12 avril 2024
Erreur peu banale dont on ne sait pratiquement rien : la réaction nucléaire en chaîne dans le réacteur 3 de la centrale de Gravelines (Nord) a été mal évaluée - et donc mal surveillée - durant une semaine. Des paramètres erronés ont été implantés dans le système de mesure de la puissance début avril 2024. Ce système, constitué de capteurs situés autour de la cuve du réacteur, permet de surveiller que la réaction en chaîne est homogène, un élément fondamental pour arriver à la maîtriser.
Crédit photo : André paris
Ni le communiqué d’EDF ni celui de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ne précise comment il est possible que des paramètres erronés aient été implantés dans le système de mesure de la puissance nucléaire. Ce système (dit RPN
[1]
) surveille en permanence la puissance du réacteur en mesurant le flux de neutrons.
Rappelons que la fission nucléaire est la division d’un noyau d’un atome par l’impact d’un neutron. Cette fission provoque un dégagement d’énergie (de la chaleur) et la libération d’autres neutrons. Ces neutrons vont alors impacter d’autres noyaux fissiles (des noyaux d’uranium par exemple), entretenant ainsi la réaction nucléaire (d’où le terme "réaction en chaîne") [2]. Surveiller le flux des neutrons dans la cuve est une manière de surveiller la réaction nucléaire. Pour que celle-ci puisse être maîtrisable, il faut qu’elle soit la même partout (si trop de neutrons se concentrent à un endroit, la puissance sera alors plus forte qu’ailleurs, avec un risque d’emballement à cet endroit précis et une difficulté de contrôle de la puissance).
On comprend donc que la surveillance du flux de neutron soit constante dans un réacteur en marche. Les règles imposent d’ailleurs, lorsque le système RPN est hors-service, d’insérer des systèmes de mesure directement dans la cuve une fois par heure, et de ne pas faire varier la puissance du réacteur. Des règles qui n’ont pas été respectées puisque EDF a mis une semaine à se rendre compte que la surveillance était basée sur des valeurs erronées. À se demander comment un exploitant nucléaire peut se tromper dans ce qui touche au cœur de son métier.
L.B.
Déclaration d’un événement significatif de niveau 1 relatif au non-respect a posteriori de la conduite à tenir prévue par les règles générales d’exploitation
Publié le 12/04/2024
Les règles générales d’exploitation sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite des réacteurs associées. Elles prescrivent notamment les délais maximums de réparation et les conduites à tenir en cas d’indisponibilité des systèmes requis pour assurer la sûreté des réacteurs.
Le 10 avril 2024, l’unité de production n°3 est en fonctionnement. Un essai périodique vérifiant le bon fonctionnement des capteurs permettant de suivre l’état neutronique du réacteur lors des phases de production est réalisée par les équipes d’exploitation de la centrale. Lors de cet essai, les équipes s’aperçoivent que certains capteurs ne respectent pas certaines valeurs prescrites par les RGE et considèrent le matériel indisponible depuis le 4 avril, date de la dernière activité réalisée sur les capteurs neutroniques.
Le 11 avril 2024, une équipe est missionnée pour reprendre l’ensemble des réglages concernés. Ils sont de nouveaux conformes à 13h11, le même jour, permettant de retrouver la disponibilité des capteurs.
Bien que la conduite à tenir ait été respectée en temps réel, l’indisponibilité des capteurs permettant de suivre l’état neutronique du réacteur constitue a posteriori un non-respect des RGE dans la configuration dans laquelle se trouvait le réacteur. Cet évènement, sans conséquence réelle sur la sûreté des installations a été déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire le 12 avril au niveau 1 de l’échelle INES, graduée de 1 à 7.
Détection tardive de l’indisponibilité d’une fonction de surveillance du cœur du réacteur 3
Publié le 15/04/2024
Centrale nucléaire de Gravelines Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 11 avril 2024, EDF a déclaré à l’ASN un événement significatif pour la sûreté relatif au non-respect de la conduite à tenir à la suite de l’indisponibilité de la fonction de surveillance du déséquilibre azimutal de puissance par le système RPN du réacteur 3 de la centrale nucléaire de Gravelines.
Sur un réacteur à eau sous pression, l’état neutronique du cœur est surveillé par :
En fonctionnement normal, lorsque la surveillance par le système RPN du déséquilibre azimutal de puissance est indisponible, les spécifications techniques d’exploitation (STE) imposent que cette grandeur soit vérifiée au moins une fois par heure par le système RIC et que le réacteur reste en fonctionnement à puissance constante.
Lors d’un essai périodique réalisé le 10 avril 2024 sur le réacteur n°3, EDF a constaté que certaines chaînes de mesure RPN permettant de suivre l’état neutronique du cœur ne respectaient pas les valeurs prescrites par les règles générales d’exploitation (RGE). Cela était dû à un défaut de paramétrage lors de la dernière activité réalisée sur ces chaînes, le 4 avril 2024, rendant indisponible, au sens des STE, la fonction de surveillance du déséquilibre azimutal de puissance sans que la conduite à tenir dans ce cas ait été respectée par le site.
Le 11 avril 2024, une équipe a repris l’ensemble des réglages concernés, ce qui a permis de retrouver la disponibilité de ces chaînes de mesure.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les personnes et l’environnement. Toutefois, en raison du non-respect des spécifications techniques d’exploitation entre le 4 et le 11 avril 2024, requérant l’utilisation du système RIC et le fonctionnement du réacteur à puissance constante, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle internationale des événements nucléaires INES.
[1] Le système de mesure de la puissance nucléaire (RPN) assure la surveillance permanente de la puissance du réacteur. Cette surveillance, qui consiste à mesurer le flux de neutrons, est assurée par des détecteurs disposés à l’extérieur de la cuve. https://www.asn.fr/lexique/R/rpn
[2] Réaction nucléaire : Processus entraînant la modification de la structure d’un ou de plusieurs noyaux d’atome. La transmutation peut être soit spontanée, c’est-à-dire sans intervention extérieure au noyau, soit provoquée par la collision d’autres noyaux ou de particules libres. La réaction nucléaire de certains atomes s’accompagne d’un dégagement de chaleur. Il y a fission lorsque, sous l’impact d’un neutron isolé, un noyau lourd se divise en deux parties sensiblement égales en libérant des neutrons dans l’espace. Il y a fusion lorsque deux noyaux légers s’unissent pour former un noyau plus lourd. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-nucleaire - Réaction en chaîne : Suite de fissions nucléaires au cours desquelles les neutrons libérés provoquent de nouvelles fissions, à leur tour génératrices de neutrons expulsés vers des noyaux cibles, etc. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-en-chaine