Faire un don

Sortir du nucléaire n°36



Sept-oct 2007

Prolifération

Le nucléaire au Moyen-Orient : l’urgence d’une solution

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°36 - Sept-oct 2007

 Nucléaire militaire
Article publié le : 1er octobre 2007


Etat des lieux de la situation par Bernard Ravenel, l’auteur d’un livre récent Israël, Iran… Dénucléariser le Moyen-Orient.



Ces derniers mois, la chronique des “affaires atomiques” (pour reprendre le titre du livre de Dominique Lorentz) a été riche. Bien sûr, il y a eu le feuilleton iranien et nord-coréen, mais, malgré tout le secret et la manipulation qui caractérisent l’information dans ce domaine, on voit aisément, par la façon dont ils relancent la course aux armements, comment les États-Unis procèdent. Ils utilisent le programme nucléaire iranien (au lancement duquel ils ont beaucoup contribué) pour “couvrir” la reprise de la prolifération nucléaire.
Venant après la décision de fournir de la technologie nucléaire civile à l’Arabie Saoudite et à l’Égypte, l’accord de coopération nucléaire entre l’Inde et les Etats-Unis rendu public le 3 août 2007, vient d’en apporter une éclatante démonstration. Cet accord — en contradiction avec le programme commun de l’“Alliance progressiste” aujourd’hui au pouvoir et qui s’était prononcé pour le désarmement nucléaire global — doit mettre seulement 14 réacteurs nucléaires sur 22 sous le contrôle de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique).
Les autres pourront fournir assez de plutonium pour 25 nouvelles bombes par an — pour un arsenal actuel d’une centaine de bombes présenté jusque-là comme le minimum dissuasif nécessaire et suffisant… Par ailleurs, l’Inde pourra aussi stocker du matériel nucléaire militaire dans des installations hors contrôle de l’AIEA et importer l’uranium pour les réacteurs sous contrôle. L’Inde pourra alors utiliser l’uranium de production nationale uniquement pour les armes.
Cet accord vise à construire un nouveau rapport politico-stratégique avec l’Inde dans un schéma plus large, conçu par Washington pour “contenir“ la Chine, isoler l’Iran et créer un axe nucléaire asiatique dominé par les États-Unis avec l’Inde, le Japon — poussé à se doter d’armes nucléaires — et Israël.
Ainsi, Washington utilise, après l’avoir encouragé, le programme nucléaire iranien pour couvrir cette relance du nucléaire, mais aussi pour justifier un emploi éventuel d’armes nucléaires précisément contre l’Iran !…
En même temps, le développement du programme nucléaire militaire israélien a induit mécaniquement une inquiétude et une émulation parmi les États qui pouvaient se sentir menacés et a alimenté la prolifération nucléaire à commencer par l’Irak et l’Iran (l’Égypte y a aussi beaucoup pensé…) qui entendaient réaliser une percée stratégique avec “l’ennemi sioniste”.
Cette responsabilité d’Israël dans la prolifération régionale, souvent oubliée, masquée ou niée — pour les amis d’Israël, c’est l’Iran le vrai et seul responsable —, est pourtant reconnue aussi bien par Robert Gates, l’actuel secrétaire d’État à la Défense des États-Unis, par Georges Le Guelte, ancien secrétaire général du Conseil des gouverneurs de l’AIEA et directeur de recherches à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques), que par Jean-François Daguzan, maître de recherche à la FRS (Fondation pour la recherche stratégique).
En effet, la présence de loin la plus déstabilisatrice de toute la région est le puissant arsenal israélien qui a permis à Israël de prétendre jouer le rôle de gendarme nucléaire pour tout le Moyen-Orient, à commencer par le bombardement du réacteur Osirak en Irak le 7 juin 1981.
Aujourd’hui, avec la logique infernale de la dissuasion nucléaire qui conduit les États-Unis à doter un grand nombre de pays de l’arme nucléaire pour les attirer dans leur propre orbite, la non-solution des problèmes politiques régionaux et d’abord de la question palestinienne, accélérant la course aux armements les plus sophistiqués, crée les conditions d’un affrontement nucléaire aux conséquences incalculables.
Face à cette situation, la proposition de faire du Moyen-Orient une “zone exempte d’armes nucléaires” (Nuclear free zone) est d’une urgence absolue et vitale. Elle est sur le tapis depuis l’époque des négociations pour le TNP (traité pour la non-prolifération) ; elle est reproposée régulièrement par des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies. En 2003, la troïka européenne (Allemagne, France et Grande-Bretagne) qui négociait avec l’Iran, l’a reprise. Elle est toujours bloquée par Israël et les États-Unis, alors que d’autres zones exemptes d’armes nucléaires ont été instituées (Amérique latine et Caraïbes, Afrique, Sud-Est asiatique, Pacifique Sud).
Cette proposition essentielle doit être popularisée, relancée sans hésitation face à ceux qui veulent bombarder l’Iran : elle est la voie maîtresse pour désenclencher la logique de guerre généralisée dans la région et pour ouvrir un processus réellement nouveau inversant nettement la tendance, et qui pose de manière nouvelle les autres problèmes et en prépare la solution. Ce serait un choix qui débloquerait franchement tout le processus actuellement bloqué, du désarmement nucléaire promis et non tenu au moment du lancement du TNP, il y a 37 ans… L’Europe est là encore placée devant sa responsabilité historique face à un problème qui met en jeu l’avenir de l’humanité et de la planète…
C’est ce qu’a demandé la Plateforme des ONG pour la Palestine aux candidats à l’élection présidentielle et aux élections législatives de 2007. Les réponses restent encore bien incertaines… C’est cette bataille pour des réponses plus engagées et surtout pour des engagements fermes qu’il nous faut continuer.
A LIRE :

