UA.

Les chercheurs font le lien entre les assauts de l’armée – dont la terrible opération militaire Phantom Fury de 2004 – à Falloujah et la croissance brutale des cancers, la hausse spectaculaire des fausse-couches, des naissances prématurées, et des malformations congénitales.

Les armes utilisées dans ces combats contiennent des substances chimiques comme le phosphore, le napalm, et l’uranium appauvri. C’est sur ce dernier que se concentrent plus particulièrement les études.

Le bilan humain de ces assauts ne peut être définitif, et ne le sera jamais, l’UA provoquant des modifications génétiques irréversibles et qui s’accumulent dans le temps. Les Irakiens vont continuer de subir les détériorations de leur patrimoine génétique au fil du temps…

Récemment, de nouveaux chiffres sur les effets de l’UA sur la population irakienne ont été dévoilés. Des médecins de l’hôpital de Falloujah ont observé une croissance très inquiétante du nombre de bébés naissant avec des malformations congénitales : celles-ci concerneraient 144 naissances sur 1000, soit 14,4 %. Ce taux est normalement inférieur à 2 %, explique le docteur Alaani, qui étudie ce phénomène depuis de nombreuses années à Falloujah. Mais bien évidemment, l’OMS reste muette…

Mélisande Seyzériat



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