Nucléaire
Du jamais vu en un demi-siècle ! Le nucléaire dans le box des accusés
Traîner la Cogema en correctionnelle, tous les écolos en rêvaient. Cest aujourdhui chose faite grâce à lacharnement dune petite association de pêcheurs à la ligne !
Le président des Martins-Pêcheurs, lassociation de pêche du Puy-de-lAge, un tout petit bourg de la région de Bessines, en Limousin, naime pas quon franchisse lenclos qui cerne le bel étang où il pêche la truite. Surtout quand le promeneur a un détecteur de radioactivité au bout du bras. « Vous croyez que je ne vous reconnais pas ? semporte-t-il en menaçant dappeler les gendarmes. Je vous ai vu à la télévision : vous êtes ici pour foutre la merde ! Comme si on avait besoin de ça. Il y a de la radioactivité ? La belle affaire, cest une ancienne mine duranium ici. Et alors, ça vous rend malade ? Pas moi, et pourtant jai travaillé trente ans pour la Cogema, et mon père avant moi. Luranium, ça vous dérange ? Vous préféreriez sans doute ne pas avoir lélectricité chez vous ? ».
Une grande première juridique
Il a raison, lirascible pêcheur. Lhomme au compteur est bien passé à la télévision. Animateur, lui aussi, de ce qui était au départ une petite association de pêcheurs à la ligne, ce promeneur pas comme les autres vient de réaliser un exploit : traîner la toute-puissante Cogema devant un tribunal correctionnel. Toutes les grandes associations décolos en rêvaient depuis bientôt un demi-siècle. Pensez donc : le fleuron du nucléaire français, qui est parvenu à passer entre les gouttes de 93 arrêtés préfectoraux, na jamais écopé du moindre procès-verbal en matière denvironnement depuis sa création !
Après cinq ans de bataille judiciaire et malgré un parquet qui sest systématiquement prononcé en faveur dun non-lieu, lassociation Sources et Rivières du Limousin est parvenue à faire comparaître la Cogema pour « pollution, abandon ou dépôt de déchets contenant des substances radioactives ». Laccusation de « mise en danger de la vie dautrui » a finalement été abandonnée. La date du procès nest pas encore fixée. Mais ce sera une grande première, qui nécessita tout de même lobstination dun juge dinstruction, le renfort de la cour dappel de Limoges et même, en novembre dernier, un arrêt de la Cour de Cassation !
Quand il a fallu de luranium, que ce soit pour la bombe ou pour alimenter les centrales nucléaires françaises, on est allé le chercher dabord dans le Limousin. Vingt-huit mines au total depuis 1949, certaines à ciel ouvert comme celle du Puy-de-lAge, dont on a ennoyé le trou pour en faire un étang, ou bien dans des galeries. Elles ont cessé leurs activités dans les années 1990, la toute dernière ayant fermé à Jouac en 2001. Pendant
cinquante ans, la Cogema a fait vivre cette région belle et austère. 3000 emplois, ce nétait pas rien. Et la redevance versée chaque fois quon extrayait un kilo duranium faisait les affaires des communes. « Sans nous, dans des bourgs comme Bessines, Ambazac ou Razès, il ny aurait pas grand-chose », explique-t-on à lantenne locale de la Cogema, qui conserve des liens forts dans la région, même si elle extrait aujourdhui son uranium en Afrique. Quand il a fallu trouver un emplacement où entreposer 199 000 tonnes duranium appauvri, un métal qui traîne une fâcheuse réputation depuis la guerre du Golfe, cest dailleurs tout naturellement vers Bessines que la Cogema sest tournée.
Pas facile donc de contester le nucléaire dans la région. On a vite fait de vous prier daller vous indigner ailleurs. Et pourtant, depuis dix ans, il y avait un ensemble de faits troublants. En 1993, un rapport alarmiste financé par le ministère de lEnvironnement considère que les mesures de précaution prises pour le stockage de résidus radioactifs à la durée de vie très longue sont bien minces. Lannée suivante, le Conseil Général de la Haute-Vienne et le conseil régional du Limousin commandent une étude à la Criirad (Commission de Recherche et dInformation indépendantes sur la Radioactivité), organisme plutôt frondeur vis-à-vis de lindustrie nucléaire, mais réputé pour son sérieux. Les conclusions sont sévères : 20 millions de tonnes de résidus radioactifs sont accumulées sur trois sites principaux « dans des conditions qui ne seraient pas acceptées pour lenfouissement des ordures ménagères ». Des éléments radioactifs migrent vers les eaux souterraines. Celles qui sortent des mines ne sont pas suffisamment traitées et les normes réglementaires sont souvent dépassées. Enfin, les sédiments et les plantes qui longent les cours deau pollués accumulent tellement duranium et de radium quon peut les qualifier de « déchets radioactifs ». Le long de la Gartempe, la pollution radioactive était décelable sur 30 kilomètres. Le rapport est publié, mais rien ne se passe. Personne ne bouge, ni les élus, ni les administrations.
