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Des accidents nucléaires partout

France : Dampierre : Quand EDF ne surveille pas le niveau d’eau

14 heures pour réaliser qu’un écran en salle de commande est cassé




13 octobre 2023


Alors que EDF était en train d’arrêter le réacteur 1 de la centrale nucléaire de Dampierre (Centre - Val de Loire) pour en économiser le combustible, le 29 septembre 2023, il a mis plus d’une demie journée à s’apercevoir que le niveau d’eau dans un de ses équipements servant notamment au refroidissement du réacteur ne s’affichait plus en salle de commande. Ce n’est que le lendemain que l’industriel s’est aperçu de la panne.


Crédit photo : André Paris

L’histoire pourrait paraître anodine mais elle ne l’est pas. Car elle démontre un réel manque de surveillance d’un réacteur nucléaire alors même que celui-ci est dans une phase délicate. Les arrêts et les redémarrages sont en effet une succession d’états transitoires et le passage de l’un à l’autre est particulièrement délicat. La puissance du réacteur doit évoluer progressivement, le but étant de toujours garder le contrôle de la réaction nucléaire en cours. Ces étapes sont strictement codifiées : les paramètres essentiels qui permette de contrôler la puissance du réacteur comme la température, la pression, la concentration en bore [1] ou encore les niveaux d’eau doivent être constamment surveillés et ajustés pour être maintenus dans des gammes de valeurs bien spécifiques. Durant ces phases, les équipes de conduite doivent donc être particulièrement aux aguets.
Qui plus est, dans certaines de ces phases d’arrêts et de redémarrage, le refroidissement du combustible nucléaire contenu dans la cuve ne se fait pas par le circuit habituelle (le circuit primaire [2] ) mais par les échangeurs thermiques, des équipements qui permettent d’évacuer la chaleur du cœur pour la transmettre à un autre circuit, ceux qu’on nomme les générateurs de vapeur (GV) [3] . Et c’est justement le niveau d’eau dans un des générateurs de vapeur qui n’a pas été surveillé par EDF, pendant 14 heures.

EDF le dit lui-même dans son communiqué :
Pour assurer le pilotage de la centrale, des capteurs sont présents sur l’ensemble des circuits. Les mesures réalisées sont transmises en temps réel en salle de commande et, pour certaines, reportées sur des enregistreurs graphiques. Ils permettent aux opérateurs présents d’avoir une vision précise du fonctionnement de l’installation en toutes circonstances.
Mais personne au sein de la salle de commande ne s’est aperçu qu’un enregistreur du niveau d’eau dans le GV n°1 ne fonctionnait plus. Certes il y avait un autre système de mesure. Certes, il n’y a pas qu’un seul GV pour évacuer la chaleur du cœur. Mais le problème c’est surtout que dans une phase critique comme l’est un arrêt de réacteur, EDF n’a pas suffisamment surveillé durant plus d’une demie journée les paramètres qui lui permettent d’avoir une vision précise du fonctionnement de son réacteur nucléaire.

Manque de formation du personnel de conduite ? Manque de rigueur, manque de personnel, surcharge de travail ? Pas un mot dans le communiqué de l’industriel n’explique ce défaut de surveillance. EDF argue que l’incident, malgré son caractère significatif [4] pour la sûreté [5] , n’a pas eu d’impact réel puisque cette mesure du niveau d’eau ne sert qu’en cas d’accident et que le réacteur fonctionnait parfaitement. Mais le système se doit d’être pleinement opérationnel tout le temps, et les données affichées en salle de commande doivent être surveillées en permanence. Ce n’est pas au moment où survient un accident qu’il est temps de s’apercevoir que l’afficheur ne fonctionne pas. Ce n’est pas en situation de crise qu’il est possible de réparer le système qui permet de suivre le niveau d’eau dans le matériel à utiliser pour évacuer la chaleur du cœur du réacteur et éviter la surchauffe du combustible nucléaire. Qui plus est, une baisse de ce niveau d’eau peut causer un accident.
Non seulement EDF n’a pas surveillé les signaux en salle de commande, mais il a dépassé le temps maximal imparti pour remettre en état de marche l’équipement de suivi tant son manque de surveillance a duré longtemps. Quand on sait que c’est le 3ème incident significatif pour la sûreté déclaré par la centrale de Dampierre en moins de deux semaines [6], tous relevant d’entorses aux règles censées régir l’exploitation de l’installation nucléaire, même s’il n’y a pas eu de conséquences réelles, il y a de quoi s’interroger sur la réelle compétence d’EDF en tant qu’exploitant nucléaire.

Ce que dit EDF :

Déclaration d’un événement significatif pour la sûreté de niveau 1 pour non-respect des Spécifications Techniques d’Exploitation (STE)

Publié le 13/10/2023

Le pilotage d’un réacteur s’inscrit dans un cadre de prescriptions, parmi lesquelles les spécifications techniques d’exploitation (STE), qui regroupent l’ensemble des règles à respecter pour la conduite des installations.

Pour assurer le pilotage de la centrale, des capteurs* sont présents sur l’ensemble des circuits. Les mesures réalisées sont transmises en temps réel en salle de commande et, pour certaines, reportées sur des enregistreurs graphiques. Ils permettent aux opérateurs présents d’avoir une vision précise du fonctionnement de l’installation en toutes circonstances.

