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Sortir du nucléaire n°78



Été 2018

Cigéo

Le 16 juin, l’opposition à Bure s’est invitée à Bar

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°78 - Été 2018

 Luttes et actions  Bure - CIGEO  Bure


Le samedi 16 juin 2018, une grande journée de mobilisation contre le projet de poubelle nucléaire Cigéo était organisée à Bar-le-Duc, la préfecture de la Meuse. Divisée en deux temps “le matin pour réfléchir, l’après-midi pour agir“, la journée a vu 3 000 personnes affluer de la région, de toute la France et même de l’étranger. Pour manifester leur opposition au projet Cigéo et afficher leur soutien à la lutte contre l’enfouissement des déchets radioactifs, les participant.es ont pu se réunir et éprouver différentes formes d’action. Récit d’une journée festive et riche en discussions.



La veille, une étrange rumeur s’échappe déjà du Hall des Brasseries, où doivent se tenir le lendemain des tables rondes et un village associatif. À Bar-le-Duc, préfecture de la Meuse, les organisateurs.trices de la journée du 16 juin contre le projet de poubelle nucléaire à Bure ont déniché ce vaste hangar frais où proposer des animations et se rassembler avant le départ de la manifestation. Pour l’heure, les sympathisant.es de la lutte anti-Cigéo bouclent les derniers préparatifs. Dans l’effervescence de retrouvailles antinucléaires, certain.es finissent de bricoler les ailes de l’immense hibou qui défilera le lendemain. D’autres terminent de peindre les yeux de l’imposante chouette qui tient un fût de déchets radioactifs dans son bec. On se retrouve autour d’une bière. On se raconte les dernières actualités de la lutte et on écoute un air d’accordéon. On s’émerveille devant les imposants chars prévus pour la parade festive du lendemain.

Le soir, les bénévoles déjà présent.es finissent d’installer tables et chaises tandis que les plus costaud.es hissent les sangles qui dressent le chapiteau dans lequel auront lieu les concerts et les discussions. Les organisateurs.trices de la cantine autogérée déballent leurs immenses marmites. À l’autre bout du barnum, une équipe “légumes“ s’affaire à peler, éplucher et concasser champignons, pommes de terre, oignons et autres carottes : tous ces légumes frais et bio seront servis à pas moins de 1500 personnes ! L’autre partie des bénévoles est allée en reconnaissance sur le terrain mis à disposition pour camper. Elle balise le chemin à l’aide d’une signalétique en cartons fléchés. Si la mise en place s’étire tard dans la nuit, la promesse d’une belle journée et l’impatience de dévoiler les animations prévues le lendemain maintiennent en éveil les plus courageux.ses.

Le matin pour réfléchir

Le 16 juin, à partir de 10 heures, le Hall des Brasseries se transforme en village associatif bien garni.

Comités de soutiens, collectifs antinucléaires, associations environnementales ou pacifistes et partis politiques : une multitude d’organisations ont posé leurs bagages pour dire non au projet Cigéo. De tables rondes en stands, les idées s’échangent et les arguments fusent. On fait circuler des tracts, on s’échange des numéros de téléphone et on fait des plans d’action sur la comète. Au fond du hangar, les tables rondes battent leur plein. Les intervenant.es reviennent sur l’historique de la lutte contre l’enfouissement des déchets radioactifs et évoquent les multiples tentatives de passage en force comme les simulacres de démocratie participative, destiné.es à garantir l’acceptabilité sociale de projets déjà décidés. Plus loin, l’atelier confection de masques de hiboux attire petit.es et grand.es. Découpés dans des assiettes en carton, les masques sont ensuite peints, au gré de l’inspiration de chacun.e. Sur la grande esplanade en gravier qui jouxte le Hall, la foule se masse autour des animations proposées. Un artisan initie les curieux à la ferronnerie d’art, façon feuilles et branches en fer forgé.

Au total, plus d’une vingtaine de bus ont été affrétés pour transporter des milliers de personnes jusqu’en Meuse. La plupart ont voyagé de nuit et sont arrivé.es à l’aube. Aussi, vers midi, certain.es voyageurs.euses convergent déjà vers les tonnelles qui abritent la cantine, le ventre tiraillé par la faim.

