Dossier : À la croisée des luttes
Lutter queer et antinucléaire
Ces dernières années, la lutte antinucléaire a été émaillée par des mobilisations organisées par des personnes et avec des mots d’ordre queers. Pourquoi et avec quelles conséquences pour la lutte ? Récit subjectif.
En 2019, cela fait plusieurs années que je milite contre le nucléaire. À cette époque, je suis à la recherche d’une manière de lutter joyeuse et puissante, où j’ai ma place et qui me donne la sensation d’avoir une prise sur les évènements. C’est ce que je trouve à Bure en 2019, lors d’un week-end de mobilisation nourri d’un féminisme pluriel et trans-inclusif, organisé par le collectif des Bombes atomiques.
Alice [1], une des initiatrices du collectif, décrit bien le renouveau que cette approche apporta à la lutte : « [En 2017], la lutte [à Bure] était en pleine asphyxie de par les vagues de répression et les conflits. Les seules sources de joie que j’avais à ce moment-là c’était les récits des années 70/80, en particulier éco-féministes. Je cherchais des récits joyeux, émancipateurs, des victoires et je peinais à en trouver dans ce qu’on me partageait des luttes françaises (où dominaient les personnes blanches, hétéros et l’absence des femmes). »
Cette mobilisation, tout comme les Rayonnantes, camp antinucléaire organisé en Meuse avec une approche intersectionnelle, auquel je participe en 2021, marquent un tournant dans ma vie militante. Ils sont pour moi l’illustration en pratique des théories intersectionnelles. Dans la pratique, ce véritable changement de paradigme implique un changement profond de nos manières de lutter. C’est ce qu’à mon sens Alice exprime quand elle me confie : « [l’idée des Bombes atomiques] c’était d’arrêter de tout compartimenter dans la lutte [luttes féministes, écologiques...]. » Pour Louane [2], à l’origine d’un quizz queer et antinucléaire au sein d’un spectacle intitulé « le nucléaire ça fait genre », les Bombes atomiques ont posé « une base non négociable de ce qui peut ou pas se faire dans la manière dont on vit ensemble » dans le milieu militant meusien, où le virilisme n’a plus sa place.
Les Rayonnantes ont quant à elles été organisées par « des personnes qui sont persuadées que l’intersection des luttes était fondamentale car il ne fallait oublier personne ». Louane explicite : « On cherche pas à faire des mobilisations queer. On fait des choses où [les personnes queer] se sentent à l’aise. Sinon les autres espaces sont dangereux pour elles. »
Ces mobilisations ont amené des personnes qui se définissent comme queer à s’installer en Meuse. Pour Louane, les conditions matérielles mais aussi les liens affinitaires ont également joué dans ces installations. Au cours de mes séjours sur place, je profite des initiatives qu’iels portent : le sauna mobile, monté récemment par un groupe de personnes non-binaires, trans et gouines, la bibliothèque mobile « L’amour toujours » aux ouvrages LGBT+, antiracistes et féministes installée aux Rencontres printanières, la fête de nouvel an qui rassemble un public queer de nombreuses villes et campagnes. Et qui représentent, pour moi, une autre manière de lutter et d’occuper le terrain contre le nucléaire et son monde.
- Marion Rivet, chargée des relations médias du Réseau « Sortir du nucléaire »