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Sortir du nucléaire n°70



Août 2016

Le traitement des déblais radioactifs à Fukushima

Fukushima

Dans des nuages de poussière, les camions se suivent en un ballet bien réglé. Ça grouille, ça crisse, ça grince. Les bennes se soulèvent, les moteurs grondent, les portières claquent, les groupes électrogènes ronronnent. Peu de voix se font entendre. On ne parle pas ici, on s’active. Étrange spectacle que cette animation concentrée au cœur d’une immense étendue désertée où l’œil n’est arrêté que par l’ horizon des montagnes boisées et les millions de sacs de déblais empilés à perte de vue, surmontés par un vaste ciel parsemé de nuages scintillants. Aucune construction ne gêne la vue. Seules se dressent un peu partout des enfilades de palissades blanches, de grillages verts ou de panneaux de minces lattes de bois tressées qui tombent déjà en lambeaux, derrière lesquelles s’amoncellent des sacs noirs. De loin en loin, des camions-grues.

Des travailleurs ajoutent d’énormes sacs d’un mètre cube chargés de sols contaminés sur le site de stockage de Tomioka, dans la préfecture de Fukushima.

Bienvenue à Fukushima, dans l’une des zones de livraison, tri et stockage des terres et déblais conta- minés lors de l’accident nucléaire de Fukushima : sols injectés de césium-137, végétaux, matériels divers, matériaux de construction, troncs d’arbres et des centaines de milliers de tenues de protection.

Fin 2015, il restait officiellement plus de 9 millions de sacs de 1 m3 encore dispersés sur 114 700 sites à travers la préfecture de Fukushima [1]. Ces sacs de chantier sont préparés dans les villages, les rizières, les jardins, les cours d’école, les terrains de jeux, les parcs. Ramassés par camion, ils sont transportés vers d’immenses zones de stockage provisoire en plein air. Empilés sur une hauteur de quatre rangées, entourés et recouverts d’une rangée supplémentaire de sacs de terre non radioactive, ils forment des monticules qui s’étalent à perte de vue. Protégés par des bâches vertes pour préserver leur étanchéité et ne pas contaminer l’eau de pluie par contact, ils finissent par se fondre dans le paysage. Problème : leur durée de vie est de 3 à 5 ans. On en a d’abord enfoui dans les lieux publics : une bâche au fond d’un trou, on entasse les sacs, une deuxième bâche au-dessus, le tout recouvert de 50 cm de terre propre. On en a aussi expédié aux quatre coins du Japon. Ils sont devenus un cauchemar.

Aujourd’hui, le gouvernement japonais a fait le choix de rassembler ces déchets radioactifs, d’en brûler une bonne partie, d’en stocker les cendres, et de déclarer habitables les zones partiellement décontaminées. En 2014, le ministère de l’environ- nement annonce qu’il va créer un espace de stockage provisoire de 16 km2 sur le territoire de deux villes condamnées : Okuma et Futaba, qui hébergent respectivement les réacteurs 1 à 4 et 5 et 6 de Fukushima-Daiichi. Un incinérateur permettra de brûler les déchets sur place et de stocker les cendres. Les cendres de plus de 8000 bq/kg resteront ici. À moins de 8000 bq/kg, elles seront stockées dans la ville voisine de Tomioka. À 100 000 bq/kg, elles seront insérées dans du béton et stockées pendant trois siècles sur un site séparé [2]. Les travaux commencent le 3 février 2015, le gouverneur de la préfecture de Fukushima est sollicité pour convaincre les maires en exil de ces villes de collaborer au projet [3].

Difficulté supplémentaire  : certains des 2400 propriétaires concernés refusent de louer ou vendre leurs terrains à l’État ; d’autres ont tout simplement disparu sans laisser de traces. Les premières livraisons de sols contaminés sur le site d’Okuma-Futaba ont lieu le 11 mars 2015 [4].

