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Des accidents nucléaires partout

France : Cruas : Un réacteur sans confinement plus de 24 heures

Une intervention de maintenance met à mal une des pierres angulaires de l’industrie nucléaire




29 septembre 2023


Mi septembre 2023, alors que le réacteur 3 de la centrale de Cruas (Rhône-Alpes) est arrêté, les sas qui permettent d’accéder aux zones nucléaires sont ouverts. Le système de ventilation doit alors fonctionner de manière à mettre le bâtiment en dépression par rapport à l’extérieur. De cette façon, l’air et les radioéléments présents dans le bâtiment ne peuvent pas en sortir malgré l’ouverture des portes. Mais une intervention de maintenance sur 2 ventilateurs aura pour conséquence de stopper ce confinement dynamique. Et ce n’est que le lendemain que les équipes d’EDF s’en rendront compte.


Crédit photo : André Paris

L’intervention en question devait pourtant simplement intervertir deux ventilateurs. Manque d’analyse préalable des risques et conséquences ou erreur d’exécution ? Quoiqu’il en soit, suite à cette intervention, le confinement dynamique de l’enceinte du réacteur ne fonctionnait plus. Et ce n’est pas le contrôle technique normalement réalisé après chaque intervention sur les équipements qui aura permis de détecter le problème, mais la position des lanières du rideau suspendu devant le sas d’accès. Avec une mise en dépression, ces lanières s’orientent vers l’intérieur du bâtiment réacteur, puisque l’air ne peut que y entrer, et pas en sortir. Or, le lendemain de l’intervention, du personnel constate que ces lanières n’étaient plus inclinées vers l’intérieur du bâtiment réacteur, dénotant donc une perte du confinement.

C’est donc grâce au sens de l’observation de certains équipiers que l’erreur technique a été détectée. Mais durant tout le temps écoulé entre la permutation des ventilateurs et cette observation, la troisième barrière de confinement n’était plus opérationnelle (la première barrière est la gaine du combustible ; la deuxième est le circuit primaire [1] ). D’après l’Autorité de sûreté nucléaire, et fort heureusement, la perte de confinement était localisée entre deux zones nucléaires, le sas du bâtiment réacteur donnant sur un autre bâtiment nucléaire (probablement le bâtiment combustible qui est accolé au bâtiment du réacteur pour permettre le transfert des combustibles usés en piscine de refroidissement). Cet autre bâtiment ayant lui un système de ventilation fonctionnel et des filtres de la radioactivité actifs, il n’y a pas eu dispersion de radioactivité à l’extérieur. Par chance pourrait-on dire ?

Pour EDF il s’agit simplement d’un "non-respect des spécifications techniques d’exploitation". Mais l’incident en dit bien plus : manque de préparation et/ou réalisation d’une intervention, absence de contrôle post-interventionnel ou périmètre des vérifications trop restreint, surveillance insuffisante de la configuration de l’enceinte du réacteur alors que les sas des zones nucléaires sont ouverts et détection tardive d’une perte de confinement, qui est pourtant une des pierres angulaires de l’industrie nucléaire... Les faits ont été déclarés fin septembre par EDF et ont été classés comme significatifs [2] pour la sûreté [3] .

Ce que dit EDF :

Non-respect des spécifications techniques d’exploitation de l’unité de production n°3

Publié le 29/09/2023

Les règles générales d’exploitation (RGE) sont un recueil de règles qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement de l’installation et les prescriptions de conduite des réacteurs associées. A travers le chapitre dédié aux spécifications techniques d’exploitation (STE), elles indiquent notamment les matériels et les systèmes devant être disponibles pour contribuer à assurer les fonctions de sûreté que sont la maîtrise de la réactivité et du refroidissement du réacteur et le confinement de la radioactivité.

