7 août 2024
À la centrale nucléaire de Dampierre (Centre - Val de Loire), la maintenance "préventive" n’a pas évité une fuite de produits chimiques dans l’environnement. Plus de 144 kg de liquide de refroidissement se sont évaporés dans la nature où ils se sont transformés en puissants gaz à effet de serre. Un type d’incident bien connu, qui se répète année après année. L’industriel a par ailleurs tardé à informer les autorités.
Crédit photo : André Paris
Le 31 juillet 2024, ce que EDF qualifie de "maintenance préventive" (c’est-à-dire entretenir pour éviter que ne survienne un dysfonctionnement) est en cours sur un système de refroidissement. Quel système précisément, quel équipement ou local refroidit-il ? EDF ne le précise pas. Pas plus qu’il ne donne la date de la dernière opération de maintenance effectuée sur ce groupe-froid. Ce contrôle a permis de détecter une importante fuite, puisqu’il manquait près de 145 kg de liquide de refroidissement dans l’appareil.
Les liquides de refroidissement sont très prisés dans les centrales nucléaires. La chaleur dégagée dans certaines zones de l’installation est telle que sans ce refroidissement, les températures deviendraient insupportables, tant pour le personnel que pour les matériels. Ces liquides réfrigérants permettent le refroidissement des matériels et la climatisation de certains locaux. Mais ces substances sont des produits artificiels qui, par leur composition chimique (carbone, fluor, hydrogène), participent activement au réchauffement climatique si elles sont relâchées dans la nature.
De la famille des hydrofluorocarbures (HFC), et de forme liquide lorsqu’ils sont sous pression, les fluides réfrigérants passent à l’état gazeux dès qu’ils sont à l’air libre. Toute fuite de liquide de refroidissement provoque des rejets de gaz dans l’atmosphère. Des gaz qui ont un pouvoir de réchauffement global (PRG) beaucoup plus puissant que les gaz à effet de serre plus connus tels que le dioxyde de carbone (CO2) ou le méthane (CH4).
Par exemple, 1 kg de liquide de refroidissement de type R134A a le même effet en terme de réchauffement sur 20 ans que 3 710 kg de CO2.
[1].
Quand EDF constate une fuite d’un kg de liquide de refroidissement de type R125, c’est l’équivalent d’un rejet de plus de 6 000 kg de CO2 dans l’atmosphère. EDF ne précisant pas quel type de liquide de refroidissement est utilisé dans ses centrales, il est impossible d’estimer l’équivalence CO2 de ces fuites.
Qui plus est, ces substances restent actives longtemps [2]. Leur accumulation dans l’atmosphère au fil du temps (et des fuites) ont un impact environnemental indéniable. C’est d’ailleurs pourquoi les industriels sont tenus de déclarer un "évènement significatif pour l’environnement" [3] lorsqu’ils dépassent un certain quota de fuite pour ces substances. Pour les centrales EDF, le seuil est fixé à 100 kg/an. Et ce quelque soit le type de fluide utilisé, alors qu’ils n’ont pas tous le même effet (en terme de PRG et de durée d’activité).
Peu d’éléments permettent de caractériser la fuite survenue à la centrale de Dampierre. EDF ne donnant pas la capacité totale du réservoir, ni le type de fluide utilisé, ni la date de la dernière vérification de l’équipement (et donc la durée potentielle de la fuite), impossible d’en mesurer l’ampleur relative. Mais on peut qualifier cette fuite d’importante puisqu’elle a, à elle seule, fait largement dépassé la limite annuelle fixée pour tout le site nucléaire. Et on peut affirmer avec certitude que la maintenance "préventive" n’est pas assez fréquente. Le but de la prévention est d’éviter la survenue de certains faits. Pour éviter les fuites et les rejets inutiles de gaz à effet de serre, c’est raté.
Certes, ça aurait pu être pire, mieux vaut tard que jamais ! Optimisme rafraîchissant. Oui, c’est probablement vrai, ça aurait pu être pire : le réservoir aurait pu être retrouvé entièrement vide. Mais hors de question d’être complaisant à l’égard d’EDF ou de niveler par le bas la gravité des faits : au regard de l’urgence de préserver au maximum notre environnement et de tout faire pour ralentir le dérèglement climatique, c’est déjà trop, et détecté trop tard.
