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Sortir du nucléaire n°87



Automne 2020

Scandaleuses mines d’uranium en Afrique

Depuis longtemps, le continent africain a fait l’objet de prospection de roches uranifères et subi des extractions de minerais d’uranium avec toutes les pollutions liées à ces activités.

Uranium et mines
© AdobeStock

Durant la Seconde Guerre mondiale, l’exploitant belge Sengier de la mine de Shinkolobwe, située au Congo, a fourni des milliers de tonnes d’uranium aux promoteurs du projet Manhattan ayant débouché sur les premières bombes, dont celle d’Hiroshima. Dès la fin de la guerre, la France créée le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) et lance des campagnes de prospection en France et à Madagascar, puis dans toutes les colonies françaises. À partir de 1953 au Gabon, d’intéressants gisements uranifères sont détectés.

Au Gabon

La Comuf, filiale de la Cogema (ancêtre d’Orano), a exploité le gisement de Mounana au Gabon, pendant plus de 40 ans contribuant ainsi à la soi-disant ‘’indépendance énergétique française’’. Cette mine a cessé de fonctionner en 1999, après quelques 28 000 tonnes de concentré d’uranium extraites. Les séquelles sont toujours d’actualité : mineurs victimes de cancers, de pathologies rénales et pulmonaires, habitants exposés aux rayonnements dans des maisons construites avec des stériles miniers, population contaminée par les eaux des rivières et des nappes phréatiques.

En Namibie

En Namibie, pays situé au nord de l’Afrique du Sud, existent plusieurs mines d’uranium à ciel ouvert. La plus grande, et une des plus anciennes, est celle de Rössing, exploitée depuis 1976 par le groupe anglo-australien Rio Tinto, mais cédée en juillet 2019 à la CNUC (China National Uranium Corporation). En janvier 2014, eut lieu un grave accident de réservoir de lixiviation, entraînant une forte contamination radioactive dénoncée par la Criirad. Un peu plus au sud, à Husab, en 2014, une autre mine a été ouverte et exploitée par Swakop Uranium, filiale d’un autre groupe chinois, CGNPC. En janvier 2015 elle connaît sa première grève des ouvriers mal payés, mal logés et peu suivis sur le plan médical. En décembre 2015 un incendie se produit dans l’usine de broyage du minerai. Malgré cela, l’objectif de la mine reste la production de 6 000 tonnes de ‘’Yellow cake’’ d’uranium (U308) par an. À Trekkopje, où Areva comptait exploiter un gisement d’uranium, racheté à la sulfureuse société Uramin (Cf. encadré page 32) de très gros investissements ont été réalisés (plus d’un milliard d’euros), notamment pour une usine de dessalement d’eau de mer située à 45 km du site pour l’alimenter en eau… Fiasco retentissant : la faible teneur en uranium du gisement (120 grammes par tonne de minerai) et la chute des cours boursiers ont contraint Areva à ne pas exploiter le site. Remarquons que les autres mines rachetées à Uramin ne seront pas non plus exploitées, notamment celle de Bakouma en Centrafrique malgré les pressions des VRP nucléocrates que sont N. Sarkozy et P. Balkany.

Au Niger

Depuis plus de 50 ans, la France importe de l’uranium nigérien, via deux sociétés créées par la Cogema (devenue Areva, puis Orano) : la Somaïr (en 1968) pour exploiter la mine à ciel ouvert proche d’Arlit, et la Cominak (en 1974) pour exploiter la mine souterraine d’Akokan. La France obtient alors une concession d’exploitation valable pour 75 ans !

Ainsi, au total, 140 000 tonnes de ‘’Yellow cake’’ ont été extraits. Tout au long de ces années, Areva (avec le soutien de l’État français) a manœuvré pour rester maître de ses activités extractives et du prix bradé de l’uranium. L’état nigérien, maintenu minoritaire, a très peu bénéficié de la rente minière restée longtemps à seulement 5% du PIB du pays.