Les chiffres disent l’ampleur de la tragédie : en 2016, il est prévu de déplacer sur ce site 43 000 m3 de sols contaminés et autres déblais, soit 1 % du total prévisible de 22 millions de mètres cubes. 7000 personnes travaillent chaque jour sur le site de Fukushima-Daiichi et la zone environnante, en tenue de protection. Fin 2015, 70 000 tonnes de combinaisons de protection, bottes et gants contaminés étaient stockés dans des conteneurs en attente d’une solution. D’ici 2028, 358 000 tonnes de ces déchets techniques auront été produits, estime TEPCO, et leur incinération devrait permettre de diminuer de 80 % leur volume total [5].

Il y a aussi 88 000 tonnes de bois provenant des arbres abattus pour installer des réservoirs supplé- mentaires destinés au stockage de l’eau contaminée, et 155 000 tonnes de déblais provenant des bâtiments des réacteurs détruits par les explosions d’hydrogène en 2011. Pour TEPCO, ce type de déchets atteindra 695 000 tonnes d’ici 2028, mais l’électricien n’envisage de n’incinérer que le bois lorsque les installations adéquates seront disponibles.

Au total, 12 incinérateurs sont prévus, le premier étant entré en activité début 2016. Un système de filtres est supposé capter les rejets radioactif dans les fumées ; c’est parfaitement impossible de le faire à 100 % [6] + [7]. Des particules radioactives seront irrémédiablement relâchées dans l’atmosphère, là même où les populations sont appelées à revenir s’installer. Il y a, au sein du gouvernement, une frénésie du retour à tout prix, jusqu’à faire accepter aux populations que vivre dans un environnement à 20 millisieverts/an est anodin [8]. Aucun effort n’est épargné par les autorités à tous les niveaux pour bercer les populations dans l’illusion du retour. Il en va de la réputation du nucléaire et du Japon à la veille des JO de 2020, et le prix à payer par les habitants de Fukushima est tout simplement inacceptable.

Janick Magne


Notes

[1Journal Mainichi, 10/12/2015 https://mainichi.jp/english/articles/2015 1210/p2a/00m/0na/020000c

[2La demi-vie du césium 137 est de 30 ans, sa décroissance se calcule sur 300 ans.

[6World Nuclear Views, 22/03/2016 https://www.world-nuclearnews. org/WR-Fukushima-Daiichiwaste- incinerator-starts-up- 2203164.html

[7Cf les déclarations de Didier Dall’ava, directeur adjoint de l’assainissement et du démantèlement nucléaire au CEA : https://www.lefigaro.fr/sciences/2014/11/ 09/01008-20141109ARTFIG00177-fukushima- le-japon-a-choisi-d-incinerer-destonnes- de-dechets-radioactifs.php

[8C’est la norme maximale pour les travailleurs du nucléaire sur 5 années consécutives au plus. Pour les populations civiles, la norme internationale est de 1 millisievert/an. Ce programme de retour est un volet du programme ETHOS.

Dans des nuages de poussière, les camions se suivent en un ballet bien réglé. Ça grouille, ça crisse, ça grince. Les bennes se soulèvent, les moteurs grondent, les portières claquent, les groupes électrogènes ronronnent. Peu de voix se font entendre. On ne parle pas ici, on s’active. Étrange spectacle que cette animation concentrée au cœur d’une immense étendue désertée où l’œil n’est arrêté que par l’ horizon des montagnes boisées et les millions de sacs de déblais empilés à perte de vue, surmontés par un vaste ciel parsemé de nuages scintillants. Aucune construction ne gêne la vue. Seules se dressent un peu partout des enfilades de palissades blanches, de grillages verts ou de panneaux de minces lattes de bois tressées qui tombent déjà en lambeaux, derrière lesquelles s’amoncellent des sacs noirs. De loin en loin, des camions-grues.

Des travailleurs ajoutent d’énormes sacs d’un mètre cube chargés de sols contaminés sur le site de stockage de Tomioka, dans la préfecture de Fukushima.

Bienvenue à Fukushima, dans l’une des zones de livraison, tri et stockage des terres et déblais conta- minés lors de l’accident nucléaire de Fukushima : sols injectés de césium-137, végétaux, matériels divers, matériaux de construction, troncs d’arbres et des centaines de milliers de tenues de protection.

