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Sortir du nucléaire n°66



Août 2015

Fukushima

Japon : des associations pour former et informer

Article paru dans la revue Sortir du nucléaire n°66 - Août 2015

 Fukushima  Pollution radioactive


Janick Magne est allée à la rencontre d’une association qui mène sans aucun soutien un travail de fourmi pour traquer la contamination dans la grande ville de Kôriyama.



Il existe au Japon plusieurs types d’associations, dont deux auxquelles on applique souvent des sigles anglais : les NGO (non-governmental organizations) et les NPO (not-for-profit ou non-profit organizations). Si les premières correspondent à nos ONG, les secondes, à but non lucratif, entreraient en France dans le cadre de la Loi de 1901. Elles sont nombreuses au Japon et depuis 1998 un organisme officiel s’efforce d’assister et de structurer les NPO.

Un bénévole de l’association "3 a in Kôriyama" effectue à pied des relevés de radioactivité.

Leur nombre a considérablement augmenté après la triple catastrophe de mars 2011 : tremblement de terre, tsunami et catastrophe nucléaire de Fukushima. Souvent encouragées par les autorités, des organisations se sont formées pour seconder les aides officielles dans les zones sinistrées mais aussi pour pallier l’absence d’aides. Parmi elles, d’innombrables associations locales foisonnent à travers le département de Fukushima et ailleurs dans le but d’informer et d’aider les sinistrés, les réfugiés et le reste de la population.

À ma connaissance, aucun recensement de ces groupes n’a été effectué, et lorsque j’ai posé la question aux organisations que j’ai rencontrées, il m’a été répondu qu’elles n’étaient pas fédérées et ne se connaissaient pas les unes les autres, même lorsqu’elles coexistent au sein d’un même quartier. D’un point de vue français, ce morcellement et ce cloisonnement gênent l’action, entravent l’efficacité, et ne permettent pas la circulation des données ni le partage des projets.

Force est de constater cependant que les Japonais ne semblent pas gênés outre-mesure par ce modèle, sans doute parce que le découpage par quartiers est depuis longtemps une composante stable de la vie sociale japonaise et que l’appartenance à un quartier crée des liens communautaires étroits que l’on préserve jalousement, en particulier en province. Personnellement, dans le cas précis du danger nucléaire, je pense que ça les fragilise énormément.

Forte de ces informations et introduite par des amis, je suis allée en avril 2015 à la rencontre d’une association à but non lucratif installée dans un quartier de la grande ville de Kôriyama (300 000 habitants), à 72 km à l’ouest de la centrale de Fukushima-1. L’association s’appelle "3 a à Kôriyama" ("anzen, anshin, action in Koriyama"), chacun des trois termes choisis commençant par un a : anzen pour sécurité, anshin pour tranquillité d’esprit, et le mot anglais (aussi bien que français) action.

L’association gère plusieurs types de problèmes et vise à pallier la carence des autorités. Installée dans un local spacieux au rez-de-chaussée d’un immeuble, elle met au service de la population un important stock d’informations sur la crise nucléaire et ses conséquences.

Ces deux cartes de relevés de radioactivité sont les plus récentes établies par les bénévoles de "3 a in Kôriyama". Les mesures ont été faites le 1er avril 2015 à 1 m du sol en ville et à l’extérieur du parc, et à 50cm du sol à l’intérieur du parc. Les chiffres indiquent (valeur minimale et valeur maximale) de 0,11 μSv/h à 0,83 μSv/h. Les valeurs les plus élevées se trouvant dans et sur le pourtour du parc.

L’association planifie aussi des rendez-vous avec un médecin qui accepte de procéder à l’examen de la thyroïde et aux examens sanguins sur simple demande des intéressés. Rappelons qu’officiellement seuls les enfants qui habitaient dans le département de Fukushima en 2011 et y vivent encore sont suivis, à raison d’un examen de la thyroïde tous les deux ans.

