29 août 2024
La centrale nucléaire de Chinon (Centre - Val de Loire) a déclaré le 28 août 2024 avoir détecté une fuite de liquide de refroidissement, sans préciser sur quel équipement. La fuite a provoqué un rejet de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et a fait dépasser le seuil réglementaire fixé à 100kg/an.
Crédit photo : André Paris
Le 21 août 2024, une fuite de liquide de refroidissement a été détectée par la centrale de Chinon. EDF ne précise ni quel matériel est concerné, ni quel équipement, local ou circuit il refroidit, ni l’ampleur de la fuite. Pas plus que le type de fluide utilisé. Des éléments pourtant essentiels pour prendre la mesure des impacts de l’incident.
Les liquides de refroidissement sont très prisés dans les centrales nucléaires. Étant donné la chaleur dégagée dans certaines zones de l’installation, sans ce refroidissement les températures deviendraient insupportables, tant pour le personnel que pour les matériels. Ces liquides réfrigérants permettent le refroidissement et la climatisation de certains locaux. Mais ces substances sont des produits artificiels qui, par leur composition chimique (carbone, fluor, hydrogène), participent activement au réchauffement climatique si elles sont relâchées dans la nature.
De la famille des hydrofluorocarbures (HFC), et de forme liquide lorsqu’ils sont sous pression, les fluides réfrigérants passent à l’état gazeux dès qu’ils sont à l’air libre. Toute fuite de liquide de refroidissement provoque des rejets de gaz dans l’atmosphère. Des gaz qui ont un pouvoir de réchauffement global (PRG) beaucoup plus puissant que les gaz à effet de serre plus connus tels que le dioxyde de carbone (CO2) ou le méthane (CH4).
Par exemple, 1 kg de liquide de refroidissement de type R134A a le même effet en terme de réchauffement sur 20 ans que 3 710 kg de CO2 [1]. Quand EDF constate une fuite d’un kg de liquide de refroidissement de type R125, c’est l’équivalent d’un rejet de plus de 6 000 kg de CO2 dans l’atmosphère à l’aulne de 20 ans. EDF ne précisant pas quel type de liquide de refroidissement est utilisé dans ses centrales, il est impossible d’estimer l’équivalence CO2 de ces fuites.
Qui plus est, une fois dans l’atmosphère, ces substances restent actives longtemps. Par exemple, il faut plus de 28 ans pour que le pouvoir de réchauffement global du R125 diminue de moitié (demi-vie de 28.2 ans [2]) ; et encore 28 années de plus pour que son activité diminuée de moitié soit de nouveau divisée par 2, etc. L’accumulation dans l’atmosphère au fil du temps (et des fuites) de ces gaz à effet de serre ont un impact environnemental indéniable. Les HFC ont d’ailleurs été l’objet d’un accord ratifié par 140 pays lors du Protocole de Montréal en 2016 (l’amendement Kigali), afin que leur production et leur consommation soit réduite d’au moins 80% d’ici à 2050.
Étant donné leur impact négatif sur l’environnement et la nécessité de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre pour cause de dérèglement climatique, des limites sont fixées pour les fuites de liquides de refroidissement des installations industrielles. Les centrales nucléaires ont toutes le droit de laisser fuiter 100 kg de liquide de refroidissement par an (quelque soit le type utilisé). En réalité elles s’octroient le droit d’en laisser fuiter plus que ça, et dépassent régulièrement ce quota. Dans ces cas-là, elles sont tenues de déclarer ce dépassement aux autorités, en tant qu’évènement "significatif pour l’environnement" [3]. C’est ce qu’a fait EDF le 28 août 2024. Car le fuite découverte une semaine plus tôt a fait monter le cumul des fuites survenues sur le site nucléaire depuis le début de l’année à 105,5kg.
Le problème des fuites de liquide de refroidissement est pourtant bien connu d’EDF. Les déclarations similaires sont faites par plusieurs centrales nucléaires chaque année, et se répètent au fil du temps. Moins d’un mois auparavant, le 31 juillet, la centrale de Dampierre et l’EPR de Flamanville déclaraient avoir dépassé pour 2024 la limite annuelle. En 2023, 8 centrales nucléaires ont dépassé les 100 kg de fuites de liquides de refroidissement (dont déjà l’EPR de Flamanville et Dampierre). En 2022, elles étaient 9. Et bon nombre d’entre-elles dépassait déjà le seuil en 2021 [4].
Mais EDF ne semble pas vouloir se donner la peine d’y remédier en changeant ses équipements, ou en mettant en place des systèmes de détection de fuite et des contrôles plus réguliers. L’exploitant se contente de déclarer un évènement significatif pour l’environnement aux autorités. C’est certain que ça lui coûte beaucoup moins cher. Mais au final, c’est la nature qui paye.
L.B.
Déclaration d’un Evénement significatif environnement (ESE) suite au dépassement du seuil de cumul annuel des émissions de fluide frigorigène
29/08/2024
Dans une installation industrielle, les fluides frigorigènes sont utilisés dans les systèmes de production de froid. Ils permettent le refroidissement et la climatisation de différents matériels et locaux. Les opérations de contrôle et de maintenance réalisées régulièrement sur les groupes frigorifiques permettent de contrôler leur bon fonctionnement et l’absence d’émission de fluides frigorigènes.
La règlementation en vigueur prévoit la déclaration d’un événement significatif pour l’environnement, lorsque le seuil de 100kg/an d’émission de fluide frigorigène est atteint.
Le 21 août 2024, une émission de fluide frigorigène s’est produite. Cette perte a conduit au dépassement du seuil de cumul annuel des émissions de fluides frigorigènes de la centrale de Chinon, qui a atteint 105,5 kg.
Le cumul de fluide frigorigène émis au titre de l’année 2024 étant supérieur à 100kg/an, un événement significatif environnement a été déclaré par la direction de la centrale de Chinon à l’Autorité de sûreté nucléaire le 28 août 2024
[1] Source : "Certains gaz à effet de serre des centrales nucléaires", Bernard Laponche, octobre 2020, Global Chance.
* : La courbe de décroissance du CO2, pour une émission de 1 l’année 0 : 0,217+ exponentielles de demi-vies : 173 ans (26%), 18,5 ans (34%), 1,2 ans (2%).
[2] Une demi-vie correspond à la période de temps nécessaire pour que l’activité de la substance se réduise de moitié.
[3] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[4] Début janvier 2024, la centrale du Blayais a déclaré avoir dépassé le seuil annuel des 100 kg de fuites de liquides de refroidissement en 2023. Entre janvier et octobre 2023, sept centrales ont annoncé avoir dépassé le seuil annuell (Dampierre, l’EPR de Flamanville qui n’a encore jamais démarré, Paluel, Golfech, Bugey, Tricastin et les deux réacteurs en fonctionnement de Flamanville qui ont eu des fuites sur une douzaine d’équipements différents). En 2022, neuf centrales nucléaires l’avaient dépassé (Blayais, Paluel, Golfech, Belleville, Bugey, Tricastin, Civaux, Chooz et Flamanville). Bon nombre d’entre-elles le dépassait déjà en 2021.