Le 20 septembre 2023, le réacteur de l’unité n°3 est à l’arrêt pour maintenance programmée. Le réacteur est sous prescription particulière des STE dans un domaine d’exploitation permettant l’ouverture concomitante des deux portes du sas d’accès dans le bâtiment réacteur. Cette prescription impose un confinement dynamique des locaux qui est réalisé par l’intermédiaire d’un système de ventilation.

A 6h15, une inspection des équipes d’EDF met en évidence que le système de ventilation ne permet pas un confinement dynamique suffisant des locaux, ce qui n’est pas permis par les STE dans cette situation. Après analyse, les équipes identifient qu’une intervention de maintenance consistant à permuter deux ventilateurs a eu lieu la veille à 23h58. Il est alors décidé de rétablir la configuration initiale, ce qui permet de retrouver un niveau de dépression conforme aux STE.

Cet événement n’a pas eu de conséquence réelle sur la sûreté des installations. Toutefois, en raison du non-respect des spécifications techniques d’exploitation, la direction de la centrale de Cruas-Meysse l’a déclaré, le 26 septembre 2023, à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en tant qu’évènement significatif sûreté au niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-cruas-meysse/non-respect-des-specifications-techniques-dexploitation-de-lunite-de-production-ndeg3


Ce que dit l’ASN :

Perte du confinement dynamique de l’enceinte du réacteur 3

Publié le 10/10/2023

Centrale nucléaire de Cruas-Meysse Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 26 septembre 2023, l’exploitant de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif à la perte du confinement dynamique de l’enceinte du réacteur 3.

L’enceinte de confinement est un bâtiment en béton à l’intérieur duquel se trouvent notamment la cuve, le cœur du réacteur et les générateurs de vapeur. Elle constitue la troisième barrière entre les produits radioactifs contenus dans le cœur du réacteur et l’environnement (la première barrière est la gaine du combustible ; la deuxième est le circuit primaire). Elle est destinée, en cas d’accident, à retenir les produits radioactifs qui seraient libérés lors d’une rupture du circuit primaire.

Ce bâtiment est équipé de deux sas d’accès, permettant l’accès des personnes et des matériels à l’intérieur du bâtiment réacteur. Ces accès peuvent être ouverts, sous conditions, lors de certaines phases d’arrêt pour maintenance afin de permettre l’entrée de personnes et de matériels. Ces sas sont munis de rideaux à lanières lorsqu’ils sont ouverts. Lorsque ces accès sont ouverts alors que le combustible est encore présent dans la cuve, un système de ventilation assure le maintien en dépression du bâtiment pour que l’air circule depuis l’extérieur du bâtiment vers l’intérieur, assurant ainsi un confinement dynamique. Le bon fonctionnement de ce système de ventilation est notamment mis en évidence par l’aspiration du rideau à lanières du sas vers l’intérieur du bâtiment réacteur.

Le 19 septembre 2023, alors qu’un sas du bâtiment réacteur était ouvert, une permutation des ventilateurs du système de ventilation permanent a été réalisée en vue d’une activité de maintenance.

Le 20 septembre 2023, l’exploitant a constaté que les lanières du rideau du sas n’étaient plus inclinées vers l’intérieur du bâtiment réacteur, ce qui mettait en évidence un dysfonctionnement du confinement dynamique du bâtiment. Après investigation et analyse, il a été détecté que la permutation des ventilateurs du système de ventilation permanent avait perturbé le fonctionnement du système de mise en dépression du bâtiment réacteur. Le confinement dynamique de l’enceinte du réacteur 3 a été rétabli le 20 septembre 2023.

Le sas concerné débouchant dans un autre bâtiment nucléaire, lui-même muni d’une ventilation et de filtres, cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, l’environnement ou sur les travailleurs. Toutefois, en raison du non-respect des prescriptions particulières des règles générales d’exploitation (RGE) relatives aux conditions d’ouverture des sas du bâtiment réacteur, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/perte-du-confinement-dynamique-de-l-enceinte-du-reacteur-3


[1Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire

[2Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements

[3La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire


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Installation(s) concernée(s)

Cruas

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140