Le plus catastrophique réside dans la contamination liée aux activités d’extraction et de traitement, au mépris de la vie et de l’avenir des populations locales.

L’air est pollué par les poussières radioactives et les émanations de radon. Les sols sont pollués : plus de 35 millions de tonnes de stériles miniers radioactifs (dont certains ont servi de remblais), des jus et boues fuyant des bassins de décantation. Certaines ferrailles radioactives issues des mines ont même été ‘’recyclées’’. Les eaux de consommation sont également polluées par la radioactivité.

L’eau ? Du fait des procédés de lixiviation, le traitement des minerais concassés en nécessite d’énormes quantités ; on estime que plus de 300 millions de m3 d’eau ont déjà été pompées dans la nappe phréatique fossile, l’épuisant à plus de 75%.

Le C02 ? Les deux sites miniers nécessitent beaucoup d’énergie électrique, fournie par une centrale thermique alimentée par le charbon de la mine de Tchirozérine (150 000 tonnes/an !). Il faut aussi beaucoup de pétrole pour la production des consommables (ciment, nitrate d’ammonium, soufre, huiles, solvants, etc.) et les transports de minerai et yellow cake.

Les travailleurs des mines ont été ou sont surexposés aux radiations ; la population est contaminée. L’association nigérienne Aghirin’man, faisant appel à l’expertise de la Criirad, a dénoncé à de nombreuses reprises ces contaminations et leurs conséquences sur la santé des autochtones. Face à cette situation, Areva a signé en 2009 des accords avec l’association Sherpa et créé des ‘’Observatoires de la santé’’ au Niger et au Gabon. Mais en 2012, le manque de volonté d’Areva a conduit Sherpa à dénoncer ces accords.

Et le probable retrait d’Orano du Niger risque de laisser la région d’Arlit en triste état.

Projet de mine à Imouraren au Niger Découvert à la même époque que celui d’Arlit, l’immense gisement d’Imouraren pâtit d’une faible teneur en uranium. Par manque de rentabilité, son exploitation a été reportée plusieurs fois. En 2007, dans une hypothétique relance du nucléaire mondial, le cours de l’uranium est monté à 140 dollars la livre. Anne Lauvergeon, alors Présidente du Directoire d’Areva, a médiatisé la future exploitation de la mine d’Imouraren, évitant de signaler bien sûr que les nomades utilisant ce territoire de 200 km² en avaient été chassés. Le terrain a été clôturé et gardé militairement ; de nombreux forages ont été réalisés.

Le désenchantement a été rapide, car, en quelques mois, le cours de l’uranium est redescendu à 80 dollars la livre. Et la catastrophe de Fukushima a accentué la chute de ce cours (40 dollars en 2011, et même 20 dollars par la suite).

Affaire Areva-Uramin

Au printemps 2007, sous le règne de ‘’Atomik Anne’’ (Lauvergeon), Areva rachète Uramin, petite société propriétaire de mines d’uranium en Afrique pour 2,5 milliards de dollars, soit 700 fois plus que l’achat de ces mines par Uramin en 2005 et 2006 (moins de 37 millions de dollars).

Cette affaire Areva/Uramin constitue à la fois une histoire mafieuse et un scandale d’État. Si on n’en connaît toujours pas tous les ‘’bénéficiaires’’, ce qui est sûr c’est que les contribuables français ont dû renflouer Areva pour cette gabegie. Comment expliquer que le ‘’géant français du nucléaire’’, doté des meilleurs experts géologues et financiers, ait pu gaspiller autant d’argent public ? La mégalomanie de certains ingénieurs X-Mines ne jurant que par la puissance du nucléaire, le machiavélisme de certains hommes politiques assoiffés de pouvoir et d’argent, la culture du secret-défense omniprésente dans le nucléaire, le chantage à l’emploi faisant taire les révélations des dérives mafieuses constituent les principales causes de ce scandale.