Israël, Iran… Dénucléariser le Moyen-Orient ,de Bernard Ravenel,
avec la collaboration de Patrice Bouveret.
Co-édition Association France Palestine Solidarité et Observatoire des armements/CDRPC. Septembre 2007, 72 pages.
5 euros + port : 2 euros
À commander au : CDRPC, 187, montée de Choulans, 69005 Lyon


L’ESSENTIEL A SAVOIR EN CINQ POINTS :

1. Les risques de guerre nucléaire sont aujourd’hui beaucoup plus concrets et graves que pendant les années de la guerre froide où s’était maintenu un certain “équilibre de la terreur”.

2. Les pays dotés d’armes nucléaires ont décidé de façon délibérée, en violation des engagements pris en signant le TNP de ne jamais renoncer à ces armes et même de les perfectionner… Pour les États nucléaires non signataires du TNP, comme Israël, l’Inde et le Pakistan, la question ne s’est même pas posée…

3. Actuellement, dans le secret de laboratoires bien gardés, se développent — surtout aux États-Unis, mais aussi en France — des recherches très actives et pointues visant à réaliser des armes nucléaires de type nouveau. L’objectif est surtout leur miniaturisation — les “mini-nukes” — pour annuler la distinction essentielle entre armes nucléaires et armes conventionnelles et, par conséquent pour justifier leur utilisation sur le champ de bataille y compris de manière préventive. Si bien que la prolifération nucléaire prend des formes complètement nouvelles beaucoup plus incontournables et trompeuses.

4. Le régime de non-prolifération nucléaire institué dans les années 1970, complété par l’interdiction des essais nucléaires en 1996, est aujourd’hui en crise, car inadéquat pour contrôler les nouveaux développements technologiques. Le récent accord nucléaire indo-étatsuniens qui vient d’être officiellement conclu (août 2007) en permettant à l’Inde — non signataire du TNP — de développer son arsenal nucléaire, porte un coup décisif au système global de non-prolifération en encourageant tous les États — y compris l’Iran — à produire des armes nucléaires.