Depuis 2011, des agriculteurs solidaires dans d’autres régions du Japon envoient des fruits et des légumes non contaminés pour les habitants de la ville. Au départ, il s’agissait de dons, y compris le coût du transport. Aujourd’hui, l’association paie les produits au prix coûtant (mais toujours pas le transport) et les revend sans bénéfices. Sur place, des séminaires sont organisés pour former les gens au maniement des appareils de mesure de la radioactivité et leur enseigner les dangers de la radioactivité et de la contamination par l’air et la nourriture. Un moniteur de becquerels permet de mesurer la radioactivité dans les aliments. Des dosimètres individuels pour les enfants, les "glass badges" portés autour du cou, sont prêtés aux familles qui le désirent.

Il y a des groupes de parole où chacun-e peut exprimer ses craintes. La majorité des habitant-e-s souhaiterait quitter la région mais ne bénéficie d’aucune aide au départ. Parler de la crise nucléaire est tabou au Japon, c’est une source majeure de conflits au sein des familles, un sujet que l’on n’aborde ni avec ses amis ni avec ses collègues, et on ne dira jamais assez l’importance de ces échanges qui peuvent sinon encourager certains à partir et recommencer une vie ailleurs, au moins à évacuer les tensions et tenter de se protéger au mieux dans un milieu hostile (le paradoxe étant que le programme Ethos Japon essaie de jouer cette carte). Des "journées à l’air pur" sont organisées pour les enfants : des bénévoles les emmènent au vert pour une ou plusieurs journées, loin de la contamination locale.

Le plus impressionnant parmi les activités de cette association est sans doute la constitution de plans du quartier où sont indiqués les taux de radioactivité. Équipés de vélos munis d’appareils de mesure de qualité professionnelle, des bénévoles suivent la route des écoliers et reportent les mesures sur des cartes de l’application Google Earth. Ces cartes sont publiées sur les réseaux sociaux (blog, Facebook) pour informer les familles. En voici un exemple, où l’on voit que les doses varient, le long de cette route qui mène à l’école, de 0,20 à 0,61 μSv/h (microsieverts par heure). [1]

Des mesures prises dans et autour d’un grand parc où les enfants viennent jouer et faire du sport montrent une contamination généralisée, de 0,34 à 0,68 μSv/h, alors que la ville a été officiellement "décontaminée", les sols les plus radioactifs ayant été raclés, déplacés et stockés ailleurs. Le taux de radioactivité est directement lié à la présence de césium-137.

L’association "3 a in Koriyama" ne reçoit aucune aide financière de l’État, de la région, du département ni de la ville. Elle ne vit que grâce aux cotisations de ses membres et aux dons. Elle emploie une personne à mi-temps.

Lorsque les sols devenus radioactifs sont raclés sur plusieurs centimètres, mis dans des sacs de chantier et déplacés, ils sont d’abord stockés sur des emplacements publics : cours d’écoles, jardins publics, squares. Dans un deuxième temps, ils sont enterrés tels quels, toujours dans des lieux publics, recouverts d’une bâche et d’environ 50 cm de terre. La durée de vie des sacs varie de 3 à 5 ans, après quoi ils se désagrègent. En juin 2015, un article de la presse régionale de Fukushima annonçait que, pendant les vacances scolaires, les autorités allaient déplacer 3000 m3 de terres contaminées stockées dans 5 écoles primaires (dont 3 à Kôriyama) vers un entrepôt dédié, "eu égard aux inquiétudes des enfants". Ces terres étaient jusqu’ici soit stockées derrière les bâtiments d’école, soit enterrées dans la cour. [2] Là aussi, les associations font un très utile travail de fourmi.

En 2013, un groupe citoyen de Kôriyama a publié une carte indiquant où avaient été stockés les sacs de sols contaminés. Car il n’y a aucune indication officielle, aucune communication de la ville, et seule la vigilance de la population et le travail des bénévoles ont permis que cette carte puisse exister. Les 20 emplacements mentionnés sont des jardins publics, des terrains de sport, des cours d’écoles et des cours d’immeubles.

Je rends hommage à cet immense travail mené dans la contradiction, la souffrance et la contrainte, mais la population est sacrifiée, les enfants en particulier, et ceux qui portent la responsabilité de la catastrophe sont incapables d’en affronter les conséquences. Que ceci nous serve de leçon.