Fin 2015, il restait officiellement plus de 9 millions de sacs de 1 m3 encore dispersés sur 114 700 sites à travers la préfecture de Fukushima [1]. Ces sacs de chantier sont préparés dans les villages, les rizières, les jardins, les cours d’école, les terrains de jeux, les parcs. Ramassés par camion, ils sont transportés vers d’immenses zones de stockage provisoire en plein air. Empilés sur une hauteur de quatre rangées, entourés et recouverts d’une rangée supplémentaire de sacs de terre non radioactive, ils forment des monticules qui s’étalent à perte de vue. Protégés par des bâches vertes pour préserver leur étanchéité et ne pas contaminer l’eau de pluie par contact, ils finissent par se fondre dans le paysage. Problème : leur durée de vie est de 3 à 5 ans. On en a d’abord enfoui dans les lieux publics : une bâche au fond d’un trou, on entasse les sacs, une deuxième bâche au-dessus, le tout recouvert de 50 cm de terre propre. On en a aussi expédié aux quatre coins du Japon. Ils sont devenus un cauchemar.

Aujourd’hui, le gouvernement japonais a fait le choix de rassembler ces déchets radioactifs, d’en brûler une bonne partie, d’en stocker les cendres, et de déclarer habitables les zones partiellement décontaminées. En 2014, le ministère de l’environ- nement annonce qu’il va créer un espace de stockage provisoire de 16 km2 sur le territoire de deux villes condamnées : Okuma et Futaba, qui hébergent respectivement les réacteurs 1 à 4 et 5 et 6 de Fukushima-Daiichi. Un incinérateur permettra de brûler les déchets sur place et de stocker les cendres. Les cendres de plus de 8000 bq/kg resteront ici. À moins de 8000 bq/kg, elles seront stockées dans la ville voisine de Tomioka. À 100 000 bq/kg, elles seront insérées dans du béton et stockées pendant trois siècles sur un site séparé [2]. Les travaux commencent le 3 février 2015, le gouverneur de la préfecture de Fukushima est sollicité pour convaincre les maires en exil de ces villes de collaborer au projet [3].

Difficulté supplémentaire  : certains des 2400 propriétaires concernés refusent de louer ou vendre leurs terrains à l’État ; d’autres ont tout simplement disparu sans laisser de traces. Les premières livraisons de sols contaminés sur le site d’Okuma-Futaba ont lieu le 11 mars 2015 [4].

Les chiffres disent l’ampleur de la tragédie : en 2016, il est prévu de déplacer sur ce site 43 000 m3 de sols contaminés et autres déblais, soit 1 % du total prévisible de 22 millions de mètres cubes. 7000 personnes travaillent chaque jour sur le site de Fukushima-Daiichi et la zone environnante, en tenue de protection. Fin 2015, 70 000 tonnes de combinaisons de protection, bottes et gants contaminés étaient stockés dans des conteneurs en attente d’une solution. D’ici 2028, 358 000 tonnes de ces déchets techniques auront été produits, estime TEPCO, et leur incinération devrait permettre de diminuer de 80 % leur volume total [5].

Il y a aussi 88 000 tonnes de bois provenant des arbres abattus pour installer des réservoirs supplé- mentaires destinés au stockage de l’eau contaminée, et 155 000 tonnes de déblais provenant des bâtiments des réacteurs détruits par les explosions d’hydrogène en 2011. Pour TEPCO, ce type de déchets atteindra 695 000 tonnes d’ici 2028, mais l’électricien n’envisage de n’incinérer que le bois lorsque les installations adéquates seront disponibles.

Au total, 12 incinérateurs sont prévus, le premier étant entré en activité début 2016. Un système de filtres est supposé capter les rejets radioactif dans les fumées ; c’est parfaitement impossible de le faire à 100 % [6] + [7]. Des particules radioactives seront irrémédiablement relâchées dans l’atmosphère, là même où les populations sont appelées à revenir s’installer. Il y a, au sein du gouvernement, une frénésie du retour à tout prix, jusqu’à faire accepter aux populations que vivre dans un environnement à 20 millisieverts/an est anodin [8]. Aucun effort n’est épargné par les autorités à tous les niveaux pour bercer les populations dans l’illusion du retour. Il en va de la réputation du nucléaire et du Japon à la veille des JO de 2020, et le prix à payer par les habitants de Fukushima est tout simplement inacceptable.

Janick Magne



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