30 mai 2022
Depuis fin 2021, des fissures ont été découvertes au cœur de plusieurs réacteurs, crées par de la corrosion sous contrainte, un phénomène qui n’était pas censé arriver. D’abord identifiées sur les réacteurs les plus récents (les 1450 MWe de Civaux et de Chooz), après quelques semaines d’études il s’avère que tous les modèles sont concernés (les 1300 MWE mais aussi les 900 MWe). EDF a annoncé fin mai 2022 les prochains réacteurs à contrôler et les premiers facteurs identifiés, notamment la conception des circuits mais aussi la fabrication des soudures. L’industriel a aussi pour la première fois avoué que plusieurs circuits étaient touchés.
L’affaire va prendre du temps et ne fait que s’étendre sur la parc nucléaire d’EDF. Commencée fin 2021 sur le réacteur 1 de Civaux, les révélations de l’exploitant nucléaire se font depuis au compte goutte, mais à chaque fois de nouvelles centrales nucléaires sont concernées (voir notre article du 14 avril 2022). Et plus de circuits au cœur des réacteurs sont touchés.
Au départ c’est sur le circuit d’injection de sécurité (RIS) que les fissures ont été découvertes. À Civaux 1, Chooz 1 et Penly 1. Mais dans une note d’info discrètement publiée fin mai, EDF annonce que le circuit de refroidissement à l’arrêt (RRA) de ces réacteurs est aussi touché, un circuit qui sert non seulement lorsque le réacteur est arrêté mais aussi lors des phases d’arrêt et de redémarrage. L’industriel ne donne en revanche aucune idée de l’ampleur des fissures si ce n’est qu’une zone de compression dans le métal "limite l’évolution du phénomène de CSC à quelques millimètres". En effet, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a fait état dans un communiqué fin janvier de fissures allant jusqu’à 5,6 mm de profondeur. Quelques millimètres donc certes, mais à rapporter à une épaisseur totale de 30mm. La proportion atteinte est donc loin d’être négligeable. Par ailleurs, certaines sources syndicales ont donné des chiffres au média Montel : certaines fissures à Civaux font jusqu’à un mètre de long.
Fin mai 2022, 12 réacteurs sont arrêtés et en cours de vérifications : Civaux 1 et 2, Chooz 1 et 2, Cattenom 3, Chinon 3, Bugey 3 et 4, Penly 1, Flamanville 1 et 2 et Golfech 1.
Des indications de corrosion sous contrainte (CSC), révélées par les relectures de contrôles par ultrasons effectués lors des précédents arrêts, ont conduit EDF à lister les réacteurs à vérifier en priorité. Parmi eux, des fissures ont effectivement été retrouvées sur les réacteurs de Civaux 1, Chooz 1 et Penly 1 nous dit EDF dans son communiqué du 19 mai. Sur le circuit d’injection de sécurité, mais pas que : le circuit de refroidissement à l’arrêt est aussi touché. À Chinon 3 aussi le circuit RRA est fissuré.
EDF ne le dit pas, mais d’après Montel, Cattenom 3 est aussi touché, son circuit d’injection de sécurité est fissuré. Et les 2 réacteurs de Flamanville aussi, d’après une petitebrève d’actualité publiée le 25 mai sur le site de la centrale (information aussi confiée à Montel là encore par une source syndicale). Sur les 12 réacteurs actuellement en cours de vérification, 6 sont effectivement fissurés par corrosion sous contrainte. Et les contrôles ne sont pas terminés.
Les premières expertises de modélisation et de terrain (EDF découpe les tuyauteries et les examine en laboratoire) identifient des facteurs qui semblent prépondérants : la géométrie des circuits - donc la conception même des réacteurs - ainsi que la réalisation des soudures - donc la fabrication - sont en cause.
EDF va poursuivre ses vérifications sur la parc, car in fine, tous les réacteurs devront être passés à la loupe. Mais pour ce faire, l’industriel doit déjà peaufiner sa méthode pour détecter de manière fiable la CSC (ce qui n’est pas le cas avec la méthode aux ultrasons utilisée pour détecter les fissures par fatigue thermique). Qui plus est, ces contrôles sont hautement dosant pour les personnes qui les réalisent, les tuyauteries concernées sont fortement irradiées, ils doivent donc être le plus rapide possible. Enfin ils ne peuvent être faits que lorsque le réacteur est arrêté, et EDF ne peut pas se permettre de mettre tout son parc nucléaire en stand by en même temps. D’autant que les arrêts sont très longs : il faut non seulement vérifier mais aussi découper les tuyauteries, puis il faudra forcément les réparer avant de pouvoir relancer le réacteur.
L’industriel annonce donc qu’il ne prévoit pas de mettre à l’arrêt de nouveaux réacteurs pour 2022, pas de manière anticipée en tout cas. Il va profiter en revanche des arrêts qui étaient déjà prévus pour les visites décennales des 900 MWe. Ce sont donc Tricastin 3, Gravelines 3, Dampierre 2, Blayais 1 et Saint Laurent B2 qui seront les prochains à être examinés.
