Alternatives
Le parcours du combattant des éoliennes sous-marines
« Je suis un transfuge de la houille blanche à la houille bleue », se définit Hervé Majastre, un ingénieur de 40 ans. Précédemment spécialisé dans la construction de barrages, il est aujourdhui engagé dans une aventure quasi-inédite en France, la production délectricité à partir des courants marins.
Le principe, en apparence élémentaire, consiste à exploiter lénergie cinétique dun fluide. Ce peut être celui du vent, par le truchement de pales déoliennes. Ou celui du courant, une idée mise en application avec succès à lusine marémotrice de la Rance, dès 1960. Cette idée, adaptée non plus au courant dun estuaire mais à celui des fonds marins, débouche sur le concept des hydroliennes, breveté en 1999 et mis au point par la société Hydrohélix Energies. Hervé Majastre et Jean-François Daviau, 50 ans, en sont les deux associés. « Jai travaillé sur le développement de batteries au lithium pour les véhicules automobiles, raconte Hervé Majastre. Le problème vient du fait que, si on met un million de ces véhicules en circulation, il nous faudra quatre centrales nucléaires supplémentaires pour les alimenter en énergie. Une alternative consisterait à développer lénergie éolienne, mais, compte tenu des résistances, son potentiel apparaît malheureusement homéopathique. Doù lidée des hydroliennes ».
Inépuisable, gratuite et pourtant inexploitée
Une hydrolienne est en fait une turbine sous-marine, arrimée au plateau continental par vingt à quarante de mètres de fond. Hydrohélix dit avoir identifié trois sites appropriés au large des côtes françaises, sur lesquels les courants marins peuvent atteindre une vitesse de 12 à 18 kilomètres à lheure. « La chaussée de Sein, dans le prolongement dOuessant ; le Fromveur entre Le Conquet et Ouessant ; la pointe de La Hague », énumère Hervé Majastre. Lequel évalue entre trois et six gigawatts le potentiel énergétique de ces eaux. « Cela autorise une production de lordre de 5% de loffre électrique française, léquivalent de trois ou quatre centrale nucléaires. Cest un potentiel certes moins élevé que celui de léolien, mais très localisé », précise Hervé Majastre. Respectueux de lenvironnement, le dispositif nécessiterait un investissement de six milliards deuros et permettrait de valoriser une source dénergie tout à la fois inépuisable, gratuite et totalement inexploitée. « Un tel programme mené sur vingt-cinq ans permettrait en outre de créer de 3 000 à 5 000 emplois », souligne Hervé Majastre. Une première maquette, composée de quatre pales de 70 centimètres de diamètre, a été testée avec succès dans lOdet, le fleuve côtier qui arrose Quimper, où Hydrohélix a établi son siège.
La France à la remorque
Pourtant, le passage au stade industriel savère extrêmement difficile. « Jai tout dabord participé au concours de lAnvar pour la création dentreprises innovantes, mais on ma dit que le projet nétait pas innovant », sétonne Hervé Majastre, avant dentamer la litanie des obstacles affrontés depuis trois ans. « Nous avons contacté des entreprises spécialisées dans le secteur de lénergie. Ce nest pas dans nos orientations stratégiques, ont-elles répondu. Nous avons contacté des industriels, des entrepreneurs, la Banque de développement des PME... En vain ». Une proposition de partenariat adressée à EDF a débouché sur un refus de lentreprise publique, pourtant engagée dans un projet similaire... en Grande-Bretagne, sous le nom de Marine Current Turbine (MCT). Le ministère britannique de lindustrie (DTI) semble lui aussi avoir perçu lintérêt des hydroliennes et a investi dans trois projets hydro-héliens. LItalie, la Norvège, le Canada et les Etats-Unis envisagent eux aussi de saventurer dans cette voie, quand ce nest déjà fait.
« A titre de comparaison, le ministère de lIndustrie français estime que nous ne sommes pas attendus avant dix ou quinze ans », confie Hervé Majastre, amer. En définitive, lunique soutien est venu de lAgence de lenvironnement et de la maîtrise de lénergie (Ademe), qui a versé à Hydrohélix une subvention de 115 000 euros. LEtat français a fini par reconnaître lintérêt de lénergie hydrolienne et un appel à projet serait en cours de préparation... si ladministration parvient à débloquer un budget. « Cela fait cinq ans que je travaille sur ce projet, et je crois de moins en moins aux miracles financiers, se désespère Hervé Majastre. Nous sommes une PME innovante qui ne veut pas forcément jouer dans la cour des grands, simplement prendre sa place ». Pour peu que le nucléaire veuille bien lui en laisser un peu...
Walter Bouvais (Novethic)
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