Janick Magne


Notes

[1Les chiffres avant l’accident nucléaire, dans toute la région, ne dépassaient pas 0,03 μSv/h. Quatre ans après l’accident, et après avoir procédé à une décontamination généralisée de la ville, ils sont donc encore 10 à 22 fois plus élevés.

[2Site web de l’association (en japonais) https://aaa3a.daa.jp/news.html

Il existe au Japon plusieurs types d’associations, dont deux auxquelles on applique souvent des sigles anglais : les NGO (non-governmental organizations) et les NPO (not-for-profit ou non-profit organizations). Si les premières correspondent à nos ONG, les secondes, à but non lucratif, entreraient en France dans le cadre de la Loi de 1901. Elles sont nombreuses au Japon et depuis 1998 un organisme officiel s’efforce d’assister et de structurer les NPO.

Un bénévole de l’association "3 a in Kôriyama" effectue à pied des relevés de radioactivité.

Leur nombre a considérablement augmenté après la triple catastrophe de mars 2011 : tremblement de terre, tsunami et catastrophe nucléaire de Fukushima. Souvent encouragées par les autorités, des organisations se sont formées pour seconder les aides officielles dans les zones sinistrées mais aussi pour pallier l’absence d’aides. Parmi elles, d’innombrables associations locales foisonnent à travers le département de Fukushima et ailleurs dans le but d’informer et d’aider les sinistrés, les réfugiés et le reste de la population.

À ma connaissance, aucun recensement de ces groupes n’a été effectué, et lorsque j’ai posé la question aux organisations que j’ai rencontrées, il m’a été répondu qu’elles n’étaient pas fédérées et ne se connaissaient pas les unes les autres, même lorsqu’elles coexistent au sein d’un même quartier. D’un point de vue français, ce morcellement et ce cloisonnement gênent l’action, entravent l’efficacité, et ne permettent pas la circulation des données ni le partage des projets.

Force est de constater cependant que les Japonais ne semblent pas gênés outre-mesure par ce modèle, sans doute parce que le découpage par quartiers est depuis longtemps une composante stable de la vie sociale japonaise et que l’appartenance à un quartier crée des liens communautaires étroits que l’on préserve jalousement, en particulier en province. Personnellement, dans le cas précis du danger nucléaire, je pense que ça les fragilise énormément.

Forte de ces informations et introduite par des amis, je suis allée en avril 2015 à la rencontre d’une association à but non lucratif installée dans un quartier de la grande ville de Kôriyama (300 000 habitants), à 72 km à l’ouest de la centrale de Fukushima-1. L’association s’appelle "3 a à Kôriyama" ("anzen, anshin, action in Koriyama"), chacun des trois termes choisis commençant par un a : anzen pour sécurité, anshin pour tranquillité d’esprit, et le mot anglais (aussi bien que français) action.

L’association gère plusieurs types de problèmes et vise à pallier la carence des autorités. Installée dans un local spacieux au rez-de-chaussée d’un immeuble, elle met au service de la population un important stock d’informations sur la crise nucléaire et ses conséquences.

Ces deux cartes de relevés de radioactivité sont les plus récentes établies par les bénévoles de "3 a in Kôriyama". Les mesures ont été faites le 1er avril 2015 à 1 m du sol en ville et à l’extérieur du parc, et à 50cm du sol à l’intérieur du parc. Les chiffres indiquent (valeur minimale et valeur maximale) de 0,11 μSv/h à 0,83 μSv/h. Les valeurs les plus élevées se trouvant dans et sur le pourtour du parc.

L’association planifie aussi des rendez-vous avec un médecin qui accepte de procéder à l’examen de la thyroïde et aux examens sanguins sur simple demande des intéressés. Rappelons qu’officiellement seuls les enfants qui habitaient dans le département de Fukushima en 2011 et y vivent encore sont suivis, à raison d’un examen de la thyroïde tous les deux ans.

