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Sortir du nucléaire n°57



Printemps 2013

Artistes

Un printemps à Tchernobyl

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°57 - Printemps 2013

 Tchernobyl


En 1998, le "dessin’acteur" Emmanuel Lepage participe à un projet artistique à Tchernobyl. Il en revient bouleversé. Quatre ans après ce séjour, il vient d’éditer Un printemps à Tchernobyl, dans lequel il recourt à la bande-dessinée, à l’illustration et au croquis. Un beau "livre graphique" débordant d’humanité.



Pourquoi cette prédominance de noir et blanc ?

Avant de partir, je pensais travailler avec ces couleurs pour conjuguer avec la catastrophe. Sans en avoir vraiment conscience, je me faisais une certaine idée de ce que j’allais découvrir. Preuve en est le matériel choisi, des crayons et des encres noirs. La tragédie ne pouvait se traduire que de cette façon. Je suis parti avec l’idée de paysages morbides. Puis je me suis laissé surprendre par la vie. La couleur évoquait cette métamorphose qui s’opérait en moi. Elle s’est rapidement imposée, presque naturellement, face à ce que je voyais.

À un moment donné en forêt je dessinais un paysage magnifique et j’ai alors convoqué la couleur. Quand je regarde le dessin, je me rends compte que mes sens ne me disaient rien du réel. Une situation troublante, on sait que c’est dangereux, le compteur Geiger nous le rappelle et pourtant on ne voit rien, on ne sent rien.

C’est tout ce trouble qui m’a guidé. C’était vertigineux. Comment combler cette absence ? Tout cela pour moi participe de l’imaginaire. Puisque l’on ne distingue rien, on comble ce vide par nos peurs.

Quels furent tes rapport avec les habitants ?

La plupart sont encore là pour la simple raison qu’ils n’ont pas la possibilité économique de partir. À Volodarka, un tiers des maisons est abandonné. Ceux qui ont eu les moyens de partir l’ont fait. Il y a aussi des raisons affectives. Ils sont nés, ont grandi ici, ont leurs amis, leurs maisons. C’est un attachement viscéral. Et puis pour faire quoi et vivre comment ailleurs ?

Quant à la notion de danger, ils l’oublient. Nous mêmes nous l’oubliions ! Ou alors ils se disent qu’ils vont passer au travers.

Ils savent que c’est dangereux, ils connaissent les conséquences. Certains l’ont vécu dans leur chair. Mais ils n’ont bien souvent pas d’autre horizon que l’alcool. Dans une désespérance du quotidien. Rien d’étonnant après les événements qui ont suivi la catastrophe : les évacuations, les villes abandonnées, les enfants qui ont quitté Volodarka plusieurs mois, etc.

Avais-tu déjà une sensibilité antinucléaire ?

Je n’étais pas à proprement parler militant. Je suis tout de même membre du collectif Dessin’Acteurs, c’est donc que j’entendais mettre mon dessin au service d’actions concrètes. J’avais eu un "engagement" précédemment en déclinant une proposition d’EDF pour vanter la qualité de vie nucléaire !

Mais il est vrai que je ne suis pas allé à Tchernobyl dans un esprit militant. C’était plutôt la curiosité de me confronter à cette catastrophe, à ce qui s’y était passé et ce que c’était devenu. Maintenant je continue ce chemin, avec un bref séjour à Fukushima en novembre dernier.

As-tu découvert une face cachée du nucléaire ?

Ce que j’ai découvert, c’est ce vide des sens. Comment le remplir ? On a besoin d’incarnation, de preuve. J’ai passé beaucoup de temps à chercher des signes, du matériel témoignant d’une contamination. Cette absence est très déstabilisante, angoissante. Les gens vivent dans cette perpétuelle incertitude. C’est ce que j’ai également vu à Fukushima : aucune preuve concrète et un profond déséquilibre chez les habitants.

Surtout qu’ils ne sont pas perçus comme des victimes et sont niés dans leur souffrance. À Fukushima, ce fut la colère de revoir la même chose une deuxième fois. L’impression que l’on ne comprend rien. Même drame, mêmes mensonges.

