Depuis 1998, le Réseau "Sortir du nucléaire" a été à l’initiative des nombreuses campagnes.
5 février 2018 |
Dans leur enquête Nucléaire, danger immédiat, les journalistes Thierry Gadault et Hugues Demeude mettent en lumière ce que nous dénonçons au quotidien à propos du parc nucléaire français. Malfaçons cachées sur des pièces importantes pour la sûreté, risques imminents lié au vieillissement des installations : les centrales françaises sont au bord de la rupture. Bien que conscient de tous ces problèmes, dont il dissimule l’ampleur, EDF tient à prolonger leur fonctionnement coûte que coûte. En France, l’hypothèse d’une catastrophe semblable à celle de Fukushima semble de plus en plus probable.
Le livre Nucléaire, danger immédiat, paru le 7 février 2018, écorne sérieusement l’image d’Epinal des centrales nucléaires françaises. Menée par deux journalistes d’investigation, l’enquête au long cours fait état de défauts - structurels ou liés à l’usure - fragilisant dangereusement certaines centrales, dans un contexte où plus des deux tiers des réacteurs français auront atteint les 40 ans de fonctionnement à l’horizon 2028 et où EDF tient à prolonger leur fonctionnement coûte que coûte.
Les journalistes se sont appuyés sur des entretiens avec différents experts indépendants, mais aussi sur des documents fournis par Nozomi Shihiro. Sous ce pseudonyme se cache une personne issue de l’industrie nucléaire dont le Réseau "Sortir du nucléaire" a déjà publié, en avril 2016, un ouvrage explosif La farce cachée du nucléaire , où sont exposés, documents internes à l’appui, différentes vulnérabilités méconnues de nos centrales nucléaires.
Ils reviennent également sur les conditions de la mise en place du programme nucléaire français, décidé sans aucun contrôle démocratique et indépendamment de toute prospective énergétique digne de ce nom. Et explique comment, pour absorber la surproduction d’électricité (qui représente l’équivalent de 15 à 20 réacteurs), le chauffage électrique a été développé massivement et les mesures d’efficacité énergétique sont encore freinées aujourd’hui.
Nous mettrons ici en exergue les points les plus saillants en matière de sûreté. Pour en savoir plus, nous ne pouvons qu’encourager à consulter cet ouvrage, qui contient en annexe une liste des principaux défauts de chaque centrale.
La découverte de malfaçons et de pièces falsifiées au Creusot a été l’un des plus grands scandales de ces dernières années en matière nucléaire. Les auteurs reviennent sur ce sujet, en détaillant notamment les conditions troubles du rachat de l’usine par Bolloré... et en ajoutant au dossier de nouveaux éléments qui montrent que ce qui a été rendu public jusqu’ici n’est que l’arbre qui cache la forêt !
En effet, s’appuyant sur une source interne, les auteurs soulignent que la fabrication de pièces non conformes dans cette usine n’a pas débuté en 2005-2006... mais bien avant ! Pour preuve, une tubulure présentant un taux de chrome non conforme à la règlementation, qui serait actuellement en place sur le réacteur n°4 de la centrale de Chinon...
Ce problème de taux de chrome trop élevé touche également des de nombreuses pièces constituant la tuyauterie du circuit primaire.
EDF ne fait pas mystère de sa volonté de prolonger l’exploitation de ses réacteurs jusqu’à 50, voire 60 ans. Or, comme le rappellent les auteurs, certains équipements comme les cuves de réacteurs sont particulièrement sensibles au vieillissement et demandent des précautions d’utilisation supplémentaires pour éviter la rupture brutale. Mais c’est sans compter sur les effets potentiels d’éventuelles malfaçons !
Or, comme le révèlent Thierry Gadault et Hughes Demeudes, « Selon EDF, 10 cuves en exploitation ont des fissures qui datent de leur fabrication. […] Si elles grandissent, elles pourraient percer la cuve ». Le réacteur 1 du Tricastin remporte la palme de la pire fissure, suivi par ceux de Saint Laurent B1 (Loir-et-Cher) et Bugey 5 (Ain).
L’industrie nucléaire française ne communique sur ces fissures que pour assurer de leur caractère bénin et prétendre qu’elles sont moins dangereuses que celles retrouvées chez nos voisins étrangers. C’est ainsi qu’au début des années 2010, des défauts ont été décelés sur plusieurs cuves de centrales nucléaires belges (Doel et Tihange) : des bulles d’hydrogène se seraient formées dans le métal au moment de la fabrication et auraient créé des fissures. L’’ASN et l’IRSN tiennent alors un discours rassurant : « En France, le même type de contrôle que celui réalisé à Doel est effectué lors de chaque visite décennale des réacteurs. A ce jour, aucun défaut comparable n’a été mis en évidence sur un réacteur en service en France ».