Bernard Cottier

Pour aller plus loin :

 ’Areva en Afrique’’, livre édifiant de Raphaël Granvaud (Editions Agone/Survie)
 ‘‘Uramin’’ Les dossiers de Médiapart
 Communiqués de presse et rapports scientifiques de la CRIIRAD http://www.criirad.org/

© AdobeStock

Durant la Seconde Guerre mondiale, l’exploitant belge Sengier de la mine de Shinkolobwe, située au Congo, a fourni des milliers de tonnes d’uranium aux promoteurs du projet Manhattan ayant débouché sur les premières bombes, dont celle d’Hiroshima. Dès la fin de la guerre, la France créée le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) et lance des campagnes de prospection en France et à Madagascar, puis dans toutes les colonies françaises. À partir de 1953 au Gabon, d’intéressants gisements uranifères sont détectés.

Au Gabon

La Comuf, filiale de la Cogema (ancêtre d’Orano), a exploité le gisement de Mounana au Gabon, pendant plus de 40 ans contribuant ainsi à la soi-disant ‘’indépendance énergétique française’’. Cette mine a cessé de fonctionner en 1999, après quelques 28 000 tonnes de concentré d’uranium extraites. Les séquelles sont toujours d’actualité : mineurs victimes de cancers, de pathologies rénales et pulmonaires, habitants exposés aux rayonnements dans des maisons construites avec des stériles miniers, population contaminée par les eaux des rivières et des nappes phréatiques.

En Namibie

En Namibie, pays situé au nord de l’Afrique du Sud, existent plusieurs mines d’uranium à ciel ouvert. La plus grande, et une des plus anciennes, est celle de Rössing, exploitée depuis 1976 par le groupe anglo-australien Rio Tinto, mais cédée en juillet 2019 à la CNUC (China National Uranium Corporation). En janvier 2014, eut lieu un grave accident de réservoir de lixiviation, entraînant une forte contamination radioactive dénoncée par la Criirad. Un peu plus au sud, à Husab, en 2014, une autre mine a été ouverte et exploitée par Swakop Uranium, filiale d’un autre groupe chinois, CGNPC. En janvier 2015 elle connaît sa première grève des ouvriers mal payés, mal logés et peu suivis sur le plan médical. En décembre 2015 un incendie se produit dans l’usine de broyage du minerai. Malgré cela, l’objectif de la mine reste la production de 6 000 tonnes de ‘’Yellow cake’’ d’uranium (U308) par an. À Trekkopje, où Areva comptait exploiter un gisement d’uranium, racheté à la sulfureuse société Uramin (Cf. encadré page 32) de très gros investissements ont été réalisés (plus d’un milliard d’euros), notamment pour une usine de dessalement d’eau de mer située à 45 km du site pour l’alimenter en eau… Fiasco retentissant : la faible teneur en uranium du gisement (120 grammes par tonne de minerai) et la chute des cours boursiers ont contraint Areva à ne pas exploiter le site. Remarquons que les autres mines rachetées à Uramin ne seront pas non plus exploitées, notamment celle de Bakouma en Centrafrique malgré les pressions des VRP nucléocrates que sont N. Sarkozy et P. Balkany.

Au Niger

Depuis plus de 50 ans, la France importe de l’uranium nigérien, via deux sociétés créées par la Cogema (devenue Areva, puis Orano) : la Somaïr (en 1968) pour exploiter la mine à ciel ouvert proche d’Arlit, et la Cominak (en 1974) pour exploiter la mine souterraine d’Akokan. La France obtient alors une concession d’exploitation valable pour 75 ans !

Ainsi, au total, 140 000 tonnes de ‘’Yellow cake’’ ont été extraits. Tout au long de ces années, Areva (avec le soutien de l’État français) a manœuvré pour rester maître de ses activités extractives et du prix bradé de l’uranium. L’état nigérien, maintenu minoritaire, a très peu bénéficié de la rente minière restée longtemps à seulement 5% du PIB du pays.

Le plus catastrophique réside dans la contamination liée aux activités d’extraction et de traitement, au mépris de la vie et de l’avenir des populations locales.