L’après-midi pour agir (et réfléchir de nouveau)

À 14h30, le cortège se met en mouvement. Il va s’engager sur le parcours prévu : longer l’Ornain près des quais ombragés par les tilleuls. Ensuite, remonter la grande rue commerçante pour finir sur la place Reggio, devant la préfecture de département. Au passage du cortège, ce qui attire l’œil, c’est l’incroyable diversité des participant.es : des paysan.nes qui roulent au pas dans leurs tracteurs recouverts de slogans, des familles avec poussettes et enfants sur les épaules, des personnes vêtues de noir et d’autres qui portent des vêtements bariolés. Ici, deux personnes avec des masques de hiboux tiennent une banderole bordeaux sur laquelle il est inscrit : “de la ZAD à Bure, face aux expulsions militaires : résistance populaire“. De nombreux.ses manifestant.es brandissent des drapeaux “Stop Cigéo“. Certain.es arborent des pin’s ou portent un sac à dos bardé d’autocollants “Bure non merci“. Quasiment tou.tes ont répondu à l’appel lancé quelques semaines auparavant à venir muni de branches et de feuilles, pour “reboiser“ Bar-le-Duc. Les végétaux seront finalement déposés à l’angle d’une rue, devant le concert donné par les Bure Haleurs et leur matériel alimenté par de courageux.ses volontaires qui pédalent pour alimenter amplis et sono avec de l’électricité verte et gratuite !

15h00 : les batucadas rythment la cadence de la marche et font danser les participant.es. D’autres proposent des mini spectacles éphémères : là-bas une mime convaincante, ici les “blagues blocs“. Cette équipe de clowns activistes désamorce avec humour les quelques moments de tension entre les gendarmes mobiles et certain.es manifestant.es. Au milieu du cortège, un participant agglomère les énergies autour de lui : c’est Robin. Victime l’an dernier d’un tir de grenade de désencerclement lors d’un rassemblement contre Cigéo, il évolue désormais en fauteuil roulant. S’il a perdu une grande partie de son pied à cause du souffle de la charge explosive contenue dans l’engin lancé par les forces de l’ordre, Robin a gagné en détermination. Armé d’un mégaphone, il donne le la : “On est plus chaud, plus chaud, plus chaud que Cigéo !“ Et les slogans s’enchaînent : “Ami.e j’entends ta rage, Cigéo va brûler, ou bien par sabotage, ou bien par ses déchets“.

À une vingtaine de mètres, un groupe de personnes opérant en mode “black block“ entreprend de “saboter“ plusieurs lieux symboliques situés sur le parcours du défilé. Vêtues de noir, elles commettent des dégradations matérielles sur plusieurs infrastructures jugées stratégiques : des bâtiments d’entreprises identifiées comme étant des sous-traitantes engagées dans le projet Cigéo. Plus loin, quelques-un.es ciblent également une agence d’intérim. En arrivant sur l’artère principale de la ville, plusieurs individus prennent pour cible les vitrines et les distributeurs de quelques agences bancaires avant que les CRS ne s’interposent.

Très vite, ces actes minoritaires mais bien visibles suscitent des débats dans le cortège. Pour certain.es participant.es, ces dégradations matérielles constituent un sabotage de la manifestation, de son efficacité et de son traitement médiatique. Mais pour d’autres, le sabotage ciblé de bâtiments symboliquement liés à l’Andra représente une forme de lutte comme une autre. Dans tous les cas, on ne peut que constater un fait : le raidissement du gouvernement (sur Cigéo comme sur d’autres sujets) et la trahison du ministre de l’Écologie ont entraîné une colère qui ne cesse de croître et qui choisit désormais de s’exprimer autrement que dans le répertoire d’action traditionnel.

En témoigne la formule ironique “Sous le K-Way, c’est Hulot !“, taguée par des personnes habillées en noir, qui fait écho au slogan “Hulot m’a radicalisé.e“ déjà présent dans de précédentes manifestations. En dépit des incidents qui émaillent le défilé et dont une grande partie des participant.es ne se préoccupe pas, l’ambiance de la journée reste festive, motivante et positive.

Place Reggio, les organisateurs.trices (le Cedra 52, principale organisation anti-Cigéo haut-marnaise, l’EODRA, qui regroupe des élu.es opposé.es à l’enfouissement et les Chouettes Hiboux de Bure) clôturent cette journée avec un discours symboliquement fort  [1]. Dans la rue qui débouche sur la place, un marché paysan propose des produits locaux à prix réduits. Après le discours final des organisateurs.trices, la chorale propose un florilège de chants. Réceptive, la foule se masse sur les larges marches qui bordent la préfecture. La compagnie Jolie Môme aura le mot de la fin, avec une représentation qui a ravi petit.es et grand.es. Avant la dispersion, la foule entonne un dernier slogan, comme pour se motiver et se donner rendez-vous. “Andra, dégage, résistance et sabotages !“

Julien Baldassarra


Notes

[1Extraits disponibles en page 14 et intégralité sur le site du Réseau “Sortir du nucléaire“.