5. Il existe un lien étroit entre les programmes militaires et les programmes civils, dont on constate une relance simultanée en ce moment (cf. le projet EPR). Les programmes civils sont, depuis l’origine, toujours subordonnés et liés aux programmes militaires — officiels ou non — qui en sont le support et la motivation réelle. Cette fonctionnalité des programmes civils pour les programmes militaires est une donnée structurante du phénomène nucléaire.
B. R.
Bernard Ravenel

Ces derniers mois, la chronique des “affaires atomiques” (pour reprendre le titre du livre de Dominique Lorentz) a été riche. Bien sûr, il y a eu le feuilleton iranien et nord-coréen, mais, malgré tout le secret et la manipulation qui caractérisent l’information dans ce domaine, on voit aisément, par la façon dont ils relancent la course aux armements, comment les États-Unis procèdent. Ils utilisent le programme nucléaire iranien (au lancement duquel ils ont beaucoup contribué) pour “couvrir” la reprise de la prolifération nucléaire.
Venant après la décision de fournir de la technologie nucléaire civile à l’Arabie Saoudite et à l’Égypte, l’accord de coopération nucléaire entre l’Inde et les Etats-Unis rendu public le 3 août 2007, vient d’en apporter une éclatante démonstration. Cet accord — en contradiction avec le programme commun de l’“Alliance progressiste” aujourd’hui au pouvoir et qui s’était prononcé pour le désarmement nucléaire global — doit mettre seulement 14 réacteurs nucléaires sur 22 sous le contrôle de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique).
Les autres pourront fournir assez de plutonium pour 25 nouvelles bombes par an — pour un arsenal actuel d’une centaine de bombes présenté jusque-là comme le minimum dissuasif nécessaire et suffisant… Par ailleurs, l’Inde pourra aussi stocker du matériel nucléaire militaire dans des installations hors contrôle de l’AIEA et importer l’uranium pour les réacteurs sous contrôle. L’Inde pourra alors utiliser l’uranium de production nationale uniquement pour les armes.
Cet accord vise à construire un nouveau rapport politico-stratégique avec l’Inde dans un schéma plus large, conçu par Washington pour “contenir“ la Chine, isoler l’Iran et créer un axe nucléaire asiatique dominé par les États-Unis avec l’Inde, le Japon — poussé à se doter d’armes nucléaires — et Israël.
Ainsi, Washington utilise, après l’avoir encouragé, le programme nucléaire iranien pour couvrir cette relance du nucléaire, mais aussi pour justifier un emploi éventuel d’armes nucléaires précisément contre l’Iran !…
En même temps, le développement du programme nucléaire militaire israélien a induit mécaniquement une inquiétude et une émulation parmi les États qui pouvaient se sentir menacés et a alimenté la prolifération nucléaire à commencer par l’Irak et l’Iran (l’Égypte y a aussi beaucoup pensé…) qui entendaient réaliser une percée stratégique avec “l’ennemi sioniste”.
Cette responsabilité d’Israël dans la prolifération régionale, souvent oubliée, masquée ou niée — pour les amis d’Israël, c’est l’Iran le vrai et seul responsable —, est pourtant reconnue aussi bien par Robert Gates, l’actuel secrétaire d’État à la Défense des États-Unis, par Georges Le Guelte, ancien secrétaire général du Conseil des gouverneurs de l’AIEA et directeur de recherches à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques), que par Jean-François Daguzan, maître de recherche à la FRS (Fondation pour la recherche stratégique).
En effet, la présence de loin la plus déstabilisatrice de toute la région est le puissant arsenal israélien qui a permis à Israël de prétendre jouer le rôle de gendarme nucléaire pour tout le Moyen-Orient, à commencer par le bombardement du réacteur Osirak en Irak le 7 juin 1981.
Aujourd’hui, avec la logique infernale de la dissuasion nucléaire qui conduit les États-Unis à doter un grand nombre de pays de l’arme nucléaire pour les attirer dans leur propre orbite, la non-solution des problèmes politiques régionaux et d’abord de la question palestinienne, accélérant la course aux armements les plus sophistiqués, crée les conditions d’un affrontement nucléaire aux conséquences incalculables.
Face à cette situation, la proposition de faire du Moyen-Orient une “zone exempte d’armes nucléaires” (Nuclear free zone) est d’une urgence absolue et vitale. Elle est sur le tapis depuis l’époque des négociations pour le TNP (traité pour la non-prolifération) ; elle est reproposée régulièrement par des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies. En 2003, la troïka européenne (Allemagne, France et Grande-Bretagne) qui négociait avec l’Iran, l’a reprise. Elle est toujours bloquée par Israël et les États-Unis, alors que d’autres zones exemptes d’armes nucléaires ont été instituées (Amérique latine et Caraïbes, Afrique, Sud-Est asiatique, Pacifique Sud).
Cette proposition essentielle doit être popularisée, relancée sans hésitation face à ceux qui veulent bombarder l’Iran : elle est la voie maîtresse pour désenclencher la logique de guerre généralisée dans la région et pour ouvrir un processus réellement nouveau inversant nettement la tendance, et qui pose de manière nouvelle les autres problèmes et en prépare la solution. Ce serait un choix qui débloquerait franchement tout le processus actuellement bloqué, du désarmement nucléaire promis et non tenu au moment du lancement du TNP, il y a 37 ans… L’Europe est là encore placée devant sa responsabilité historique face à un problème qui met en jeu l’avenir de l’humanité et de la planète…
C’est ce qu’a demandé la Plateforme des ONG pour la Palestine aux candidats à l’élection présidentielle et aux élections législatives de 2007. Les réponses restent encore bien incertaines… C’est cette bataille pour des réponses plus engagées et surtout pour des engagements fermes qu’il nous faut continuer.
A LIRE :

