Article publié le 12 septembre 2024
En septembre 2024, plusieurs experts de l’association de scientifiques Global Chance ont rédigé un rapport sur les déchets radioactifs de la première usine de La Hague. Ce rapport dresse l’historique et un état des lieux des déchets radioactifs accumulés dans cette ancienne usine, à partir de différentes décisions de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), de rapports et avis de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) et de diverses informations fournies par l’exploitant, actuellement Orano.
La vie d’une installation nucléaire de base (INB) comprend quatre phases : sa conception, sa construction, son fonctionnement et son démantèlement. Le démantèlement commence avec l’évacuation totale des matières nucléaires et des déchets radioactifs et se termine avec l’assainissement des structures et des sols. Plusieurs INB constitutives des usines de La Hague sont arrivées au stade du démantèlement et tous les déchets radioactifs accumulés doivent donc être repris et conditionnés en vue de leur évacuation.
Si les déchets de faible activité étaient conditionnés et évacués régulièrement vers des centres de stockage, les déchets technologiques de moyenne et haute activité ont été entreposés "provisoirement" dans les INB afin de se protéger des effets délétères des rayonnements, sans que cet entreposage de déchets solides n’ait fait l’objet de l’étude de leur reprise et de leur conditionnement final, en vue du stockage définitif.
Si l’on a un déchet irradiant, il est nécessaire de l’entourer d’un écran qui absorbera la quasi-totalité du rayonnement émis, afin de permettre l’activité des personnes dans l’installation en n’étant soumis qu’à une exposition aussi faible que possible.
Si l’objet est de faibles dimensions, il est mis dans un conteneur de plomb dont l’épaisseur dépend de l’activité, mais s’il s’agit de déchets radioactifs de plusieurs mètres cubes, le plus simple est de les mettre sous eau. Un mètre d’eau diminue l’intensité du rayonnement d’un facteur voisin de mille, deux mètres d’un facteur un million, trois mètres d’un facteur un milliard, etc.
En plaçant les déchets radioactifs sous 3 à 4 m d’eau, on règle le problème de l’irradiation, même si d’autres problèmes vont apparaître (augmentation de la température de l’eau, évaporation d’eau contaminée, production d’hydrogène [1] par radiolyse de l’eau). L’ennui, c’est que la plupart du temps, la question de la reprise de ces déchets et de leur conditionnement reste également enfouie durablement sous l’eau.
Le gestionnaire des déchets a ainsi réglé à faible coût le problème de l’irradiation, mais il renvoie le coût élevé de la reprise et du conditionnement des déchets, à celui qui héritera du démantèlement, à quelques dizaines d’années de là…
Un exemple similaire a été vécu également à La Hague avec un feu de graphite [2] qui avait pris en janvier 1981 dans le silo 130. Le feu a été maîtrisé en noyant les déchets sous eau dans un silo prévu pour un entreposage à sec [3]. Et puis l’on a oublié ces déchets.
Il faut, là également, réaliser une installation nucléaire de reprise du silo 130, afin de reprendre les gros déchets (chemises de graphite), de mettre l’eau du silo dans un conteneur spécial, afin de la transférer à la station de traitement des effluents N°3 (STE3) pour y être traitée, puis de reprendre les autres déchets radioactifs en fond de silo (les embouts de combustibles UNGG et des fils métalliques radioactifs) et des terres et gravats.
Les déchets radioactifs de moyenne activité à vie longue contenus dans le silo de l’atelier Haute activité oxyde (HAO) et dans les piscines du Stockage organisé des coques (SOC) de La Hague sont des déchets métalliques issus du retraitement des combustibles irradiés des réacteurs à eau légère réalisé dans l’atelier HAO/sud de l’usine UP2-400. Les solutions de dissolution du combustible irradié, obtenues après l’extraction simultanée de l’uranium et du plutonium, avaient été entreposées dans des cuves et vitrifiées plus tard.
Les déchets métalliques sont entreposés dans le Silo HAO depuis le début du retraitement des combustibles à oxyde d’uranium, de mai 1976 jusqu’à 1987, soit depuis près d’un demi-siècle pour les premiers tonnages retraités.
