Le rapport remis par le directeur de lAgence internationale de lénergie atomique (AIEA), Mohamed El Baradei, à lONU le 28 avril 2006, confirme que le régime iranien accélère son programme denrichissement duranium au mépris des demandes du Conseil de sécurité mais savoue incapable de déterminer si le pays cherche à se doter dune bombe atomique
Toutefois, il confirme que lIran est bel et bien parvenu à produire de luranium faiblement enrichi comme la clamé le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, le 11 avril dernier sur la télévision nationale
Ce qui nest pas, en soi, contraire aux règles du Traité de non-prolifération (TNP) - dont lIran est signataire depuis son adoption en 1970 - même si lenrichissement est un programme militaire latent comme lexpliquait Mohamed El Baradei. Tel quest le traité actuellement, tout pays a le droit denrichir luranium sil annonce que cest pour la production délectricité. Ce que ne cesse dailleurs daffirmer les dirigeants iraniens, maniant en cela parfaitement la langue de bois, mais sans que les inspecteurs de lAIEA naient pu jusquà présent prouver le contraire.
En effet, la complexité du processus de fabrication des matières nucléaires alliée au caractère particulièrement hypocrite du Traité de non-prolifération (TNP) facilite les possibilités pour lIran de masquer lavancée de son programme militaire. Mais, sans oublier non plus quavoir la capacité de faire une bombe est une chose, celle de constituer un système militaire nucléaire opérationnel venant menacer les autres États de la région ou les puissances occidentales, en est une autre !
Des ambitions au seuil
Larme nucléaire est une arme inutilisable ; elle ne fait pas partie de notre stratégie. LIran ne veut pas darme nucléaire et il nen a aucune a affirmé, sans sourciller, le 6 mai dernier, M. Seyed Ali Moujani, le chef de mission de lambassade de la République islamique dIran en France, devant les 150 participants aux deuxièmes Rencontres internationales de Saintes pour le désarmement nucléaire, biologique et chimique.
Pourtant, dès son démarrage au milieu des années 1970 le programme nucléaire iranien comportait une dimension militaire. Mais à lépoque sans que nul ny trouvait à redire
Le Shah, alors à la tête de lÉtat, était un allié des États-Unis et dIsraël. Nous étions en pleine guerre froide et il sagissait de contrer lex-URSS. La France (via notamment une prise de participation de lIran dans lusine denrichissement Eurodif) et lAllemagne coopéraient avec Téhéran. Washington ne voyait pas là de quoi sindigner !
Après le renversement du Shah et linstauration dune République islamique, les nouveaux dirigeants iraniens ont donné un coup daccélérateur au programme nucléaire à partir du milieu des années 1980, sous couvert de menace dinvasion par lIrak de Saddam Hussein et afin de sanctuariser leur territoire.
La crise entre lIran et la communauté internationale a rebondi lorsque, le 14 août 2002, Alireza Jafarzadeh, représentant en exil du Conseil national de la résistance iranienne (www.ncr-iran.org/fr), révèle la construction en Iran de deux sites nucléaires secrets à Natanz (enrichissement de luranium) et Arak (production deau lourde).
Lélection en juin 2005 de lultra-conservateur Mahmoud Ahmadinejad à la tête de lÉtat ne fait que conforter cette volonté de lIran daffermir son rôle de puissance régionale et de prétendre au leadership du monde musulman dans un jeu de confrontation sur la scène internationale et de renforcement dun pouvoir autoritaire sur le plan interne. La maîtrise du cycle complet du nucléaire lui permettra de simposer, tenir son rang, tout en rendant son territoire inattaquable sur un plan militaire.
Le déploiement dune arme nucléaire iranienne représente avant tout une menace pour le Moyen-Orient déjà largement en proie à des tensions et des conflits ; elle contribuera également à relancer la course aux armements nucléaires. La prolifération nucléaire menace moins à court terme le territoire des puissances occidentales et tout particulièrement celui des États-Unis que la capacité de ces derniers à projeter de la puissance et à intervenir dans les affaires mondiales pour imposer leur conception et, in fine, leur domination économique.
Le Moyen-Orient, zone dénucléarisée ?
