Solidarité
Proche-Orient : Qui a peur de Mordechai Vanunu ?
En avril 2004, Mordechai Vanunu était libéré après avoir passé 18 ans dans les prisons israéliennes pour avoir alerté le monde sur le programme darmement nucléaire israélien.
La comédie du nucléaire civil israélien
Avant dêtre condamné pour espionnage et haute trahison, en 1986, par la justice de son pays, Mordechai Vanunu est un modeste technicien qui consacre ses loisirs à létude de la philosophie. Il est progressiste, manifeste notamment avec les étudiants arabes contre loccupation du Liban et appelle à la création dun Etat palestinien. Employé de la centrale nucléaire de Dimona durant 9 ans, il se rend compte que le programme nucléaire dIsraël, prétendument à usage pacifique, sert en réalité de couverture à la production darmes nucléaires très sophistiquées.
En 1985, sachant quil va être renvoyé de la centrale pour raison de restructuration, il prend discrètement 57 photos des laboratoires et services quil fréquente. Il part alors autour du monde en emportant dans ses chaussettes les deux rouleaux de pellicule. Très naïvement, Mordechai Vanunu présente ses photographies à différents journaux, cest le Sunday Times de Londres qui bénéficie finalement de lexclusivité (notons que Vanunu na pas touché un centime en échange de ces informations). Larticle paraît le 5 décembre 1986, avec les photos prises par Vanunu. Le scandale explose. Sur la base de ces clichés, des experts affirment quIsraël détient le sixième stock mondial darmement nucléaire.
Entre temps, le Mossad est alerté et les agents secrets israéliens piégent Vanunu à Rome où il est kidnappé et drogué avant dêtre expédié clandestinement en Israël. Le 30 août 1987, un simulacre de procès commence, à huis clos. Le prisonnier est jugé menottes aux poings et fers aux pieds, il porte un casque protecteur et la voiture dans laquelle il est transféré est munie dun système dalarme pour empêcher toute communication avec des journalistes ou des sympathisants. Durant les audiences, il est entouré par deux agents de la sécurité pour éviter quil ne puisse faire des révélations. La presse, les observateurs et le délégué dAmnesty ne sont pas admis au procès.
Une bombe franco-israélienne
Rappelons que le réacteur de Dimona a été construit dans le plus grand secret, à la fin des années cinquante, grâce à la France. Shimon Peres disposait de bureaux à Paris avec une équipe importante dingénieurs pour collaborer aux plans, plusieurs centaines dingénieurs et de techniciens français ont participé sur place à la construction de la centrale. Ce réacteur, officiellement destiné à produire de lélectricité et de leau douce, est en réalité le couvercle dun bunker souterrain de huit étages dans lequel sont fabriquées des bombes nucléaires. Au moment où lexistence de ce réacteur est rendue publique, en 1960, Israël garantit pourtant quil ne sera utilisé quà des fins pacifiques.
Cest à ce moment que les Etats-Unis « obligent » Israël à se soumettre à des inspections internationales. Inspections effectuées finalement par des experts américains qui assurent officiellement que linstallation sert uniquement des objectifs civils. Pourtant, les Etats-Unis fournissent à Israël les avions de chasse capables de transporter les deux bombes déployées secrètement, en 1967, durant la guerre de Six jours, ainsi que les chasseurs-bombardiers destinés à transporter les 13 têtes nucléaires qui auraient dû être lancées sur lEgypte et sur la Syrie, durant la phase initiale de la guerre du Kippour en octobre 1973.
Israël et le Traité de non-prolifération
Le Traité de non-prolifération (TNP) des armes nucléaires de 1968 engage les Etats dotés darmes nucléaires (les Etats-Unis, lUnion soviétique, la Grande-Bretagne, la France et la Chine) à ne pas les transférer à dautres et les Etats qui nen possèdent pas à ne pas en recevoir ou à ne pas en construire, en se soumettant aux inspections de lAgence internationale pour lénergie atomique (AIEA), chargée de vérifier que les installations nucléaires sont utilisées à des fins pacifiques et non pour la construction darmes nucléaires. En 1968, Israël est déjà en train de produire ses propres armes nucléaires, pourtant elle nadhère pas au Traité, manifestant ainsi très clairement son refus de se voir contrôlée par lAIEA ainsi que son intention de mener à bien un projet militaire de prolifération nucléaire régionale. En effet dans les annéesseptante, le gouvernement israélien négocie une transaction secrète avec lAfrique du Sud grâce à laquelle Israël fournit aux Afrikaners le savoir technologique indispensable à la construction de bombes nucléaires en échange de luranium nécessaire à la production de larmement israélien.
