13 février 2024
Début février 2024, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) est informée par le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) que dans ses laboratoires de recherches de Marcoule (Gard), des substances radioactives ont été déplacées sans tenir compte d’un principe de base : la réaction nucléaire, c’est à dire la fission des atomes, peut démarrer toute seule, il suffit de rassembler suffisamment de matière au même endroit.
Crédit photo : André Paris
Dans l’installation joliment nommée Atalante (pour ATeliers alpha et laboratoires d’analyses des transuraniens et d’études de retraitement), le CEA mène des recherches sur le combustible nucléaire usé et les produits de fission (les cendres résultant de l’irradiation du combustible des centrales nucléaires, les déchets ultimes [1]). Ces substances ont une forte activité radiologique et sont extrêmement dangereuses. On aurait pu croire qu’étant donnée la dangerosité des activités menées par le CEA dans ses laboratoires du Grad, le personnel aurait été suffisamment formé et informé par leur employeur sur les règles à respecter et les risques générés par ces substances ultra-radioactives. Manifestement, ce n’est pas le cas.
Le 1er février 2024, un contrôle technique est fait sur une intervention qui a eu lieu 6 jours plus tôt. Le principe est simple : quelqu’un vérifie ce que quelqu’un d’autre a fait. En l’occurrence transférer d’un laboratoire à un autre plusieurs lots de matière radioactive. C’est à ce moment-là que le CEA réalise que plusieurs règles n’ont pas été respectées : le cahier qui permet de compter la masse de matières radioactives présente dans un endroit n’a pas été rempli comme il se doit, pas plus que le logiciel de suivi, qui permet de savoir si la masse limite n’est pas atteinte. Ces enregistrements sont pourtant ce qui permet de gérer un des principaux risques avec les matières fissiles, le risque de criticité. Car il suffit qu’une certaine masse de matière fissile soit rassemblée pour qu’une réaction en chaîne de fission des atomes se déclenche spontanément [2] . En déplaçant des matières fissiles d’un labo à l’autre sans calculer avant si la masse critique ne serait pas atteinte, c’est donc le risque de faire démarrer une réaction nucléaire qui a été pris, sans aucun moyen de contrôler cette réaction en chaîne.
Il s’est avéré après coup que la quantité critique n’a pas été atteinte dans le local où ont été apportées les matières nucléaires. Mais l’incident soulève de nombreux problèmes dans cette installation.
Que le personnel procède à des transferts sans respecter les règles est signe qu’il n’a pas compris le pourquoi de leur existence et donc qu’il n’a pas conscience des risques. Le CEA ne forme donc ni correctement ni suffisamment son employé·es. C’est pourtant de la responsabilité de l’employeur de protéger ses salarié·es des risques auquel il les expose.
Que le contrôle technique ne soit fait que près d’une semaine après l’intervention induit un risque supplémentaire : impossible de détecter rapidement ce qu’i n’a pas été fait correctement. Les moyens humains sont-ils suffisants ? L’organisation interne permet-elle au personnel de faire leur travail sans générer de risques supplémentaires ?
Que le CEA ne déclare l’incident aux autorités qu’une semaine après l’avoir découvert montre là encore un problème de suivi et de réactivité.
Le CEA n’a pas communiqué publiquement sur l’incident, c’est par l’ASN que l’information a circulé. Dans son communiqué, l’autorité de contrôle précise que le CEA a rappelé à son personnel les règles mises en œuvre pour maîtriser le risque de criticité, mais sans plus de précision sur les modalités et la suffisance de ce rappel. Notons que le CEA ne s’est doté en 2022 d’un nouvel outil de gestion du risque de criticité à Marcoule, un logiciel permettant le suivi des masses de matières fissiles dans ses laboratoires [3] . Si l’exploitant nucléaire ne donne pas les moyens au personnel de s’approprier les outils de travail, si l’organisation mise en place ne leur permet pas de détecter les risques et les erreurs, les travailleur·es ne seront toujours pas suffisamment protégés et les incidents continueront d’arriver.