Le Traité de non-prolifération (TNP) nest pas le pire des systèmes à lexclusion de tout autre. La crise iranienne puise son carburant dans les fondements même de ce traité qui repose, dune part, sur une discrimination entre États soctroyant le droit de posséder un armement nucléaire et États interdits daccès à la dissuasion nucléaire ; et, dautre part, sur le paradoxe de vouloir contraindre la prolifération nucléaire militaire en favorisant le développement du nucléaire civil, alors que sil est un domaine où la dualité est de mise, cest bien celui-là.
Certes, les États dotés darmes nucléaires ont réduit leurs arsenaux, mais cest avant tout pour des raisons budgétaires et au prix dune amélioration qualitative (renforcement de la miniaturisation et du durcissement des têtes nucléaires) sans cesse renouvelée. Sans compter quils conservent quand même de quoi faire sauter plusieurs fois la
planète
De plus, laccord qua conclu le président Bush avec lInde est venu saper les bases sur lesquelles repose le TNP. En effet il permet à lInde puissance nucléaire non signataire du TNP de bénéficier du même accès aux technologies nucléaires civiles que les États non dotés darmes nucléaires signataire du TNP ! Cette politique du deux poids deux mesures reflète le cynisme de la raison dÉtat face aux enjeux économiques face à une grande puissance devenue un acteur incontournable de la mondialisation et quà ce titre, il sagit de
ménager
En 1995, la conférence de révision du TNP avait, sous pression égyptienne, adopté une résolution soutenue par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie appelant à létablissement au Moyen-Orient dune zone libre darmes de destruction massive ainsi que de leurs vecteurs et, effectivement vérifiable. Une résolution réaffirmée en lan 2000 lors de la Conférence suivante mais restée vu pieu car son application supposait notamment quIsraël dont larsenal est estimé à 200 ogives nucléaires environ entre dans le TNP et place ses activités nucléaires sous le contrôle de lAIEA. Or, non seulement les États-Unis nont rien fait pour rendre effectif ce projet de dénucléarisation régionale, mais ils ont élaboré une nouvelle doctrine dite de contre-prolifération prévoyant lusage préventif de la force y compris nucléaire contre tout pays hostile qui essaierait dacquérir des armes de destruction massive (ADM).
Pourtant ne sagit-il pas là de la seule piste qui permettrait une sortie par le haut de cette crise qui mobilise la communauté internationale depuis déjà de nombreux mois : la mise en place dune zone exempte darme nucléaire sur lensemble du Moyen-Orient ? Comme dailleurs le TNP en prévoit la possibilité (article VII). Aujourdhui, il existe déjà cinq zones dénucléarisées (les continents dAntarctique et de lAfrique, les régions de lAsie du sud-est et de lAmérique latine et des Caraïbes, les territoires du Pacifique au sud de lEquateur) qui couvrent plus de la moitié du globe (11 pays) et abritent près de 1,7 milliard de personnes .
Créé en 2000 sous la responsabilité du Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC), lObservatoire des armes nucléaires françaises se situe dans la perspective de lélimination des armes nucléaires conformément aux vux du Traité de non-prolifération. Pour cela, il a développé un outil indépendant dexpertise (création de base de données, publication d’études, action de formation et d’information, etc.) afin de permettre à la société civile (associations, syndicats, organisations politiques, médias, élus, etc.) de porter un regard plus critique et responsable sur larmement nucléaire en particulier de la France.
CDRPC
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En savoir plus
- Le Complexe nucléaire. Des liens entre latome civil et latome militaire, Bruno Barrillot, co-édition Observatoire des armes nucléaires françaises/CDRPC et Réseau Sortir du nucléaire, 2005, 144 pages, 13 euros, port compris (à commander au Réseau "Sortir du nucléaire"). Indispensable.
- LIran, la bombe et la démission des nations, Thérèse Delpech, Éditions Autrement, collection Ceri, 2006, 144 pages, 15 euros. Nous ne partageons pas toutes les conclusions de lauteure, mais cet ouvrage est utile pour mesurer la part de responsabilité des différents acteurs dans la partie de poker nucléaire qui se joue avec lIran.
Patrice Bouveret (CDRPC)
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