5 février 2024
Une seule phrase, c’est tout ce que EDF accordera à l’annonce du dépassement de la limite fixée en 2023 pour les fuites de liquides de refroidissement à la centrale du Blayais (Gironde). Ces substances chimiques se transforment en puissants gaz à effet de serre dès qu’elles sont à l’air libre. Mais EDF ne semble pas accorder plus d’importance que ça à l’incident, tant le communiqué de déclaration est minimaliste. L’industriel chercherait-il à faire passer inaperçues ses fuites et à passer sous silence leurs conséquences ?
Crédit photo : André Paris
Les liquides de refroidissement sont très prisés dans les centrales nucléaires. Étant donnée la chaleur dégagée par le réacteur nucléaire, sans ce refroidissement les températures dans certaines zones deviendraient insupportables, tant pour le personnel que pour les matériels. Mais ces substances sont des produits artificiels qui, par leur composition chimique, participent activement au réchauffement climatique.
De la famille des hydrofluorocarbures (HFC), sous forme liquide lorsqu’ils sont sous pression, les liquides de refroidissement passent à l’état gazeux dès qu’ils ne sont plus sous pression. Toute fuite de liquide de refroidissement provoque des rejets de gaz dans l’atmosphère. Des gaz qui ont un pouvoir de réchauffement global (PRG) beaucoup plus puissant que les gaz à effet de serre plus connus tels que le dioxyde de carbone (CO2) ou le méthane (CH4).
Par exemple, 1 kilo de liquide de refroidissement de type R134A a le même effet en terme de réchauffement sur 20 ans que 3700 kilos de CO2 [1]. Quand EDF constate une fuite d’un kilo de liquide de refroidissement de type R125, c’est l’équivalent d’un rejet de plus de 6 000 kilos de CO2 dans l’atmosphère. EDF ne précisant pas quel type de liquide de refroidissement est utilisé dans ses centrales, il est impossible d’estimer l’équivalence CO2 de ces fuites.
Qui plus est, une fois dans l’atmosphère, ces substances restent actives longtemps. Par exemple, il faut plus de 28 ans pour que le pouvoir de réchauffement global du R125 diminue de moitié (demi-vie de 28.2 ans [2]) ; et encore 28 années de plus pour que son activité diminuée de moitié soit de nouveau divisée par 2, etc.
L’accumulation dans l’atmosphère au fil du temps (et des fuites) de ces gaz à effet de serre ont un impact environnemental indéniable. Les HFC ont d’ailleurs été l’objet d’un accord ratifié par 140 pays lors du Protocole de Montréal en 2016 (l’amendement Kigali), afin que leur production et leur consommation soit réduite d’au moins 80% d’ici à 2050.
Pour autant, les fuites se succèdent dans les centrales nucléaires d’EDF. Entre janvier et octobre 2023, sept centrales ont dépassé le seuil fixé à 100 kilos de fuites par an (Dampierre, l’EPR de Flamanville qui n’a encore jamais démarré, Paluel, Golfech, Bugey, Tricastin et les deux réacteurs en fonctionnement de Flamanville qui ont eu des fuites sur une douzaine d’équipements différents). En 2022, neuf centrales nucléaires avaient dépasser ce seuil (Blayais, Paluel, Golfech, Belleville, Bugey, Tricastin, Civaux, Chooz et Flamanville). Bon nombre d’entre-elles dépassaient déjà le seuil réglementaire en 2021.
Avec la discrète déclaration de la centrale du Blayais qui annonce un cumul de plus de 116 kilos de fuites de liquides de refroidissement en 2023, la liste des sites nucléaire rejetant trop de gaz à effet de serre s’allonge un peu plus. Sans explication sur l’origine de ces fuites ni les conséquences sur l’environnement. Et sans un mot sur d’éventuelles mesures qui seraient prises par EDF pour remédier à dépassements de limites autorisées. Comme si en dire le moins possible pouvait rendre l’incident minime. _ Il y a pourtant un manque évident de contrôle et d’entretien des équipements qui utilisent les liquides de refroidissement. Tant que EDF ne se donnera pas les moyens de mieux détecter ses fuites et de remplacer ses matériels défectueux, les fuites dans l’environnement continueront comme c’est le cas depuis des années. Alors EDF, industriel responsable qui fait de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique sa priorité ?
L.B.
Événements significatifs - janvier 2024
Publié le 05/02/2024
(...)
Déclaration du 2 janvier :
Le cumul annuel 2023 d’émission de fluides frigorigènes a dépassé la limite des 100 kg autorisé (116,67kg).
[1] Source : "Certains gaz à effet de serre des centrales nucléaires", Bernard Laponche, octobre 2020, Global Chance.
* : La courbe de décroissance du CO2, pour une émission de 1 l’année 0 : 0,217+ exponentielles de demi-vies : 173 ans (26%), 18,5 ans (34%), 1,2 ans (2%).
[2] Une demi-vie correspond à la période de temps nécessaire pour que l’activité de la substance se réduise de moitié.