Depuis 2011, des agriculteurs solidaires dans d’autres régions du Japon envoient des fruits et des légumes non contaminés pour les habitants de la ville. Au départ, il s’agissait de dons, y compris le coût du transport. Aujourd’hui, l’association paie les produits au prix coûtant (mais toujours pas le transport) et les revend sans bénéfices. Sur place, des séminaires sont organisés pour former les gens au maniement des appareils de mesure de la radioactivité et leur enseigner les dangers de la radioactivité et de la contamination par l’air et la nourriture. Un moniteur de becquerels permet de mesurer la radioactivité dans les aliments. Des dosimètres individuels pour les enfants, les "glass badges" portés autour du cou, sont prêtés aux familles qui le désirent.

Il y a des groupes de parole où chacun-e peut exprimer ses craintes. La majorité des habitant-e-s souhaiterait quitter la région mais ne bénéficie d’aucune aide au départ. Parler de la crise nucléaire est tabou au Japon, c’est une source majeure de conflits au sein des familles, un sujet que l’on n’aborde ni avec ses amis ni avec ses collègues, et on ne dira jamais assez l’importance de ces échanges qui peuvent sinon encourager certains à partir et recommencer une vie ailleurs, au moins à évacuer les tensions et tenter de se protéger au mieux dans un milieu hostile (le paradoxe étant que le programme Ethos Japon essaie de jouer cette carte). Des "journées à l’air pur" sont organisées pour les enfants : des bénévoles les emmènent au vert pour une ou plusieurs journées, loin de la contamination locale.

Le plus impressionnant parmi les activités de cette association est sans doute la constitution de plans du quartier où sont indiqués les taux de radioactivité. Équipés de vélos munis d’appareils de mesure de qualité professionnelle, des bénévoles suivent la route des écoliers et reportent les mesures sur des cartes de l’application Google Earth. Ces cartes sont publiées sur les réseaux sociaux (blog, Facebook) pour informer les familles. En voici un exemple, où l’on voit que les doses varient, le long de cette route qui mène à l’école, de 0,20 à 0,61 μSv/h (microsieverts par heure). [1]

Des mesures prises dans et autour d’un grand parc où les enfants viennent jouer et faire du sport montrent une contamination généralisée, de 0,34 à 0,68 μSv/h, alors que la ville a été officiellement "décontaminée", les sols les plus radioactifs ayant été raclés, déplacés et stockés ailleurs. Le taux de radioactivité est directement lié à la présence de césium-137.

L’association "3 a in Koriyama" ne reçoit aucune aide financière de l’État, de la région, du département ni de la ville. Elle ne vit que grâce aux cotisations de ses membres et aux dons. Elle emploie une personne à mi-temps.

Lorsque les sols devenus radioactifs sont raclés sur plusieurs centimètres, mis dans des sacs de chantier et déplacés, ils sont d’abord stockés sur des emplacements publics : cours d’écoles, jardins publics, squares. Dans un deuxième temps, ils sont enterrés tels quels, toujours dans des lieux publics, recouverts d’une bâche et d’environ 50 cm de terre. La durée de vie des sacs varie de 3 à 5 ans, après quoi ils se désagrègent. En juin 2015, un article de la presse régionale de Fukushima annonçait que, pendant les vacances scolaires, les autorités allaient déplacer 3000 m3 de terres contaminées stockées dans 5 écoles primaires (dont 3 à Kôriyama) vers un entrepôt dédié, "eu égard aux inquiétudes des enfants". Ces terres étaient jusqu’ici soit stockées derrière les bâtiments d’école, soit enterrées dans la cour. [2] Là aussi, les associations font un très utile travail de fourmi.

En 2013, un groupe citoyen de Kôriyama a publié une carte indiquant où avaient été stockés les sacs de sols contaminés. Car il n’y a aucune indication officielle, aucune communication de la ville, et seule la vigilance de la population et le travail des bénévoles ont permis que cette carte puisse exister. Les 20 emplacements mentionnés sont des jardins publics, des terrains de sport, des cours d’écoles et des cours d’immeubles.

Je rends hommage à cet immense travail mené dans la contradiction, la souffrance et la contrainte, mais la population est sacrifiée, les enfants en particulier, et ceux qui portent la responsabilité de la catastrophe sont incapables d’en affronter les conséquences. Que ceci nous serve de leçon.

Janick Magne



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