La veille, une étrange rumeur s’échappe déjà du Hall des Brasseries, où doivent se tenir le lendemain des tables rondes et un village associatif. À Bar-le-Duc, préfecture de la Meuse, les organisateurs.trices de la journée du 16 juin contre le projet de poubelle nucléaire à Bure ont déniché ce vaste hangar frais où proposer des animations et se rassembler avant le départ de la manifestation. Pour l’heure, les sympathisant.es de la lutte anti-Cigéo bouclent les derniers préparatifs. Dans l’effervescence de retrouvailles antinucléaires, certain.es finissent de bricoler les ailes de l’immense hibou qui défilera le lendemain. D’autres terminent de peindre les yeux de l’imposante chouette qui tient un fût de déchets radioactifs dans son bec. On se retrouve autour d’une bière. On se raconte les dernières actualités de la lutte et on écoute un air d’accordéon. On s’émerveille devant les imposants chars prévus pour la parade festive du lendemain.

Le soir, les bénévoles déjà présent.es finissent d’installer tables et chaises tandis que les plus costaud.es hissent les sangles qui dressent le chapiteau dans lequel auront lieu les concerts et les discussions. Les organisateurs.trices de la cantine autogérée déballent leurs immenses marmites. À l’autre bout du barnum, une équipe “légumes“ s’affaire à peler, éplucher et concasser champignons, pommes de terre, oignons et autres carottes : tous ces légumes frais et bio seront servis à pas moins de 1500 personnes ! L’autre partie des bénévoles est allée en reconnaissance sur le terrain mis à disposition pour camper. Elle balise le chemin à l’aide d’une signalétique en cartons fléchés. Si la mise en place s’étire tard dans la nuit, la promesse d’une belle journée et l’impatience de dévoiler les animations prévues le lendemain maintiennent en éveil les plus courageux.ses.

Le matin pour réfléchir

Le 16 juin, à partir de 10 heures, le Hall des Brasseries se transforme en village associatif bien garni.

Comités de soutiens, collectifs antinucléaires, associations environnementales ou pacifistes et partis politiques : une multitude d’organisations ont posé leurs bagages pour dire non au projet Cigéo. De tables rondes en stands, les idées s’échangent et les arguments fusent. On fait circuler des tracts, on s’échange des numéros de téléphone et on fait des plans d’action sur la comète. Au fond du hangar, les tables rondes battent leur plein. Les intervenant.es reviennent sur l’historique de la lutte contre l’enfouissement des déchets radioactifs et évoquent les multiples tentatives de passage en force comme les simulacres de démocratie participative, destiné.es à garantir l’acceptabilité sociale de projets déjà décidés. Plus loin, l’atelier confection de masques de hiboux attire petit.es et grand.es. Découpés dans des assiettes en carton, les masques sont ensuite peints, au gré de l’inspiration de chacun.e. Sur la grande esplanade en gravier qui jouxte le Hall, la foule se masse autour des animations proposées. Un artisan initie les curieux à la ferronnerie d’art, façon feuilles et branches en fer forgé.

Au total, plus d’une vingtaine de bus ont été affrétés pour transporter des milliers de personnes jusqu’en Meuse. La plupart ont voyagé de nuit et sont arrivé.es à l’aube. Aussi, vers midi, certain.es voyageurs.euses convergent déjà vers les tonnelles qui abritent la cantine, le ventre tiraillé par la faim.