Et pour cause : jusqu’ici, EDF ne mesurait les défauts sur les parois des cuves que sur une épaisseur de 25 mm... Or, alerté par la situation en Belgique, l’électricien français a discrètement procédé à des mesures sur 28 cuves, sur une épaisseur de 80 mm. Le résultat ? 6 cuves sont fragilisées par des fissures de même type que les défauts belges (Bugey 2, Gravelines 5, Saint-Alban 1, Golfech 1, Cruas 1 et Penly 1). À la demande de l’ASN, 6 nouvelles cuves doivent encore être examinées. Bien sûr, EDF se sera bien gardé de communiquer sur ces informations.
À ces nouvelles inquiétantes, il faut en ajouter d’autres : selon le professeur Walter Bogaerts de l’université de Louvain et le professeur Digby Macdonald de l’université de Berkeley, les fissures ne viennent pas seulement de l’hydrogène emprisonné dans le métal lors de la fabrication... mais sont également générées par l’hydrogène présent dans l’eau de la cuve lors de son exploitation ! Au regard de ces informations, la volonté d’EDF de prolonger à tout prix le fonctionnement de ses centrales apparaît d’autant plus suicidaire.
« Tricastin, avec son réacteur n° 1, est la pire centrale du pays. Ce réacteur cumule tous les problèmes : défauts sous revêtement, absence de marge à la rupture et dépassement des prévisions de fragilisation à quarante ans ! » indiquent les journalistes, ajoutant même à la liste un risque non-négligeable d’inondation. Ils rappellent à ce sujet les mots du président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Pierre-Franck Chevet, qui avait indiqué « qu’en cas de séisme fort on pourrait aller vers une situation, avec quatre réacteurs simultanés en fusion, qui ressemble potentiellement à un accident de type Fukushima ».
En septembre 2017, ces quatre réacteurs avaient d’ailleurs été mis à l’arrêt, pour des risques d’inondation en raison de l’état lamentable de la digue qui sépare le site nucléaire du canal... (Un arrêt qu’on pouvait également lier à toute une série d’incidents : consulter notre article "Pourquoi Tricastin est à l’arrêt" [1] ).
Toutefois, la rupture d’une digue n’est pas le seul motif d’inquiétude en matière d’inondation... Les auteurs alertent ainsi sur les risques - déjà connus - d’une rupture du barrage de Vouglans, dans l’Ain, 3ème plus grosse retenue d’eau artificielle en France avec 600 millions de m3 d’eau. S’il venait à rompre, c’est une vague de 10m de haut qui déferlerait sur la plaine de l’Ain, submergeant la centrale du Bugey. Poursuivant son chemin dans la vallée du Rhône, elle trouverait également sur son chemin, aux passages les plus encaissés, les centrales de Saint-Alban, Cruas...
Équipements fragiles, vieillissement dangereux, risques externes démesurés, aveuglément suicidaire de l’industrie nucléaire qui dissimule les informations les plus graves : oui, avec le nucléaire, nous sommes bien confrontés à un "danger immédiat" ! Alors que le gouvernement tergiverse sur la réduction de la part du nucléaire, cet ouvrage tombe à point pour rappeler à quel point un changement de cap en urgence est impératif.
[1] L’ensemble du site a redémarré progressivement en décembre 2017, à l’exception du réacteur 1 qui n’a été autorisé à redémarrer qu’en janvier 2018, maintenance oblige. Mais les problèmes n’ont pas cessé pour autant ! Lors du redémarrage du réacteur 3, c’est un des capteurs du niveau d’eau d’un générateur de vapeur qui dysfonctionne et n’est pas remis en état dans les temps. Inquiétant quand on sait que la mesure du niveau d’eau dans les générateurs de vapeur est essentielle pour la sûreté de l’installation en fonctionnement normal, mais aussi pour la conduite du réacteur en situation accidentelle. Quelques jours plus tard, évacuation du personnel du bâtiment auxiliaire n°9 et des bâtiments réacteurs 1 et 2. Une erreur lors de manœuvres sur les vannes du circuit de traitement du réservoir des effluents gazeux a provoqué des rejets de gaz radioactifs dans les bâtiments et dans l’environnement. Les personnes évacuées ont dû subir un test de contrôle de contamination. La Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité (CRIIRAD) a d’ailleurs interrogé EDF sur ces rejets gazeux, la communication de l’exploitant restant comme à son habitude minimaliste et minimisante. Il faut croire que les mois d’arrêt imposés à l’automne 2017 n’ont pas suffit à l’exploitant pour réaliser toute la maintenance nécessaire sur ses installations. Les dysfonctionnements continuent en 2018. Un arrêt de réacteur n’est jamais anodin, ce n’est pas une procédure simple et sans risques. Même à l’arrêt, un réacteur consomme de l’énergie et doit être en permanence refroidi et surveillé. Pourtant, le réacteur 2 a été arrêté le 4 février suivi dans la foulée de l’arrêt du réacteur 4, tous les 2 pour des interventions sur des pompes de la salle des machines.
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