Les moules et les poissons radioactifs sur une partie du lac !
Quatre ans plus tard, au cours dune banale vidange du lac de Saint-Pardoux, la base de loisirs où tout Limoges vient se baigner lété, cest la catastrophe : on découvre que les moules et les poissons sont radioactifs sur une partie du lac. On recouvre les boues polluées dune bâche et dune couche de sable, et on laisse le lac se remplir. Un an plus tard, en vérifiant la retenue deau qui alimente Limoges en eau potable, le commissaire enquêteur se rend compte que le ruisseau du Marzet est pollué : les installations dépuration de lancienne mine des Gorces-Saignedresse sont hors dusage. Cette fois, le préfet imposera quon dévie les eaux découlement de la mine pour épargner Limoges. Sources et Rivières du Limousin, qui suivait toutes ces affaires avec inquiétude depuis quatre ans, décide alors de porter plainte.
Dans ses attendus, la cour dappel de Limoges expliquait ainsi sa décision de faire le procès de la Cogema : « Il apparaît socialement normal que le coût environnemental de cette activité ancienne ne soit pas supporté par les habitants du Limousin », et cela alors que « la Cogema a réalisé dimportants profits avec lexploitation du minerai duranium ». Son arrêt parle de « défaillances avérées », de « négligence fautive », de « mauvaise foi », etc.
A la Cogema, même si on sabstient de trop parler à propos dune affaire qui nest pas encore jugée, on a été ulcéré par les termes de la cour dappel. « Que nous disent les juges ? Que lon doit payer parce quon a fait des bénéfices ? Mais nous, notre travail, cest de respecter les normes que lEtat nous impose. Et cest ce que nous avons fait. » La radioactivité ? « Il y en a toujours eu ici, et cest même la raison pour laquelle on a prospecté luranium dans la région. Cest tellement facile pour les antinucléaires daffoler les gens avec ça ! Nous respectons la toute nouvelle norme qui date de deux ans, cinq fois plus sévère que la précédente : ceux qui vivent autour des anciennes mines reçoivent moins dun millisevert supplémentaire par an.
Cest-à-dire vraiment peu de chose. Et quon ne nous dise pas que nous sommes partis en cachant la merde sous le tapis, avec la complicité des pouvoirs publics : nous avons utilisé les mêmes techniques de réaménagement des sites quau Texas ou dans le Wyoming, où personne ne sest plaint. Nous avons déjà payé 60 millions deuros pour remettre le site en état, et nous interviendrons chaque fois que ce sera nécessaire. » Techniciens du nucléaire contre anti : la bataille promet dêtre chaude. Limoges sera, le temps dun procès, le champ clos où saffronteront deux conceptions du monde.
Le pot de terre contre le pot de fer
Cogema a exploité les gisements duranium du nord de la Haute-Vienne pendant cinquante ans (de 1949 à 2001). Labandon des premières mines intervient dès les années 80, des arrêtés préfectoraux imposent un réaménagement des sites dexploitation et une surveillance de lenvironnement...
Le juge de la Cour dAppel synthétise les enjeux de ce dossier :
« - La COGEMA a réalisé dimportants profits avec lexploitation du minerai duranium. Il apparaît socialement normal que le coût environnemental de cette activité ancienne ne soit pas supporté par les habitants du Limousin. Il revient à la COGEMA de résoudre les problèmes de dispersion révélés par les différentes études. La réalisation de ces diverses infractions a permis à la société COGEMA de réaliser des économies sur les coûts dexploitation du site, réduisant a minima ses frais dinvestissement et dentretien des infrastructures techniques de dépollution (lesquelles sont à lévidence rudimentaires, et constituent pour lessentiel des bassins de lagunage des eaux dexhaure). »
Sources et Rivières du Limousin, association locale, a réussi à engager un processus qui doit permettre de répondre à un ensemble de questions fondamentales et de mettre en uvre du principe pollueur-payeur. Cogema-Areva en revanche est une multinationale du nucléaire, disposant de moyens considérables. Cest la raison pour laquelle , alors même quelle annonçait vouloir sexpliquer devant le tribunal correctionnel où la Cour dAppel de Limoges la renvoyait, elle sest permis de se pourvoir en cassation, fuyant ainsi le débat sur le fond, différant au moins cette échéance et tentant aussi de laminer une association locale : le pot de terre contre le pot de fer.
Contact
Sources et rivières du Limousin
Maison de la Nature
11, rue Jauvion
87000 Limoges
Tél : 05 55 77 14 64
srl.limoges@libertysurf.fr
Gérard PETITJEAN
Le Nouvel Observateur du 9/12/2004
Grâce au fonds de solidarité, le Réseau Sortir du nucléaire a apporté une aide de 1000 e à Sources et Rivières du Limousin. Merci pour votre générosité qui permettra de financer de nouveaux projets.
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9, rue Dumenge
69317 Lyon cedex 04.
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