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Sortir du nucléaire n°31



Juin 2006

Militaire

L’Iran, la bombe : comment sortir du piège nucléaire ?

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°31 - Juin 2006

 Nucléaire militaire
Article publié le : 1er juin 2006


Le rapport remis par le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Mohamed El Baradei, à l’ONU le 28 avril 2006, confirme que le régime iranien accélère son programme d’enrichissement d’uranium au mépris des demandes du Conseil de sécurité mais s’avoue incapable de déterminer si le pays cherche à se doter d’une bombe atomique…



Toutefois, il confirme que l’Iran est bel et bien parvenu à produire de l’uranium faiblement enrichi comme l’a clamé le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, le 11 avril dernier sur la télévision nationale… Ce qui n’est pas, en soi, contraire aux règles du Traité de non-prolifération (TNP) - dont l’Iran est signataire depuis son adoption en 1970 - même si “l’enrichissement est un programme militaire latent” comme l’expliquait Mohamed El Baradei. “Tel qu’est le traité actuellement, tout pays a le droit d’enrichir l’uranium s’il annonce que c’est pour la production d’électricité.” Ce que ne cesse d’ailleurs d’affirmer les dirigeants iraniens, maniant en cela parfaitement la langue de bois, mais sans que les inspecteurs de l’AIEA n’aient pu jusqu’à présent prouver le contraire.
En effet, la complexité du processus de fabrication des matières nucléaires — alliée au caractère particulièrement hypocrite du Traité de non-prolifération (TNP) — facilite les possibilités pour l’Iran de masquer l’avancée de son programme militaire. Mais, sans oublier non plus qu’avoir la capacité de “faire” une bombe est une chose, celle de constituer un système militaire nucléaire opérationnel venant menacer les autres États de la région ou les puissances occidentales, en est une autre !

Des ambitions au seuil…
“L’arme nucléaire est une arme inutilisable ; elle ne fait pas partie de notre stratégie. L’Iran ne veut pas d’arme nucléaire et il n’en a aucune” a affirmé, sans sourciller, le 6 mai dernier, M. Seyed Ali Moujani, le chef de mission de l’ambassade de la République islamique d’Iran en France, devant les 150 participants aux deuxièmes Rencontres internationales de Saintes pour le désarmement nucléaire, biologique et chimique.
Pourtant, dès son démarrage — au milieu des années 1970 — le programme nucléaire iranien comportait une dimension militaire. Mais à l’époque sans que nul n’y trouvait à redire… Le Shah, alors à la tête de l’État, était un allié des États-Unis et d’Israël. Nous étions en pleine guerre froide et il s’agissait de contrer l’ex-URSS. La France (via notamment une prise de participation de l’Iran dans l’usine d’enrichissement Eurodif) et l’Allemagne coopéraient avec Téhéran. Washington ne voyait pas là de quoi s’indigner !
Après le renversement du Shah et l’instauration d’une République islamique, les nouveaux dirigeants iraniens ont donné un coup d’accélérateur au programme nucléaire à partir du milieu des années 1980, sous couvert de menace d’invasion par l’Irak de Saddam Hussein et afin de sanctuariser leur territoire.
La crise entre l’Iran et la communauté internationale a rebondi lorsque, le 14 août 2002, Alireza Jafarzadeh, représentant en exil du Conseil national de la résistance iranienne (www.ncr-iran.org/fr), révèle la construction en Iran de deux sites nucléaires secrets à Natanz (enrichissement de l’uranium) et Arak (production d’eau lourde).
L’élection en juin 2005 de l’ultra-conservateur Mahmoud Ahmadinejad à la tête de l’État ne fait que conforter cette volonté de l’Iran d’affermir son rôle de puissance régionale et de prétendre au leadership du monde musulman dans un jeu de confrontation sur la scène internationale et de renforcement d’un pouvoir autoritaire sur le plan interne. La maîtrise du cycle complet du nucléaire lui permettra de s’imposer, tenir son rang, tout en rendant son territoire inattaquable sur un plan militaire.
Le déploiement d’une arme nucléaire iranienne représente avant tout une menace pour le Moyen-Orient déjà largement en proie à des tensions et des conflits ; elle contribuera également à relancer la course aux armements nucléaires. La prolifération nucléaire menace moins à court terme le territoire des puissances occidentales — et tout particulièrement celui des États-Unis — que la capacité de ces derniers à projeter de la puissance et à intervenir dans les affaires mondiales pour imposer leur conception et, in fine, leur domination économique.