Puis en 2023, ce sera au tour de Cruas 2, Bugey 2, Bugey 5, Chinon B2, Gravelines 6 et des réacteurs de 1300 MWe qui ont un arrêt programmé (et qui n’auront pas été déjà vérifiés). Cattenom 1, Saint-Alban 2, Penly 2 et Paluel 2 seront mis à l’arrêt au deuxième trimestre 2023 annonce EDF. Et pour toute cette année, les arrêts seront particulièrement longs prévient l’industriel : jusqu’à 25 semaines, plus de 6 mois. EDF a donc dores et déjà annoncé la couleur : pour le reste de l’année 2022 et pour 2023, beaucoup de réacteurs nucléaires seront arrêtés en raison de ces vérifications, et pour longtemps.
Pour limiter le casse (l’arrêt de production d’électricité a un coût financier colossal pour l’exploitant), EDF annonce avoir déjà préparé des plans de réparations et commandé à des entreprises d’acier en Europe des tronçons de remplacement. "Les cadences de production ont été optimisées" nous dit-il en fin de communiqué. Doit-on y voir quelque chose de rassurant, quand on connaît l’importance de la qualité de conception et de fabrication de ces éléments ? La précipitation n’est jamais gage de qualité... Mais l’industriel a-t-il le choix ? Son parc de production d’électricité est essentiellement nucléaire et pour produire de l’électricité, il faut vite réparer. Avant même d’avoir compris comment et pourquoi cette CSC et ces fissures sont apparues au cœurs de ses réacteurs.
L.B.
Mise à jour 19/05/2022 - Phénomène de CSC détecté sur des portions de tuyauteries de circuits auxiliaires du circuit primaire principal de plusieurs réacteurs nucléaires
Publié le 20/05/2022
EDF a remis à l’Autorité de sûreté nucléaire une note relative à l’avancement général de l’instruction des défauts de corrosion sous contrainte, son analyse de sûreté et l’évolution de la stratégie de traitement qui en résulte pour l’ensemble du parc nucléaire.
Douze réacteurs, actuellement à l’arrêt, sont concernés par les contrôles de corrosion sous contrainte (CSC) :
▸ Les contrôles et investigations se poursuivent sur les 8 autres réacteurs priorisés (Bugey 3, Bugey 4, Cattenom 3, Civaux 2, Chooz 2, Flamanville 1, Flamanville 2, Golfech 1).
L’analyse basée sur des expertises de circuits et la réalisation de calculs, simulations numériques et de tests menés dans le laboratoire d’expertises métallurgiques d’EDF (LIDEC) ont mis en évidence plusieurs éléments :
Parallèlement, EDF a réalisé et présenté à l’Autorité de sûreté nucléaire une première analyse de sûreté complétée de calculs, portant sur sa capacité à arrêter ses réacteurs en toute sûreté, y compris en cas de perte de 2 des 4 lignes des circuits d’injection de sécurité. A ce stade pour 2022, EDF considère qu’il n’est pas nécessaire d’anticiper de nouveaux arrêts de réacteurs pour réaliser ces contrôles. La méthode de programmation des contrôles sur les autres réacteurs du parc, basée sur l’analyse des fiches de résultat des examens par ultrasons réalisés dans le cadre des visites décennales, a permis à EDF de définir un calendrier pluriannuel.
Pour 2022, seront contrôlés, dans le cadre de leur programme de maintenance des visites décennales, les réacteurs suivants du palier 900 MW : Tricastin 3, Gravelines 3, Dampierre 2, Blayais 1 et Saint Laurent B2.
Concernant le palier 1300 MW, des expertises métallurgiques approfondies vont être réalisées sur les réacteurs de Cattenom 3 et 4, Flamanville 1 et 2, Golfech 1. Celles engagées sur Penly 1 se poursuivront, afin de disposer de données suffisantes pour caractériser précisément le phénomène sur ce palier.
En 2023, des messages de prudence portant sur la durée des arrêts programmés de certains réacteurs ont été publiés conformément à la réglementation REMIT. En effet ces arrêts sont susceptibles de se prolonger pour des durées totales pouvant atteindre 25 semaines. Cela concerne :
Des arrêts intermédiaires seront programmés à partir du deuxième trimestre 2023 pour les réacteurs de : Cattenom 1, Saint-Alban 2, Penly 2, Paluel 2, pour des durées pouvant également atteindre 25 semaines.
EDF s’est d’ores et déjà engagé dans les travaux de remplacement des tuyauteries qui ont été déposées pour être expertisées. La filière nucléaire est également pleinement mobilisée. La préparation des chantiers sur les réacteurs concernés est lancée, les premiers dossiers de réparation ont été présentés à l’ASN, en vue de leur instruction. EDF a lancé les approvisionnements en tubes et coudes avec des aciéristes européens. Les cadences de production ont été optimisées pour livrer les premières pièces de rechange avant l’été. L’ensemble des fournisseurs qualifiés pour réaliser ces activités prépare dès maintenant les interventions. Des dizaines de soudeurs ont bénéficié de formations et d’entraînements spécifiques afin de garantir une haute qualité de réalisation.
https://www.edf.fr/sites/groupe/files/2022-05/EDF_Mise%20a%20jour%20Note%20Info%20CSC_19mai2022.pdf