L’air est pollué par les poussières radioactives et les émanations de radon. Les sols sont pollués : plus de 35 millions de tonnes de stériles miniers radioactifs (dont certains ont servi de remblais), des jus et boues fuyant des bassins de décantation. Certaines ferrailles radioactives issues des mines ont même été ‘’recyclées’’. Les eaux de consommation sont également polluées par la radioactivité.

L’eau ? Du fait des procédés de lixiviation, le traitement des minerais concassés en nécessite d’énormes quantités ; on estime que plus de 300 millions de m3 d’eau ont déjà été pompées dans la nappe phréatique fossile, l’épuisant à plus de 75%.

Le C02 ? Les deux sites miniers nécessitent beaucoup d’énergie électrique, fournie par une centrale thermique alimentée par le charbon de la mine de Tchirozérine (150 000 tonnes/an !). Il faut aussi beaucoup de pétrole pour la production des consommables (ciment, nitrate d’ammonium, soufre, huiles, solvants, etc.) et les transports de minerai et yellow cake.

Les travailleurs des mines ont été ou sont surexposés aux radiations ; la population est contaminée. L’association nigérienne Aghirin’man, faisant appel à l’expertise de la Criirad, a dénoncé à de nombreuses reprises ces contaminations et leurs conséquences sur la santé des autochtones. Face à cette situation, Areva a signé en 2009 des accords avec l’association Sherpa et créé des ‘’Observatoires de la santé’’ au Niger et au Gabon. Mais en 2012, le manque de volonté d’Areva a conduit Sherpa à dénoncer ces accords.

Et le probable retrait d’Orano du Niger risque de laisser la région d’Arlit en triste état.

Projet de mine à Imouraren au Niger Découvert à la même époque que celui d’Arlit, l’immense gisement d’Imouraren pâtit d’une faible teneur en uranium. Par manque de rentabilité, son exploitation a été reportée plusieurs fois. En 2007, dans une hypothétique relance du nucléaire mondial, le cours de l’uranium est monté à 140 dollars la livre. Anne Lauvergeon, alors Présidente du Directoire d’Areva, a médiatisé la future exploitation de la mine d’Imouraren, évitant de signaler bien sûr que les nomades utilisant ce territoire de 200 km² en avaient été chassés. Le terrain a été clôturé et gardé militairement ; de nombreux forages ont été réalisés.

Le désenchantement a été rapide, car, en quelques mois, le cours de l’uranium est redescendu à 80 dollars la livre. Et la catastrophe de Fukushima a accentué la chute de ce cours (40 dollars en 2011, et même 20 dollars par la suite).

Affaire Areva-Uramin

Au printemps 2007, sous le règne de ‘’Atomik Anne’’ (Lauvergeon), Areva rachète Uramin, petite société propriétaire de mines d’uranium en Afrique pour 2,5 milliards de dollars, soit 700 fois plus que l’achat de ces mines par Uramin en 2005 et 2006 (moins de 37 millions de dollars).

Cette affaire Areva/Uramin constitue à la fois une histoire mafieuse et un scandale d’État. Si on n’en connaît toujours pas tous les ‘’bénéficiaires’’, ce qui est sûr c’est que les contribuables français ont dû renflouer Areva pour cette gabegie. Comment expliquer que le ‘’géant français du nucléaire’’, doté des meilleurs experts géologues et financiers, ait pu gaspiller autant d’argent public ? La mégalomanie de certains ingénieurs X-Mines ne jurant que par la puissance du nucléaire, le machiavélisme de certains hommes politiques assoiffés de pouvoir et d’argent, la culture du secret-défense omniprésente dans le nucléaire, le chantage à l’emploi faisant taire les révélations des dérives mafieuses constituent les principales causes de ce scandale.

Bernard Cottier

Pour aller plus loin :

 ’Areva en Afrique’’, livre édifiant de Raphaël Granvaud (Editions Agone/Survie)
 ‘‘Uramin’’ Les dossiers de Médiapart
 Communiqués de presse et rapports scientifiques de la CRIIRAD http://www.criirad.org/



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