Le Moyen-Orient, “zone dénucléarisée” ?
Le Traité de non-prolifération (TNP) n’est pas “le pire des systèmes à l’exclusion de tout autre”. La crise iranienne puise son “carburant” dans les fondements même de ce traité qui repose, d’une part, sur une discrimination entre États s’octroyant le droit de posséder un armement nucléaire et États interdits d’accès à la dissuasion nucléaire ; et, d’autre part, sur le paradoxe de vouloir contraindre la prolifération nucléaire militaire en favorisant le développement du nucléaire civil, alors que s’il est un domaine où la dualité est de mise, c’est bien celui-là.
Certes, les États dotés d’armes nucléaires ont réduit leurs arsenaux, mais c’est avant tout pour des raisons budgétaires et au prix d’une amélioration qualitative (renforcement de la miniaturisation et du durcissement des têtes nucléaires) sans cesse renouvelée. Sans compter qu’ils conservent quand même de quoi faire sauter plusieurs fois la
planète…
De plus, l’accord qu’a conclu le président Bush avec l’Inde est venu saper les bases sur lesquelles repose le TNP. En effet il permet à l’Inde — puissance nucléaire non signataire du TNP — de bénéficier du même accès aux technologies nucléaires “civiles” que les États non dotés d’armes nucléaires signataire du TNP ! Cette politique du “deux poids deux mesures” reflète le cynisme de la “raison d’État” face aux enjeux économiques face à une grande puissance devenue un acteur incontournable de la mondialisation et qu’à ce titre, il s’agit de
ménager…
En 1995, la conférence de révision du TNP “avait, sous pression égyptienne, adopté une résolution soutenue par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie appelant à “l’établissement au Moyen-Orient d’une zone libre d’armes de destruction massive ainsi que de leurs vecteurs et, effectivement vérifiable””. Une résolution réaffirmée en l’an 2000 lors de la Conférence suivante mais restée vœu pieu car son application supposait notamment qu’Israël — dont l’arsenal est estimé à 200 ogives nucléaires environ — entre dans le TNP et place ses activités nucléaires sous le contrôle de l’AIEA. “Or, non seulement les États-Unis n’ont rien fait pour rendre effectif ce projet de dénucléarisation régionale, mais ils ont élaboré une nouvelle doctrine dite de contre-prolifération prévoyant l’usage préventif de la force — y compris nucléaire — contre tout pays “hostile” qui essaierait d’acquérir des armes de destruction massive (ADM).”
Pourtant ne s’agit-il pas là de la seule piste qui permettrait une sortie par le haut de cette crise qui mobilise la communauté internationale depuis déjà de nombreux mois : la mise en place d’une zone exempte d’arme nucléaire sur l’ensemble du Moyen-Orient ? Comme d’ailleurs le TNP en prévoit la possibilité (article VII). Aujourd’hui, il existe déjà cinq zones dénucléarisées (les continents d’Antarctique et de l’Afrique, les régions de l’Asie du sud-est et de l’Amérique latine et des Caraïbes, les territoires du Pacifique au sud de l’Equateur) qui couvrent plus de la moitié du globe (11 pays) et abritent près de 1,7 milliard de personnes .
Créé en 2000 sous la responsabilité du Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC), l’Observatoire des armes nucléaires françaises se situe dans la perspective de l’élimination des armes nucléaires conformément aux vœux du Traité de non-prolifération. Pour cela, il a développé un outil indépendant d’expertise (création de base de données, publication d’études, action de formation et d’information, etc.) afin de permettre à la société civile (associations, syndicats, organisations politiques, médias, élus, etc.) de porter un regard plus critique et responsable sur l’armement nucléaire en particulier de la France.
CDRPC
187, montée de Choulans, 69005 Lyon - France
Tél : 33 (0)4 78 36 93 03
Fax : 33 (0)4 78 36 36 83
Email : cdrpc@obsarm.org
Internet : www.obsarm.org

En savoir plus
- Le Complexe nucléaire. Des liens entre l’atome civil et l’atome militaire, Bruno Barrillot, co-édition Observatoire des armes nucléaires françaises/CDRPC et Réseau “Sortir du nucléaire”, 2005, 144 pages, 13 euros, port compris (à commander au Réseau "Sortir du nucléaire"). Indispensable.
- L’Iran, la bombe et la démission des nations, Thérèse Delpech, Éditions Autrement, collection Ceri, 2006, 144 pages, 15 euros. Nous ne partageons pas toutes les conclusions de l’auteure, mais cet ouvrage est utile pour mesurer la part de responsabilité des différents acteurs dans la partie de poker nucléaire qui se joue avec l’Iran.
Patrice Bouveret (CDRPC)

