Solidarité
Faibles doses et contamination chronique
Youri Bandajevsky a été le premier à remettre en question le dogme hérité dHiroshima
Cest en examinant des enfants âgés de trois à cinq ans des territoires contaminés que Galina, pédiatre et épouse de Youri, a donné lalerte. Un nombre élevé denfants présentaient des anomalies cardiaques, des arythmies notamment. « Quand Galina sest rendu compte de ses résultats, elle a eu peur », raconte aujourdhui son mari. En 1990, quatre ans après la catastrophe de Tchernobyl, le jeune docteur Bandajevsky, 33 ans, qui avait dirigé auparavant le Laboratoire central de recherche scientifique de Biélorussie, est nommé directeur de lInstitut de médecine de Gomel, dans les territoires contaminés.
En 1996, il présente ses travaux en France, devant des experts de lInstitut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN, devenu IRSN). « A lépoque, soutient-il, on ne ma pas dit que mes données nétaient pas intéressantes. »
Qua donc trouvé Bandajevsky ? Il affirme quil existe une « dépendance proportionnelle entre la quantité de césium incorporée dans lorganisme et la fréquence de lésions et de pathologies sur le muscle cardiaque, mais aussi le foie, les reins, les systèmes endocrinien et immunitaire ». Rien à voir avec les leucémies ou les cancers de la thyroïde, effets bien documentés dune exposition soutenue à des radioéléments. Autre nouveauté dérangeante : selon Bandajevsky, même de petites doses provoquent des pathologies ou des lésions observables au microscope sur les tissus. Pour parvenir à ces conclusions, le chercheur biélorusse et ses élèves ont pratiqué des examens cliniques et biologiques sur des centaines denfants, des dizaines dautopsies, et des expérimentations sur des milliers de rongeurs nourris avec des aliments contaminés au césium 137.
Jusquen 1999, Bandajevsky publie des dizaines de rapports, des livres, fait des conférences. Problème : jamais il na publié dans une revue internationale. La brochure résumant ses travaux, publiée en 2000 (après sa première arrestation), noffre pas les caractéristiques dune publication scientifique rigoureuse : les données expérimentales précises manquent.
« Jai connu Bandajevsky longtemps avant sa nomination à Gomel. Cétait un bon expert en anatomopathologie, mais il navait fait aucun travail sur la radioactivité, raconte Jacov Konigsberg, directeur de la Commission nationale de radioprotection. Depuis son bureau du Comité dEtat Tchernobyl, à Minsk, au septième étage dun immeuble terne, le professeur Konigsberg sétonne que lon sintéresse tant à Bandajevsky. « Il y avait des erreurs méthodologiques dans ses travaux, mais il a persisté. Certes, toute dose radioactive a un impact sur lADN des cellules, mais lADN a une capacité dautoréparation formidable. Lune de ses erreurs est de dire que le césium 137 se concentre dans des organes particuliers, notamment le cur. Il se disperse dans tout le corps par la circulation sanguine », poursuit le professeur Konigsberg qui, de mai à novembre 1986, mesurait la radioactivité des aliments à quelques kilomètres du réacteur détruit de Tchernobyl, ce qui lui a valu la carte de « liquidateur ». En résumé, pour lui, Bandajevsky, cest un acte de foi : « Il y a bien des gens qui croient encore que la Terre est plate ».
Comme pour prêter le flanc à cette critique de Jacov Konigsberg, Youri Bandajevsky estime que lhumanité entière est en danger, notamment à cause du césium radioactif répandu sur la Terre entière par les essais nucléaires atmosphériques. Cest un fait incontesté, on détecte du césium 137, radioélément artificiel, dans lenvironnement, partout dans le monde, depuis les années 1960. Mais dans des quantités jugées jusquici sans effet possible sur la santé.