D’autant que ce problème de fuites de liquide de refroidissement n’est pas nouveau, il est parfaitement connu d’EDF et il est malheureusement très fréquent. Le même jour que l’intervention de contrôle à Dampierre, EDF déclarait une fuite du même acabit pour l’EPR de Flamanville (Normandie). Quelques semaines avant, c’était pour 3 fuites distinctes sur des équipements des 2 autres réacteurs de Flamanville que le seuil des 100 kg de "perte" de liquide de refroidissement était dépassé. Un seuil annuel déjà dépassé en quelques mois. Et des phénomènes récurrents, d’année en année. En 2023, 8 centrales nucléaires ont dépassé les 100 kg de fuites de liquides de refroidissement (dont déjà l’EPR, déjà Flamanville, et déjà Dampierre). En 2022, elles étaient 9. Et bon nombre d’entre-elles dépassait déjà le seuil en 2021 [4].
L’industriel, sous couvert de maintenance préventive, ne se donne en réalité pas les moyens d’éviter un phénomène qu’il connaît bien, et ce malgré ses impacts environnementaux négatifs avérés. Est-ce pour cette raison qu’EDF a mis une semaine pour déclarer l’incident, alors qu’il est tenu d’en informer l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) au plus proche de sa détection [5] ?
L.B.
[Evénement Significatif Environnement] – Emission de fluide frigorigène
Publié le 07/08/2024
Le mardi 06 août 2024, EDF a déclaré à l’Autorité de Sûreté Nucléaire un événement significatif environnement relatif à une émission de fluide frigorigène supérieure à 100kg détectée au niveau d’un matériel type « groupe froid ».
Dans une installation industrielle comme celle de la centrale, les fluides frigorigènes sont utilisés dans les systèmes de production de froid. Ils permettent le refroidissement et la climatisation de différents matériels et locaux. Les opérations de contrôle et de maintenance réalisées régulièrement sur les groupes frigorifiques permettent de contrôler leur bon fonctionnement et l’absence d’émission de fluides frigorigènes.
La réglementation en vigueur prévoit la déclaration d’un événement significatif pour l’environnement, lorsqu’une émission de fluides frigorigènes atteint 100kg.
Le 31 juillet 2024, lors d’une visite de maintenance préventive, il a été constaté que le groupe frigorigène était vidé partiellement de son gaz (soit 144,25kg). Les équipes interviennent immédiatement pour identifier la localisation précise de l’inétanchéité et mettre en sécurité le groupe froid. Après expertise, une fuite est identifiée et les réparations nécessaires seront effectuées.
Cet événement n’a entraîné aucune conséquence sur la sûreté des installations, ni sur la santé des salariés. Toutefois, l’émission de fluide frigorigène étant supérieure à 100kg, un événement significatif environnement a été déclaré par la Direction de la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly à l’Autorité de Sûreté Nucléaire, le 06 août 2024.
[1] Source : "Certains gaz à effet de serre des centrales nucléaires", Bernard Laponche, octobre 2020, Global Chance.
* : La courbe de décroissance du CO2, pour une émission de 1 l’année 0 : 0,217+ exponentielles de demi-vies : 173 ans (26%), 18,5 ans (34%), 1,2 ans (2%)
[2] Par exemple, il faut plus de 28 ans pour que le pouvoir de réchauffement global du R125 diminue de moitié (demi-vie de 28.2 ans). Une demi-vie correspond à la période de temps nécessaire pour que l’activité de la substance se réduise de moitié.) ; et encore 28 années de plus pour que son activité diminuée de moitié soit de nouveau divisée par 2, etc.
[3] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[4] Début janvier 2024, la centrale du Blayais a déclaré avoir dépassé le seuil annuel des 100 kg de fuites de liquides de refroidissement en 2023. Entre janvier et octobre 2023, sept centrales ont annoncé avoir dépassé le seuil annuell (Dampierre, l’EPR de Flamanville qui n’a encore jamais démarré, Paluel, Golfech, Bugey, Tricastin et les deux réacteurs en fonctionnement de Flamanville qui ont eu des fuites sur une douzaine d’équipements différents). En 2022, neuf centrales nucléaires l’avaient dépassé (Blayais, Paluel, Golfech, Belleville, Bugey, Tricastin, Civaux, Chooz et Flamanville). Bon nombre d’entre-elles le dépassait déjà en 2021.
[5] Un délai de 2 jours peut être toléré, mais le code de l’environnement et le guide le l’ASN relatif aux modalités de déclaration et à la codification des critères relatifs aux événements significatifs* impliquant la sûreté, la radioprotection ou l’environnement applicable aux installations nucléaires de base et aux transports de matières radioactives prescrivent une déclaration sans délai, dès détection.