L’après-midi pour agir (et réfléchir de nouveau)

À 14h30, le cortège se met en mouvement. Il va s’engager sur le parcours prévu : longer l’Ornain près des quais ombragés par les tilleuls. Ensuite, remonter la grande rue commerçante pour finir sur la place Reggio, devant la préfecture de département. Au passage du cortège, ce qui attire l’œil, c’est l’incroyable diversité des participant.es : des paysan.nes qui roulent au pas dans leurs tracteurs recouverts de slogans, des familles avec poussettes et enfants sur les épaules, des personnes vêtues de noir et d’autres qui portent des vêtements bariolés. Ici, deux personnes avec des masques de hiboux tiennent une banderole bordeaux sur laquelle il est inscrit : “de la ZAD à Bure, face aux expulsions militaires : résistance populaire“. De nombreux.ses manifestant.es brandissent des drapeaux “Stop Cigéo“. Certain.es arborent des pin’s ou portent un sac à dos bardé d’autocollants “Bure non merci“. Quasiment tou.tes ont répondu à l’appel lancé quelques semaines auparavant à venir muni de branches et de feuilles, pour “reboiser“ Bar-le-Duc. Les végétaux seront finalement déposés à l’angle d’une rue, devant le concert donné par les Bure Haleurs et leur matériel alimenté par de courageux.ses volontaires qui pédalent pour alimenter amplis et sono avec de l’électricité verte et gratuite !

15h00 : les batucadas rythment la cadence de la marche et font danser les participant.es. D’autres proposent des mini spectacles éphémères : là-bas une mime convaincante, ici les “blagues blocs“. Cette équipe de clowns activistes désamorce avec humour les quelques moments de tension entre les gendarmes mobiles et certain.es manifestant.es. Au milieu du cortège, un participant agglomère les énergies autour de lui : c’est Robin. Victime l’an dernier d’un tir de grenade de désencerclement lors d’un rassemblement contre Cigéo, il évolue désormais en fauteuil roulant. S’il a perdu une grande partie de son pied à cause du souffle de la charge explosive contenue dans l’engin lancé par les forces de l’ordre, Robin a gagné en détermination. Armé d’un mégaphone, il donne le la : “On est plus chaud, plus chaud, plus chaud que Cigéo !“ Et les slogans s’enchaînent : “Ami.e j’entends ta rage, Cigéo va brûler, ou bien par sabotage, ou bien par ses déchets“.

À une vingtaine de mètres, un groupe de personnes opérant en mode “black block“ entreprend de “saboter“ plusieurs lieux symboliques situés sur le parcours du défilé. Vêtues de noir, elles commettent des dégradations matérielles sur plusieurs infrastructures jugées stratégiques : des bâtiments d’entreprises identifiées comme étant des sous-traitantes engagées dans le projet Cigéo. Plus loin, quelques-un.es ciblent également une agence d’intérim. En arrivant sur l’artère principale de la ville, plusieurs individus prennent pour cible les vitrines et les distributeurs de quelques agences bancaires avant que les CRS ne s’interposent.

Très vite, ces actes minoritaires mais bien visibles suscitent des débats dans le cortège. Pour certain.es participant.es, ces dégradations matérielles constituent un sabotage de la manifestation, de son efficacité et de son traitement médiatique. Mais pour d’autres, le sabotage ciblé de bâtiments symboliquement liés à l’Andra représente une forme de lutte comme une autre. Dans tous les cas, on ne peut que constater un fait : le raidissement du gouvernement (sur Cigéo comme sur d’autres sujets) et la trahison du ministre de l’Écologie ont entraîné une colère qui ne cesse de croître et qui choisit désormais de s’exprimer autrement que dans le répertoire d’action traditionnel.

En témoigne la formule ironique “Sous le K-Way, c’est Hulot !“, taguée par des personnes habillées en noir, qui fait écho au slogan “Hulot m’a radicalisé.e“ déjà présent dans de précédentes manifestations. En dépit des incidents qui émaillent le défilé et dont une grande partie des participant.es ne se préoccupe pas, l’ambiance de la journée reste festive, motivante et positive.

Place Reggio, les organisateurs.trices (le Cedra 52, principale organisation anti-Cigéo haut-marnaise, l’EODRA, qui regroupe des élu.es opposé.es à l’enfouissement et les Chouettes Hiboux de Bure) clôturent cette journée avec un discours symboliquement fort  [1]. Dans la rue qui débouche sur la place, un marché paysan propose des produits locaux à prix réduits. Après le discours final des organisateurs.trices, la chorale propose un florilège de chants. Réceptive, la foule se masse sur les larges marches qui bordent la préfecture. La compagnie Jolie Môme aura le mot de la fin, avec une représentation qui a ravi petit.es et grand.es. Avant la dispersion, la foule entonne un dernier slogan, comme pour se motiver et se donner rendez-vous. “Andra, dégage, résistance et sabotages !“

Julien Baldassarra



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