Israël, Iran… Dénucléariser le Moyen-Orient ,de Bernard Ravenel,
avec la collaboration de Patrice Bouveret.
Co-édition Association France Palestine Solidarité et Observatoire des armements/CDRPC. Septembre 2007, 72 pages.
5 euros + port : 2 euros
À commander au : CDRPC, 187, montée de Choulans, 69005 Lyon


L’ESSENTIEL A SAVOIR EN CINQ POINTS :

1. Les risques de guerre nucléaire sont aujourd’hui beaucoup plus concrets et graves que pendant les années de la guerre froide où s’était maintenu un certain “équilibre de la terreur”.

2. Les pays dotés d’armes nucléaires ont décidé de façon délibérée, en violation des engagements pris en signant le TNP de ne jamais renoncer à ces armes et même de les perfectionner… Pour les États nucléaires non signataires du TNP, comme Israël, l’Inde et le Pakistan, la question ne s’est même pas posée…

3. Actuellement, dans le secret de laboratoires bien gardés, se développent — surtout aux États-Unis, mais aussi en France — des recherches très actives et pointues visant à réaliser des armes nucléaires de type nouveau. L’objectif est surtout leur miniaturisation — les “mini-nukes” — pour annuler la distinction essentielle entre armes nucléaires et armes conventionnelles et, par conséquent pour justifier leur utilisation sur le champ de bataille y compris de manière préventive. Si bien que la prolifération nucléaire prend des formes complètement nouvelles beaucoup plus incontournables et trompeuses.

4. Le régime de non-prolifération nucléaire institué dans les années 1970, complété par l’interdiction des essais nucléaires en 1996, est aujourd’hui en crise, car inadéquat pour contrôler les nouveaux développements technologiques. Le récent accord nucléaire indo-étatsuniens qui vient d’être officiellement conclu (août 2007) en permettant à l’Inde — non signataire du TNP — de développer son arsenal nucléaire, porte un coup décisif au système global de non-prolifération en encourageant tous les États — y compris l’Iran — à produire des armes nucléaires.

5. Il existe un lien étroit entre les programmes militaires et les programmes civils, dont on constate une relance simultanée en ce moment (cf. le projet EPR). Les programmes civils sont, depuis l’origine, toujours subordonnés et liés aux programmes militaires — officiels ou non — qui en sont le support et la motivation réelle. Cette fonctionnalité des programmes civils pour les programmes militaires est une donnée structurante du phénomène nucléaire.
B. R.
Bernard Ravenel



Soyez au coeur de l'information !

Tous les 3 mois, retrouvez 36 pages (en couleur) de brèves, interviews, articles, BD, alternatives concrètes, actions originales, luttes antinucléaires à l’étranger, décryptages, etc.

Je m'abonne à la revue du Réseau