Toutefois, il confirme que l’Iran est bel et bien parvenu à produire de l’uranium faiblement enrichi comme l’a clamé le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, le 11 avril dernier sur la télévision nationale… Ce qui n’est pas, en soi, contraire aux règles du Traité de non-prolifération (TNP) - dont l’Iran est signataire depuis son adoption en 1970 - même si “l’enrichissement est un programme militaire latent” comme l’expliquait Mohamed El Baradei. “Tel qu’est le traité actuellement, tout pays a le droit d’enrichir l’uranium s’il annonce que c’est pour la production d’électricité.” Ce que ne cesse d’ailleurs d’affirmer les dirigeants iraniens, maniant en cela parfaitement la langue de bois, mais sans que les inspecteurs de l’AIEA n’aient pu jusqu’à présent prouver le contraire.
En effet, la complexité du processus de fabrication des matières nucléaires — alliée au caractère particulièrement hypocrite du Traité de non-prolifération (TNP) — facilite les possibilités pour l’Iran de masquer l’avancée de son programme militaire. Mais, sans oublier non plus qu’avoir la capacité de “faire” une bombe est une chose, celle de constituer un système militaire nucléaire opérationnel venant menacer les autres États de la région ou les puissances occidentales, en est une autre !

Des ambitions au seuil…
“L’arme nucléaire est une arme inutilisable ; elle ne fait pas partie de notre stratégie. L’Iran ne veut pas d’arme nucléaire et il n’en a aucune” a affirmé, sans sourciller, le 6 mai dernier, M. Seyed Ali Moujani, le chef de mission de l’ambassade de la République islamique d’Iran en France, devant les 150 participants aux deuxièmes Rencontres internationales de Saintes pour le désarmement nucléaire, biologique et chimique.
Pourtant, dès son démarrage — au milieu des années 1970 — le programme nucléaire iranien comportait une dimension militaire. Mais à l’époque sans que nul n’y trouvait à redire… Le Shah, alors à la tête de l’État, était un allié des États-Unis et d’Israël. Nous étions en pleine guerre froide et il s’agissait de contrer l’ex-URSS. La France (via notamment une prise de participation de l’Iran dans l’usine d’enrichissement Eurodif) et l’Allemagne coopéraient avec Téhéran. Washington ne voyait pas là de quoi s’indigner !
Après le renversement du Shah et l’instauration d’une République islamique, les nouveaux dirigeants iraniens ont donné un coup d’accélérateur au programme nucléaire à partir du milieu des années 1980, sous couvert de menace d’invasion par l’Irak de Saddam Hussein et afin de sanctuariser leur territoire.
La crise entre l’Iran et la communauté internationale a rebondi lorsque, le 14 août 2002, Alireza Jafarzadeh, représentant en exil du Conseil national de la résistance iranienne (www.ncr-iran.org/fr), révèle la construction en Iran de deux sites nucléaires secrets à Natanz (enrichissement de l’uranium) et Arak (production d’eau lourde).
L’élection en juin 2005 de l’ultra-conservateur Mahmoud Ahmadinejad à la tête de l’État ne fait que conforter cette volonté de l’Iran d’affermir son rôle de puissance régionale et de prétendre au leadership du monde musulman dans un jeu de confrontation sur la scène internationale et de renforcement d’un pouvoir autoritaire sur le plan interne. La maîtrise du cycle complet du nucléaire lui permettra de s’imposer, tenir son rang, tout en rendant son territoire inattaquable sur un plan militaire.
Le déploiement d’une arme nucléaire iranienne représente avant tout une menace pour le Moyen-Orient déjà largement en proie à des tensions et des conflits ; elle contribuera également à relancer la course aux armements nucléaires. La prolifération nucléaire menace moins à court terme le territoire des puissances occidentales — et tout particulièrement celui des États-Unis — que la capacité de ces derniers à projeter de la puissance et à intervenir dans les affaires mondiales pour imposer leur conception et, in fine, leur domination économique.