Non content de se mettre hors de portée du contrôle international, Israël entend rester lunique détenteur de larme nucléaire au Moyen-Orient en empêchant par tous les moyens les pays arabes de développer leurs propres programmes. Lattaque surprise du réacteur nucléaire irakien Tamouz-1, le 7 juin 1981, constitue un acte de guerre que ne renierait pas le gouvernement Bush, de même que les accusations lancées à lIran par le ministre des affaires étrangères israélien, le 4 juillet 2003 de « vouloir développer une arme nucléaire », ce qui constitue, souligne-t-il sans faiblir, « une menace non seulement pour Israël mais pour la stabilité du monde entier ».
Le fait que le gouvernement qui sautoproclame gendarme nucléaire du Proche-Orient nadhère pas au TNP - à la différence du gouvernement iranien - échappe à tout contrôle de la part de lAIEA et soit le seul au Moyen-Orient à posséder des armes nucléaires et à les pointer en permanence sur les autres pays de la région a de quoi inquiéter.
Restriction de liberté
Actuellement, malgré sa libération, la justice israélienne nautorise pas Mordechai Vanunu à quitter le territoire national, ni à parler à des étrangers et à des journalistes, prétextant quil pourrait révéler des secrets et mettre en danger la sécurité du pays. Le ministre israélien de la Justice Joseph Lapid exclut tout départ pourlancien technicien. « Nous pensons quil détient encore des secrets et nous ne voulons pas quil les vende à nouveau. Nous pensons quil sait des choses quil na pas encore dévoilées. Il pourrait le faire, il veut à tout prix nuire à ce pays, il déteste ce pays », a-t-il expliqué.
Et maintenant ?
La presse francophone a ignoré le cas de Mordechai Vanunu durant les 18 années qua duré son emprisonnement, malgré sa condamnation arbitraire et la nature inhumaine de sa peine (12 ans en régime disolement total). Pourtant les faits quil dénonçait étaient non seulement exacts, mais ses révélations auraient pu permettre une prise de conscience du danger de la prolifération nucléaire.
Israël continue de développer son arsenal nucléaire en toute impunité et avec laide des Etats-Unis qui lui fournissent les chasseurs F15 et F16 capables de transporter ses têtes nucléaires. Les armes sont dailleurs acquises, testées et améliorées à travers un programme conjoint israélo-américain. Le pays posséderait entre 200 et 400 ogives nucléaires pour une puissance de 50 mégatonnes (soit 3850 bombes dHiroshima) et serait en train de développer un nouveau missile à très longue portée.
Israël maintient, par ailleurs, sa production darmes chimiques et bactériologiques et continue à exporter sa technologie nucléaire aux Etats demandeurs. Mais ces faits ne bénéficient daucune reconnaissance officielle, Israël refusant toujours de se soumettre aux inspections de lAIEA et de signer le Traité de non-prolifération. Comme le pays bénéficie du soutien inconditionnel des Etats-Unis qui comptent sur cette puissance militaire alliée au Proche-Orient, la situation ne risque pas dévoluer.
Le prétexte invoqué par les forces américano-britanniques pour attaquer lIrak - la menace que représentaient les prétendues armes de destruction massive de ce pays - paraît bien dérisoire face au danger de lescalade nucléaire instaurée par Israël et les Etats-Unis. Lopinion publique européenne ne sy trompe dailleurs pas en considérant Israël comme une menace prioritaire pour la paix, nen déplaise à Sharon.
Responsabilité des scientifiques
Le monde a pourtant besoin de personnes comme Vanunu, suffisamment courageuses pour dénoncer des secrets dangereux pour lhumanité. Rappelons quEinstein, en 1946, demandait aux scientifiques dinformer le public des déviations perverses de la recherche, indépendamment des risques encourus. Une protection juridique devrait être instaurée le plus vite possible par les États qui se prétendent de droit pour les scientifiques qui dénoncent certaines pratiques contraires au droit international. Il faudrait proposer des lois pour faire reconnaître un statut pour scientifiques et techniciens, comportant un serment similaire à celui dHippocrate pour les médecins, par lequel scientifiques et techniciens sengageraient à ne plus travailler pour la recherche et la production darmes de destruction massive.
Fabienne GAUTIER
(Association CONTRATOM - Genève - Suisse)
www.contratom.ch
Soutien
Agissez pour Mordechai Vanunu
Nous vous invitons à écrire :
1. au Premier ministre dIsraël :
"Mordechai Vanunu a exécuté lintégralité de sa peine et ne fait lobjet daucune inculpation. Nous vous prions de lautoriser à sortir dIsraël comme il le souhaite."
Ambassade d’Israël
3, rue Rabelais - 75008 PARIS
Fax : 01 40 76 55 55
2. au Président de la République
française :
"Mordechai Vanunu a sollicité la nationalité française. Nous vous prions de la lui faire accorder, comme la loi vous y autorise, et de demander au gouvernement israélien de le laisser quitter Israël."
Présidence de la République
Palais de l’Elysée
55, Faubourg St-Honoré - 75008 Paris