Le 29 septembre à 00h00, l’unité de production n°1 est en phase de mise à l’arrêt pour économie de combustible. Le 30 septembre à 14h, les opérateurs détectent un écart sur un enregistreur graphique qui permet de suivre une des deux mesures du niveau d’eau dans le générateur de vapeur n°1. Cette mesure étant utilisée uniquement en cas de situation accidentelle, la lecture de cette information n’était ainsi pas nécessaire car le réacteur était en fonctionnement normal. Les équipes sont immédiatement intervenues afin de le réparer. La dernière mesure reportée datait de 00h30, l’enregistreur a ainsi été indisponible durant un laps de temps supérieur à celui autorisé par les STE.

La détection tardive de l’indisponibilité de l’enregistreur n’a eu aucun impact sur la sûreté de l’installation. Toutefois, en raison du non-respect des spécifications techniques d’exploitation (STE), la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly a déclaré cet événement le 10 octobre à l’Autorité de sûreté nucléaire comme un événement significatif de sûreté de niveau 1 (anomalie) sur l’échelle INES, qui en compte 7.

* Les capteurs utilisés peuvent mesurer des températures, pression, niveau d’eau ou toute autre mesure physique utile à l’exploitation du réacteur et des circuits de l’installation.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-dampierre-en-burly/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-dampierre/declaration-dun-evenement-significatif-pour-la-surete-de-niveau-1-pour-non-respect-des-specifications-techniques-dexploitation-ste-0


Ce que dit l’ASN :

Non-respect de la conduite à tenir prévue par les règles générales d’exploitation du réacteur 1 de la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly concernant la durée d’indisponibilité d’un matériel de surveillance du réacteur

Publié le 30/10/2023

Centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 10 octobre 2023, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un évènement significatif pour la sûreté relatif au non-respect de la conduite à tenir prévue par les règles générales d’exploitation du réacteur 1 de la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly en cas de perte totale de la disponibilité d’une mesure de surveillance du circuit secondaire utilisée en situation post-accidentelle (système SPA).

Les règles générales d’exploitation (RGE) sont un recueil de règles approuvées par l’ASN qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite associées. Elles prescrivent notamment des conduites à tenir et des délais d’intervention en cas d’indisponibilités fortuites de matériels, en fonction de leur importance pour le maintien en état sûr du réacteur.

Le système SPA fournit en salle de commande des informations permettant à l’exploitant de connaître l’état du réacteur en situation accidentelle. Il est constitué de plusieurs matériels et fournit différentes indications disponibles sur enregistreurs ou indicateurs. En cas d’indisponibilité totale d’un de ces enregistreurs lorsque le réacteur est en arrêt normal sur générateur de vapeur, les RGE imposent le repli du réacteur en arrêt normal sur réfrigérant d’arrêt sous 8 heures.

Le 29 septembre 2023, le réacteur 1 a été mis à l’arrêt pour maintenance et rechargement de son combustible.

Le 30 septembre 2023, alors que le réacteur 1 était en arrêt normal sur générateur de vapeur, l’exploitant a détecté un écart entre les mesures du niveau de l’eau dans un générateur de vapeur et l’enregistreur SPA associé au suivi de ce niveau. Dès la découverte de l’écart, l’exploitant a pris des dispositions qui lui ont permis de retrouver la disponibilité de l’enregistreur SPA. Toutefois, les investigations menées par l’exploitant ont montré par la suite que cet appareil était resté indisponible pendant plus de 13 heures. Dans ces conditions, les RGE, qui prévoient le repli du réacteur sous 8 heures n’ont donc pas été respectées a posteriori.

Cet évènement n’a pas eu de conséquence pour les personnes et l’environnement. Les autres mesures de niveau d’eau dans le générateur de vapeur sont restées disponibles pendant toute la durée de l’événement.

Néanmoins, en raison de sa détection tardive, cet événement qui a affecté une fonction de sûreté support du réacteur a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/non-respect-de-la-conduite-a-tenir-prevue-par-les-rge-du-reacteur-1-de-dampierre-en-burly


[1Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, permet de modérer, par sa capacité à absorber les neutrons, la réaction en chaîne. La concentration en bore est ajustée pendant le cycle en fonction de l’épuisement progressif du combustible en matériau fissile. https://www.asn.fr/lexique/b/Bore

[2Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire

[3Un générateur de vapeur (GV) est un échangeur thermique entre l’eau du circuit primaire, portée à haute température (320 °C) et à pression élevée (155 bars) dans le cœur du réacteur, et l’eau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur et alimente la turbine. Chaque générateur de vapeur comporte plusieurs milliers de tubes en forme de U, qui permettent les échanges de chaleur entre l’eau du circuit primaire et l’eau des circuits secondaires pour la production de la vapeur alimentant la turbine https://www.asn.fr/Lexique/G/Generateur-de-vapeur

[4Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements

[5La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire

[6voir le bandeau à droite de cet article pour une revue des derniers incidents déclarés par la centrale de Dampierre


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Installation(s) concernée(s)

Dampierre-en-Burly

Nombre d'événements enregistrés dans notre base de données sur cette installation
94