Dossier : Nucléaire à l’international
Olkiluoto 3 : L’EPR finlandais en marche ! Petite histoire d’un gros raté
Avril 2023, le 1er réacteur de type EPR (réacteur pressurisé européen) est mis en service en Europe. Construit en Finlande, la conception et les pièces sont franco-allemandes. Un bel exemple de projet européen ? Plutôt un archétype de raté industriel. Retour sur l’histoire ubuesque d’Olkiluoto 3.
Comme tous ses congénères, l’EPR de la centrale d’Olkiluoto a accusé des années de retard avant sa mise en service : 13 au total. Pour 4 ans de chantier annoncés. Et d’un dépassement de budget faramineux : plus de 10 milliards. Pour 3 milliards et quelques annoncés. À l’origine de ces multiplications par 3 ? Une seule et même raison : un raté complet, de la conception à la gestion, en passant par la fabrication.
Le projet, vendu il y a 20 ans à TVO (électricien finlandais privé) par le groupe allemand Siemens et la toute jeune société française Areva (deux ans d’existence à l’époque et à sa tête Anne Lauvergeon), prévoyait dans son contrat qu’Areva verse des indemnités financières en cas de retard.
Dès les premières années, l’Autorité de sûreté finlandaise (STUK) relève des centaines d’anomalies sur le chantier de l’EPR finlandais. Mais aussi le manque de préparation d’Areva et son laxisme dans « la qualité du travail, l’organisation et le contrôle des activités sur le chantier ». En 2012 - près de 10 ans après la signature du contrat – Areva est mis en demeure par TVO d’établir un nouveau calendrier. Qui ne sera pas respecté. En 2014, la mise en service est repoussée à 2018, puis à 2019 trois ans plus tard.
En 2018, alors que l’EPR compte déjà huit années de retard, Areva et TVO trouvent un compromis : un chèque de 450 millions d’euros pour solder le contentieux financier. Un montant réévalué plus tard, à l’aune des nouveaux retards. Car malgré l’annonce en 2019 de TVO, assurant que le combustible sera chargé dans la cuve en janvier 2020, cette date est repoussée de six mois. Puis à nouveau, jusqu’à ce que la cuve soit finalement chargée en avril 2021. Le réacteur démarre pour la première fois fin 2021 et est connecté au réseau électrique en mars 2022, 18 ans après le début du chantier. Mais il est vite arrêté : problème de turbine. Redémarré en août 2022, il atteint sa pleine puissance (1600 MWe) en septembre... Et est arrêté en octobre : problème de fissures.
Alors oui, le (re-re-re)démarrage de l’EPR finlandais en avril 2023 peut être acclamé. « Hourra, victoire » (?!) ils y sont enfin arrivés ! Avec 13 ans de retard et un budget plus que triplé. Car les pénalités de retard ne sont pas les seules à avoir fait gonfler la facture. Les dérives « classiques » du chantier, les erreurs de fabrication et d’exécution chiffrent vite. En 2021, Olkiluoto 3 pesait plus de 10 milliards, à la charge du consortium Areva-Siemens. Et in fine, qui a payé la facture ? Areva, déjà détenue à 80 % par l’État français [1], a dû voir certaines de ses parts rachetées par le gouvernement pour finir de payer le chantier...
Et l’histoire n’est certainement pas terminée. Quelles leçons tirer des fuites radioactives dans l’EPR chinois après quelques mois de fonctionnement ? À l’heure où les Françai·ses sont consulté·es sur la mise en service de l’EPR de Flamanville [2], il est temps de l’admettre : partout, l’EPR est un magistral raté. Alors pourquoi s’entêter ?
Laure Barthélemy