22 avril 2024
Parmi les nombreuses modifications faites pour rendre les réacteurs moins risqués, un dispositif de refroidissement supplémentaire a été installé sur le réacteur 1 de la centrale du Tricastin (Rhône-Alpes) en septembre 2023. Mais il ne pouvait pas fonctionner : le débit d’eau minimal pour maintenir un refroidissement en cas d’accident ne passait pas. Erreur de conception, manque de prise en compte des résultats des essais, vérifications trop peu fréquentes : EDF a accumulé les fautes.
Crédit photo : André Paris
Un système de refroidissement supplémentaire, c’est une des leçons tirée de l’accident nucléaire de Fukushima survenu en 2011 au Japon. Pour cela, EDF équipe tous ses réacteurs nucléaires d’une nouvelle source d’eau froide (nouveaux pompages en nappe, en eaux de surfaces, ou constitution de réservoirs : c’est le système SEU). Mais il faut bien ensuite acheminer cette eau vers les systèmes les plus cruciaux : la piscine de combustible et le cœur du réacteur, qui doivent toujours être refroidis pour évacuer la chaleur permanente qui s’en dégage (c’est le système SEG). Et c’est justement sur ce système que le 28 mars 2024 un problème est détecté : impossible de faire passer l’eau nécessaire dans les tuyaux, le débit est trop faible en raison d’une pièce détériorée qui bloque l’ouverture d’une vanne.
Cette pièce avait déjà été retrouvée détériorée quelques mois avant, en décembre 2023, et remplacée. Après la découverte faite en mars, des investigations sont lancées : il s’avère que les essais du système réalisés lors de son installation montraient déjà un problème de conception, cette pièce est trop fragile pour l’usage auquel elle est dévolue. Mais ces constats n’ont été suivis d’aucun effet (nouvelles études de conception, modification de fabrication, surveillance renforcée, etc.).
Le communiqué d’EDF ne le dit pas, mais l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) rajoute un petit détail qui a toute son importance. Selon les règles censées régir le fonctionnement de la centrale nucléaire, la puissance du réacteur doit être baissée dans les 7 jours maximum lorsque ce système SEG ne fonctionne pas (puisqu’il est crucial pour limiter les conséquences d’un accident). Mais EDF n’a pas défini la fréquence de contrôle du système SEG sur cette base : le circuit n’est pas contrôlé tous les 7 jours, les vérifications sont plus espacées dans le temps. Le délai maximal prescrit ne pouvait donc pas être respecté puisque si un problème survenait sur le circuit SEG, EDF n’était pas capable de le détecter et d’abaisser la puissance de son réacteur dans les temps impartis. D’ailleurs, lorsque la pièce a été retrouvée détériorée le 28 mars, on ne sait pas depuis combien de temps elle l’était. L’ASN pointe par ailleurs des contrôles inefficaces qui n’ont pas détecté les anormalités.
Des modifications en profondeur censées rendre les réacteurs moins risqués faites sans rigueur, un manque de compétence de la conception aux vérifications, en passant par l’installation... À quoi bon pomper des milliers de mètres cubes d’eau supplémentaires et dépenser des millions en modifications si c’est pour ne pas se donner les moyens de rendre opérationnels les nouveaux systèmes ?
L.B.
Déclaration d’un événement significatif sûreté niveau 1 relatif à un non-respect des spécifications techniques d’exploitation
Publié le 22/04/2024
En septembre 2023, une modification matérielle est réalisée par les équipes de la centrale sur une vanne du système d’alimentation en eau brute généralisé (SEG)*, au cours de l’arrêt pour maintenance programmé de l’unité n°1. Une fois la modification réalisée, les équipes procèdent à un essai de fonctionnement, déclaré satisfaisant.
Lors d’essais de fonctionnement complémentaires, les équipes détectent qu’une vis de la butée mécanique de la vanne est tordue. La fonctionnalité n’étant pas remise en cause, une opération de remise en conformité est planifiée et une consigne d’exploitation du matériel est mise en place.
En décembre 2023, lors d’un essai visant à s’assurer du bon fonctionnement du matériel, la butée mécanique de la vanne est de nouveau détériorée. Celle-ci est remplacée de manière réactive.
Le 28 mars 2024, l’unité de production n°1 est en fonctionnement. Lors d’une visite terrain, les intervenants constatent que la butée de la vanne est de nouveau dégradée, avec pour conséquence un débit de fonctionnement minimal de la pompe liée ne pouvant plus être assuré. Ce qui n’est pas autorisé par les spécifications techniques d’exploitation lorsque le réacteur est en fonctionnement.
Cet événement n’a pas eu de conséquences réelles sur la sûreté des installations, la vanne étant toujours restée fonctionnelle, et d’autres autres moyens d’alimentation en eau toujours disponibles. Toutefois, en raison du non-respect de la conduite à tenir prévue par les spécifications techniques d’exploitation, la direction de la centrale du Tricastin a déclaré, le 18 avril 2024, à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un évènement significatif sûreté au niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7.
*Le système SEG est le moyen ultime d’alimentation en eau d’une citerne de secours de la piscine du bâtiment combustible utilisé en situation accidentelle. Les autres moyens de refroidissement étaient quant à eux pleinement disponible.
Non-respect des règles générales d’exploitation (RGE) relatives au repli du réacteur en cas d’indisponibilité du circuit d’alimentation en eau brute généralisée pour l’ultime secours
Publié le 24/04/2024
Centrale nucléaire du Tricastin Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 5 avril 2024, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif au non-respect des règles générales d’exploitation (RGE) relatives au circuit d’alimentation en eau brute généralisée pour l’ultime secours (système SEG) du réacteur 1 de la centrale nucléaire du Tricastin.
Le circuit SEG a été installé dans le cadre des dispositions prises à la suite de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima. Il fait partie du noyau dur de dispositions visant, y compris dans des conditions très dégradées, à prévenir un accident avec fusion du combustible ou à en limiter la progression. Il permet, en cas de perte des autres sources de refroidissement du site, d’alimenter en eau les générateurs de vapeur et la piscine d’entreposage du combustible à partir des quatre puits de la source froide ultime (système SEU) installés sur le site.
Le 28 mars 2024, dans le cadre d’une visite des installations, la filière indépendante de sûreté de l’exploitant a constaté que la butée mécanique d’une vanne assurant le débit minimal requis pour garantir l’absence de désamorçage de la pompe du système SEG était dégradée. Les investigations conduites ont mis en évidence que la fragilité de cette butée avait été identifiée dans les documents d’essais, à l’issue de son installation, et qu’elle avait déjà fait l’objet d’une réparation, en décembre 2023. Des vérifications périodiques avaient été mise en place, sans qu’elles ne détectent d’anomalie.
La dégradation de la butée conduit à ce que le débit minimal de la pompe ne soit plus garanti et à considérer que le système SEG n’est plus disponible. Dans ce cas, les règles générales d’exploitation prescrivent un repli du réacteur sous sept jours. Or, les vérifications mises en place par l’exploitant étaient espacées de plus de sept jours.
En raison de la défaillance de la butée de la vanne concernée et du dépassement du délai de repli prévu par les RGE, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.