12 novembre 2019
Neuf mois, pas moins. C’est le temps qu’il aura fallu à EDF pour détecter un problème sur les vannes qui permettent de réguler la pression dans les générateurs de vapeur (GV) du réacteur 4 de Paluel (Normandie). Un problème que l’exploitant a lui-même causé lors de travaux pour de remise en conformité pendant le 3ème réexamen de sûreté de l’installation.
Lors d’une intervention fin janvier 2019 pour changer le système d’ouverture des vannes qui n’était pas conforme, des vis de blocage ont semble-t-il été laissées là où elles n’auraient pas dû. Elles posaient un problème pour l’ouverture automatique des vannes. Embêtant, puisque ces vannes ont une fonction essentielle : elles permettent d’évacuer de la vapeur et de diminuer la pression dans le GV quand elle est trop importante.
Un générateur de vapeur est un échangeur thermique entre l’eau du circuit primaire (portée à 320 °C et à 155 bars dans le cœur du réacteur) et l’eau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur et alimente la turbine. Chaque générateur de vapeur comporte plusieurs milliers de tubes en forme de U, qui permettent les échanges de chaleur entre l’eau du circuit primaire et l’eau des circuits secondaires pour la production de la vapeur alimentant la turbine. Les réacteurs à eau sous pression de 900 MWe comportent 3 générateurs de vapeur, les réacteurs de 1 300 MWe, comme ceux de Paluel, ont 4 GV [1]. En l’occurrence, c’est sur la vanne du système de contournement de la turbine à l’atmosphère (qui a pour rôle d’évacuer la vapeur produite dans le circuit secondaire vers l’atmosphère), qu’il y a eu un problème : sur 2 GV du réacteur 4, elles se sont ouvertes alors qu’elles n’auraient pas dû. Leur système de calcul de la pression dans le GV était faussé et donnait des valeurs erronées.
Ce n’est pas la première qu’un évènement du genre survient à Paluel. Début octobre 2019, sur ce même réacteur 4 et sur ces mêmes générateurs de vapeur, des "anomalies de maintenance" avaient mis hors-service plusieurs pompes d’un circuit qui permet d’apporter de l’eau aux GV en cas d’urgence (circuit ASG [2]). Au final, à un moment une seule pompe sur 4 était en état de marche. Et là non plus l’exploitant n’a pas détecté tout de suite le problème qu’il avait lui-même créé. Il a mis plusieurs semaines, violant au passage les règles censées régir l’exploitation de son installation sans même s’en rendre compte. De grandes similitudes avec ce qui a été déclaré par EDF le 7 novembre, soit un mois plus tard. À se demander si l’exploitant apprend de ses erreurs. Et de quoi s’interroger sur la rigueur et l’exhaustivité des vérifications et travaux de la troisième visite décennale de ce réacteur. Visite décennale dont la durée a d’ailleurs été allongée à cause d’un problème sur un diesel. Reconnecté au réseau fin octobre 2019, le réacteur 4 fonctionnera de nouveau à pleine puissance mi novembre 2019, clôturant ainsi la fin des 3èmes visites décennales des 4 réacteurs du site nucléaire normand. Mais même avec ces 10 mois d’arrêts de production, ce n’est pas le réacteur 4 qui détient le record du plus long arrêt pour réexamen de sûreté. C’est le réacteur 2 dont la chute du générateur de vapeur, lors de son remplacement en 2016, avait été très lourd de conséquences.
Ce que donnent à voir ces "chantiers d’ampleur" menés par EDF sur le site nucléaire de Paluel n’est pas reluisant. Pour ne citer que le plus récent des évènements survenus lors de cette dernière visite décennale - des valeurs de pression à l’intérieur des GV fausses en raison d’une non conformité d’un équipement lui-même installé pour résoudre une non-conformité - les questions soulevées sont nombreuses. Comment se fait-il qu’une opération de maintenance, pour remettre en conformité un équipement aussi important pour la sûreté, n’ait pas été contrôlée une fois terminée ? Si l’intervention a bien été contrôlée une fois achevée, pourquoi l’erreur ou la "non-conformité" n’a pas été décelée ? Comment se fait-il que le bon fonctionnement des vannes n’ait pas été vérifié après le remplacement des systèmes d’ouverture ? Et s’il y en a eu, comment se fait-il que les tests de mise en service n’aient pas détecté que les données de pression calculée étaient erronées ? Comment une telle erreur - et ses conséquences - ont-elles pu passer inaperçues durant des mois, et n’être découvertes que début novembre, après redémarrage, alors même qu’une visite décennale, la grande opération industrielle censée tout régler et améliorer la sûreté de l’installation, venait de se terminer ?