Ils sont constitués des "coques" (tronçons de gaines [4]) et "embouts" ("têtes" et "pieds" des assemblages combustibles), lesquels proviennent du retraitement de 2 095 tonnes d’assemblages combustibles à oxyde d’uranium. À ces déchets solides s’ajoutent les fines de "cisaillage" et les très radioactives fines de "dissolution" [5] ainsi que des résines d’épuration des eaux de piscine et des déchets technologiques issus de l’exploitation de l’atelier HAO entre 1976 et 1997. Le tout est déposé en vrac, sous l’eau. Une vraie piscine-poubelle radioactive !
De 1988 à 1990, les déchets provenant du retraitement de 1 107 tonnes, ont été entreposés en partie dans ce qui est appelé le "stockage organisé des coques" (SOC), qui est constitué de trois piscines dans lesquelles sont entreposés des coques et embouts, qui ne sont plus en vrac, mais mis dans des fûts, appelés "curseurs". De 1991 à 1998, ce sont 1 224 tonnes qui ont été retraitées, et les déchets résultants se trouvent exclusivement dans le SOC.
Ainsi les déchets en vrac de plus de 2 000 tonnes de combustibles irradiés devront être récupérés et triés au fond d’une piscine, remontés en surface, mis dans un conditionnement provisoire, puis transportés dans l’usine UP2-800 depuis un tunnel (à construire) afin de les conditionner dans un emballage agréé pour le stockage définitif.
La reprise de ces différents déchets en vrac nécessite la construction d’une installation nucléaire spécifique greffée sur le Silo HAO (cellule de reprise), l’installation d’équipements mécaniques dans l’atelier R1 de cisaillage-dissolution de l’usine UP2-800, ainsi que l’adaptation des postes de mesures nucléaires de l’atelier ACC (pour vérifier l’absence de matières nucléaires non dissoutes dans les coques). Comme ce n’est pas avec le robot conçu pour ramasser en fond de piscine les "coques et embouts" que l’on pourra reprendre les "fines", dont la géométrie est proche de celle du sable, il faudra concevoir deux systèmes de reprise différents.
Comme les premiers cisaillages ont connu des problèmes, des gaines ont été mal cisaillées et certains tronçons, au lieu de mesurer 5 cm de long environ, sont bien plus longs que prévu (plusieurs dizaines de cm). Ils peuvent contenir encore des matières nucléaires non dissoutes par la solution d’acide nitrique. Ce risque nécessite l’installation à tous les postes de conditionnement provisoire et définitif (dans UP2-800), d’un contrôle radioactif spécifique (neutronique), afin de s’assurer de l’absence de matière nucléaire résiduelle.
Les usines qui fonctionnent rapportent de l’argent alors qu’elles en dépensent en assurant la gestion des déchets. La logique financière à court terme conduit les chefs d’installation à négliger la prise en charge des déchets. Le rapport Les déchets radioactifs de la première usine de La Hague montre que la contrainte administrative, à elle seule ne suffit pas pour assurer la prise en charge des déchets radioactifs qui se sont accumulés dans une installation nucléaire.
Il faut l’accompagner d’une forte contrainte financière, qui en pénalisant l’entreprise qui ne respecte pas les demandes de prise en charge des déchets, permettrait de lutter contre ces laisser-aller des exploitants. Les seules contraintes administratives imposées par l’Autorité de Sûreté Nucléaire, sont perçues, selon l’expression chinoise, comme les menaces d’un tigre de papier.
Jean-Claude Zerbib pour Global Chance
[1] Lorsque la teneur de l’air en hydrogène atteint 4%, il peut survenir spontanément et sans apport d’énergie extérieure, une inflammation ou une explosion.
[2] Le graphite met beaucoup de temps avant de brûler, mais il en met aussi beaucoup avant de s’éteindre. C’est ainsi qu’à Tchernobyl, le feu de graphite (plus de mille tonnes) a duré plus de 10 jours. Le physicien Nesterenko avait calculé que la totalité du graphite demandera environ 240h pour brûler totalement.
[3] Une cuve en béton prévue pour un stockage sous eau a en mi-épaisseur, une âme en acier qui protège des fissurations qui peuvent survenir sur un béton qui vieillit.
[4] Les gaines sont des tubes minces, en alliage de zirconium, d’environ quatre mètres de long.
[5] Les fines de cisaillage sont de petites limailles de gaines, produites lors du cisaillage des crayons de l’assemblage combustible. Celles de dissolution sont de fines particules métalliques, très radioactives, que l’acide nitrique n’a pu dissoudre.