Propos recueillis par Jocelyn Peyret

Le séjour à Fukushima d’Emmanuel Lepage pourrait paraître en histoire courte... à suivre ! Et pour en savoir plus sur le collectif des Dessin’Acteurs : www.dessinacteurs.org

Pourquoi cette prédominance de noir et blanc ?

Avant de partir, je pensais travailler avec ces couleurs pour conjuguer avec la catastrophe. Sans en avoir vraiment conscience, je me faisais une certaine idée de ce que j’allais découvrir. Preuve en est le matériel choisi, des crayons et des encres noirs. La tragédie ne pouvait se traduire que de cette façon. Je suis parti avec l’idée de paysages morbides. Puis je me suis laissé surprendre par la vie. La couleur évoquait cette métamorphose qui s’opérait en moi. Elle s’est rapidement imposée, presque naturellement, face à ce que je voyais.

À un moment donné en forêt je dessinais un paysage magnifique et j’ai alors convoqué la couleur. Quand je regarde le dessin, je me rends compte que mes sens ne me disaient rien du réel. Une situation troublante, on sait que c’est dangereux, le compteur Geiger nous le rappelle et pourtant on ne voit rien, on ne sent rien.

C’est tout ce trouble qui m’a guidé. C’était vertigineux. Comment combler cette absence ? Tout cela pour moi participe de l’imaginaire. Puisque l’on ne distingue rien, on comble ce vide par nos peurs.

Quels furent tes rapport avec les habitants ?

La plupart sont encore là pour la simple raison qu’ils n’ont pas la possibilité économique de partir. À Volodarka, un tiers des maisons est abandonné. Ceux qui ont eu les moyens de partir l’ont fait. Il y a aussi des raisons affectives. Ils sont nés, ont grandi ici, ont leurs amis, leurs maisons. C’est un attachement viscéral. Et puis pour faire quoi et vivre comment ailleurs ?

Quant à la notion de danger, ils l’oublient. Nous mêmes nous l’oubliions ! Ou alors ils se disent qu’ils vont passer au travers.

Ils savent que c’est dangereux, ils connaissent les conséquences. Certains l’ont vécu dans leur chair. Mais ils n’ont bien souvent pas d’autre horizon que l’alcool. Dans une désespérance du quotidien. Rien d’étonnant après les événements qui ont suivi la catastrophe : les évacuations, les villes abandonnées, les enfants qui ont quitté Volodarka plusieurs mois, etc.

Avais-tu déjà une sensibilité antinucléaire ?

Je n’étais pas à proprement parler militant. Je suis tout de même membre du collectif Dessin’Acteurs, c’est donc que j’entendais mettre mon dessin au service d’actions concrètes. J’avais eu un "engagement" précédemment en déclinant une proposition d’EDF pour vanter la qualité de vie nucléaire !

Mais il est vrai que je ne suis pas allé à Tchernobyl dans un esprit militant. C’était plutôt la curiosité de me confronter à cette catastrophe, à ce qui s’y était passé et ce que c’était devenu. Maintenant je continue ce chemin, avec un bref séjour à Fukushima en novembre dernier.

As-tu découvert une face cachée du nucléaire ?

Ce que j’ai découvert, c’est ce vide des sens. Comment le remplir ? On a besoin d’incarnation, de preuve. J’ai passé beaucoup de temps à chercher des signes, du matériel témoignant d’une contamination. Cette absence est très déstabilisante, angoissante. Les gens vivent dans cette perpétuelle incertitude. C’est ce que j’ai également vu à Fukushima : aucune preuve concrète et un profond déséquilibre chez les habitants.

Surtout qu’ils ne sont pas perçus comme des victimes et sont niés dans leur souffrance. À Fukushima, ce fut la colère de revoir la même chose une deuxième fois. L’impression que l’on ne comprend rien. Même drame, mêmes mensonges.

Propos recueillis par Jocelyn Peyret

Le séjour à Fukushima d’Emmanuel Lepage pourrait paraître en histoire courte... à suivre ! Et pour en savoir plus sur le collectif des Dessin’Acteurs : www.dessinacteurs.org



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