Le communiqué de l’exploitant ne livre aucune explication sur les circonstances de cet évènement. Il a été déclaré comme significatif pour la sûreté et classé au niveau 1 de l’échelle INES [3]. L’Autorité de sûreté nucléaire précisera qu’une "non-conformité n’a pas été identifiée lors des tests de mise en service" après remplacement des systèmes de régulation d’ouverture des vannes (qui calcule la pression dans les GV) des GV 1 et 2, car ils n’étaient pas conformes avec la réglementation de résistance aux séismes. Multiples conformités, à tous les niveaux donc. Mais, remise dans le fil des évènements, ce que cette dernière déclaration donne à voir c’est avant tout le manque de rigueur, de compétences et d’organisation de l’industriel. Jusque dans ses travaux et vérifications en profondeur censées garantir la sûreté de ses centrales nucléaires.
L.B.
Détection tardive de l’indisponibilité d’un des modes d’ouverture de vannes régulant la pression des générateurs de vapeur
Publié le 12/11/2019
Fin janvier 2019, afin de répondre aux exigences réglementaires, des opérations de remplacement sont menées sur des matériels permettant de contrôler l’ouverture de vannes vapeur régulant la pression des générateurs de vapeur.
Le 4 novembre 2019, l’unité de production numéro 4 est en cours de redémarrage. Les équipes constatent que les vannes vapeur, qui doivent s’ouvrir automatiquement lorsque la pression du générateur de vapeur atteint 83,5 bars, s’ouvrent à une pression légèrement inférieure à ce seuil. Les équipes de la centrale interviennent alors sur le matériel remplacé en janvier 2019 et ôtent une vis de blocage, située sur un organe de régulation de la vanne, qui générait les perturbations sur un des modes d’ouverture. La situation est de nouveau conforme le 5 novembre à 0h20.
Cet événement n’a eu aucun impact sur la sûreté des installations et l’environnement. Cependant, compte tenu de la détection tardive, la centrale nucléaire de Paluel a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le 7 novembre 2019, un événement significatif de sûreté de niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7.
Ouverture intempestive de vannes du circuit de contournement de la turbine à l’atmosphère du réacteur 4 de Paluel
Publié le 18/11/2019
Centrale nucléaire de Paluel - Réacteurs de 1300 MWe - EDF
Le 8 novembre 2019, EDF a déclaré à l’ASN un événement significatif relatif à l’ouverture intempestive de vannes du système de contournement de la turbine à l’atmosphère (système GCT-a) pour deux générateurs de vapeur (GV) du réacteur 4 de Paluel.
Le système de contournement de la turbine à l’atmosphère a pour rôle d’évacuer la vapeur produite dans le circuit secondaire vers l’atmosphère, dans certaines phases d’exploitation normales du réacteur et dans certaines situations accidentelles, au cours desquelles il permet de limiter la pression dans le circuit secondaire et de contrôler le refroidissement du circuit primaire. Il est constitué d’une vanne motorisée en sortie du circuit vapeur de chaque générateur de vapeur du réacteur.
Le 4 novembre 2019, une baisse de puissance de la turbine entraîne une augmentation de la pression dans les générateurs de vapeur. Contrairement à l’attendu, les vannes motorisées du système GCT-a de deux des quatre générateurs de vapeur s’ouvrent. Les valeurs de pression calculées par la régulation de ces deux vannes étaient incorrectes et supérieures à la pression réelle.
En janvier 2019 les matériels de régulation des vannes du système GCT-a ont été remplacés sur les GV 1 et 2 afin de répondre aux nouvelles exigences de tenue au séisme. Ces matériels présentaient une non-conformité qui n’a pas été identifiée lors des tests de mise en service.
Les régulations des deux vannes concernées ont été remises en conformité le 5 novembre 2019.
Cet écart n’a pas eu de conséquence sur le personnel ni sur l’environnement. Toutefois, en raison de sa détection tardive, il a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.
[2] ASG : alimentation de secours des générateurs de vapeur Lorsque l’alimentation normale en eau est défaillante, le système ASG permet alors d’alimenter les générateurs de vapeur pour évacuer la chaleur transmise par le circuit primaire. L’alimentation de secours peut se faire à partir d’une turbopompe ou de deux motopompes aspirant dans un réservoir de stockage d’eau déminéralisée. https://www.asn.fr/Lexique/A/ASG
[3] INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici - https://www.asn.fr/Lexique/I/INES