Le Moyen-Orient, “zone dénucléarisée” ?
Le Traité de non-prolifération (TNP) n’est pas “le pire des systèmes à l’exclusion de tout autre”. La crise iranienne puise son “carburant” dans les fondements même de ce traité qui repose, d’une part, sur une discrimination entre États s’octroyant le droit de posséder un armement nucléaire et États interdits d’accès à la dissuasion nucléaire ; et, d’autre part, sur le paradoxe de vouloir contraindre la prolifération nucléaire militaire en favorisant le développement du nucléaire civil, alors que s’il est un domaine où la dualité est de mise, c’est bien celui-là.
Certes, les États dotés d’armes nucléaires ont réduit leurs arsenaux, mais c’est avant tout pour des raisons budgétaires et au prix d’une amélioration qualitative (renforcement de la miniaturisation et du durcissement des têtes nucléaires) sans cesse renouvelée. Sans compter qu’ils conservent quand même de quoi faire sauter plusieurs fois la
planète…
De plus, l’accord qu’a conclu le président Bush avec l’Inde est venu saper les bases sur lesquelles repose le TNP. En effet il permet à l’Inde — puissance nucléaire non signataire du TNP — de bénéficier du même accès aux technologies nucléaires “civiles” que les États non dotés d’armes nucléaires signataire du TNP ! Cette politique du “deux poids deux mesures” reflète le cynisme de la “raison d’État” face aux enjeux économiques face à une grande puissance devenue un acteur incontournable de la mondialisation et qu’à ce titre, il s’agit de
ménager…
En 1995, la conférence de révision du TNP “avait, sous pression égyptienne, adopté une résolution soutenue par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Russie appelant à “l’établissement au Moyen-Orient d’une zone libre d’armes de destruction massive ainsi que de leurs vecteurs et, effectivement vérifiable””. Une résolution réaffirmée en l’an 2000 lors de la Conférence suivante mais restée vœu pieu car son application supposait notamment qu’Israël — dont l’arsenal est estimé à 200 ogives nucléaires environ — entre dans le TNP et place ses activités nucléaires sous le contrôle de l’AIEA. “Or, non seulement les États-Unis n’ont rien fait pour rendre effectif ce projet de dénucléarisation régionale, mais ils ont élaboré une nouvelle doctrine dite de contre-prolifération prévoyant l’usage préventif de la force — y compris nucléaire — contre tout pays “hostile” qui essaierait d’acquérir des armes de destruction massive (ADM).”
Pourtant ne s’agit-il pas là de la seule piste qui permettrait une sortie par le haut de cette crise qui mobilise la communauté internationale depuis déjà de nombreux mois : la mise en place d’une zone exempte d’arme nucléaire sur l’ensemble du Moyen-Orient ? Comme d’ailleurs le TNP en prévoit la possibilité (article VII). Aujourd’hui, il existe déjà cinq zones dénucléarisées (les continents d’Antarctique et de l’Afrique, les régions de l’Asie du sud-est et de l’Amérique latine et des Caraïbes, les territoires du Pacifique au sud de l’Equateur) qui couvrent plus de la moitié du globe (11 pays) et abritent près de 1,7 milliard de personnes .
Créé en 2000 sous la responsabilité du Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC), l’Observatoire des armes nucléaires françaises se situe dans la perspective de l’élimination des armes nucléaires conformément aux vœux du Traité de non-prolifération. Pour cela, il a développé un outil indépendant d’expertise (création de base de données, publication d’études, action de formation et d’information, etc.) afin de permettre à la société civile (associations, syndicats, organisations politiques, médias, élus, etc.) de porter un regard plus critique et responsable sur l’armement nucléaire en particulier de la France.
CDRPC
187, montée de Choulans, 69005 Lyon - France
Tél : 33 (0)4 78 36 93 03
Fax : 33 (0)4 78 36 36 83
Email : cdrpc@obsarm.org
Internet : www.obsarm.org

En savoir plus
- Le Complexe nucléaire. Des liens entre l’atome civil et l’atome militaire, Bruno Barrillot, co-édition Observatoire des armes nucléaires françaises/CDRPC et Réseau “Sortir du nucléaire”, 2005, 144 pages, 13 euros, port compris (à commander au Réseau "Sortir du nucléaire"). Indispensable.
- L’Iran, la bombe et la démission des nations, Thérèse Delpech, Éditions Autrement, collection Ceri, 2006, 144 pages, 15 euros. Nous ne partageons pas toutes les conclusions de l’auteure, mais cet ouvrage est utile pour mesurer la part de responsabilité des différents acteurs dans la partie de poker nucléaire qui se joue avec l’Iran.
Patrice Bouveret (CDRPC)



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