La science de la radioprotection (la protection des hommes contre les radiations) sest fondée depuis soixante ans sur les constatations tirées des retombées des bombes atomiques dHiroshima et Nagasaki. Elle a établi que les faibles doses sont sans effet sur la santé. « Dire comme Bandajevsky quune exposition chronique à des petites doses a des effets propres, cest remettre en question le dogme », résume Patrick Gourmelon, directeur de la radioprotection de lhomme à lIRSN. Ce médecin spécialiste des irradiations avait reçu Bandajevsky dans les années 90. « Cest un chercheur sincère, mais sa démonstration nest pas bonne. » En outre, soulève le docteur Gourmelon, « la médecine russe est très différente de la nôtre, elle a plus tendance à considérer lorganisme comme un tout. Il faudrait commencer par sentendre sur un glossaire des pathologies. »
Pour autant, le problème de lexposition chronique aux radioéléments nest plus ignoré par la science officielle. Depuis deux ans, lIRSN fait boire de luranium à très petites doses à des rats, dans le cadre de son programme Envirhom. Les premiers résultats qui doivent faire lobjet de plusieurs articles, scientifiques décrivent « des effets biologiques, pas forcément néfastes, mais qui nétaient pas du tout pris en compte par le modèle Hiroshima », souligne Patrick Gourmelon. Ces effets seraient davantage liés à la toxicité chimique de luranium quà sa radioactivité. « Cela ne veut pas dire que ce que Bandajevsky a trouvé sur le césium est vrai, mais cela montre que leffet des faibles doses chroniques existe ». Venant dun institut aussi peu suspect dêtre antinucléaire que lIRSN, il sagit là dune atteinte historique au dogme.
Tchernobyl : hommage aux liquidateurs inconnus
En décernant au film « Le Sacrifice » le prix du meilleur documentaire scientifique et denvironnement, deux Festivals ont honoré les liquidateurs de Tchernobyl et mis en question la vérité scientifique officielle sur les effets de la plus grande catastrophe technologique de lHistoire.
Le film « Le Sacrifice » sur les liquidateurs de Tchernobyl a reçu, en novembre 2004, le Prix du meilleur documentaire du Festival du film de lenvironnement de la région Ile-de-France. Deux jours auparavant, le même film a reçu le prix du meilleur documentaire du Festival du film scientifique dOullins.
Que dit le film ?
Le graphite et luranium répandus sur le toit de la centrale de Tchernobyl irradiaient jusquà 20 000 Rntgens/heure. Un morceau de graphite tenu entre les mains transmettait en une seconde et demie la dose accumulée pendant une vie entière en condition de radioactivité naturelle. Un million dhommes, appelés liquidateurs, ont été lancés contre le réacteur, pour le recouvrir avec un « sarcophage » improvisé en condition de radioactivité terrifiante, et pour effacer les conséquences de la catastrophe partout dans les territoires. Ils ont combattu les radionucléides à mains nues, avec des pelles et des jets deau. Des dizaines de milliers sont morts et continuent de mourir.
Les scientifiques soviétiques calculaient que, si lincendie de Tchernobyl nétait pas éteint pour le 8 mai, le combustible nucléaire en fusion aurait percé la dalle de béton sous-jacente, avait été précipité dans le bassin de refroidissement et aurait amorcé une explosion atomique vingt à cinquante fois supérieure à celle de Hiroshima. LEurope aurait été inhabitable. Le 6 mai lincendie était maîtrisé grâce au sacrifice extrême des liquidateurs. Mais ils ont été mal récompensés : la Russie, lUkraine et la Biélorussie les ont abandonnés à eux-mêmes. LOccident les ignore.
Les évidences du film « Le Sacrifice » accusent la science officielle dignorance et domission de secours à personnes en danger. Pour ne pas compromettre la réputation de lindustrie atomique, le lobby nucléaire et la médecine officielle condamnent sciemment, depuis bientôt 20 ans, des centaines de milliers de cobayes humains à expérimenter dans leur corps des pathologies inconnues.
Il incombe aux profesionnels de linformation, de la culture, de la science et de la médecine dinciter lopinion publique mondiale à condamner ce crime et à exiger des gouvernements les financements nécessaires pour des recherches scientifiques et médicales indépendantes dignes de ce nom.
Découvrez et faites découvrir ce documentaire remarquable.
Wladimir Tcherkoff a suivi, pendant quinze ans, cinq liquidateurs de Tchernobyl. En plus dimages prises juste après la catastrophe, il présente ici les témoignages de ces hommes qui se sont sacrifiés afin déviter une plus grande catastrophe encore. Un documentaire bouleversant à découvrir absolument.
Disponible uniquement en DVD, 23 mn : 23 .
A commander au Réseau Sortir du nucléaire
9, rue Dumenge - 69317 Lyon Cedex 04
Chèque à lordre du Réseau Sortir du nucléaire.
Fabrice NODE-LANGLOIS,
envoyé spécial du Figaro à Minsk
Le Figaro - 12 octobre 2004
Soutien
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68480 Biederthal (France)
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