L.B.
Non-respect d’une règle de prévention du risque de criticité lors d’un transfert de matière fissile entre deux laboratoires
Publié le 13/02/2024
Atalante Laboratoire de recherche et de développement et étude de production des actinides - CEA
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a été informée le 7 février 2024, par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), du non-respect d’une règle destinée à la maîtrise du risque de criticité, préalablement au transfert de matière fissile entre deux laboratoires de l’installation nucléaire de base 148.
L’événement est survenu le 25 janvier 2024, lors d’une opération de transfert de cinq lots de matière fissile entre deux laboratoires de l’INB 148.
Un contrôle technique de l’opération, réalisé par l’exploitant le 1er février 2024, a mis en évidence l’absence de visa formalisant la vérification par une seconde personne des informations portées dans le cahier de suivi des matières nucléaires du laboratoire qui a reçu ces lots. Ceci constitue un écart au référentiel de sûreté de l’INB 148. Le cahier de suivi permet la comptabilisation de la masse de matière nucléaire, notamment celle de matière fissile, préalablement à chaque mouvement de matière entre les différentes unités de l’installation.
Ce contrôle a également révélé que le transfert de matière fissile a été réalisé sans avoir préalablement renseigné le logiciel de suivi des matières nucléaires (SMN) de l’installation. Le système SMN est également utilisé pour la préparation d’un mouvement de matière fissile, pour prévenir tout dépassement de la limite de masse autorisée, durant un transfert et dans une unité de l’installation. Le jour de l’événement, la masse de matière fissile des lots transférés entre les deux laboratoires n’a donc pas été prise en compte dans les calculs du système SMN. Des vérifications réalisées a posteriori démontrent que les limites de masse fixées par les règles de prévention du risque de criticité de l’installation n’ont pas été dépassées.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur les installations, les personnes et l’environnement. En raison du non-respect d’une règle de prévention du risque de criticité, il a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
L’exploitant a réalisé au sein d’Atalante un rappel sur les obligations en matière de respect des règles de maîtrise du risque de criticité. Des actions correctives et préventives complémentaires pourront être décidées à la suite de l’analyse approfondie des causes de l’événement, pour améliorer la prévention des risques de criticité et éviter qu’un tel écart ne se renouvelle.
[1] Produits de fission : Fragments de noyaux lourds produits par la fission nucléaire ou la désintégration radioactive ultérieure des éléments formés selon ce processus. Les produits de fission sont issus de la fission des atomes d’uranium et de plutonium (césium, strontium, iode, xénon...). Radioactifs pour la plupart, ils se transforment d’eux-mêmes en d’autres éléments. Ceux qui ne se désintègrent pas rapidement constituent une part des déchets radioactifs. https://www.asn.fr/lexique/P/Produits-de-fission
[2] Réaction nucléaire : Processus entraînant la modification de la structure d’un ou de plusieurs noyaux d’atome. La transmutation peut être soit spontanée, c’est-à-dire sans intervention extérieure au noyau, soit provoquée par la collision d’autres noyaux ou de particules libres. La réaction nucléaire de certains atomes s’accompagne d’un dégagement de chaleur. Il y a fission lorsque, sous l’impact d’un neutron isolé, un noyau lourd se divise en deux parties sensiblement égales en libérant des neutrons dans l’espace. Il y a fusion lorsque deux noyaux légers s’unissent pour former un noyau plus lourd. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-nucleaire _ Réaction en chaîne : Suite de fissions nucléaires au cours desquelles les neutrons libérés provoquent de nouvelles fissions, à leur tour génératrices de neutrons expulsés vers des noyaux cibles, etc. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-en-chaine
[3] Appréciations ASN 2022 :
L’ASN a autorisé en 2022 la mise en place d’un nouveau logiciel de gestion de la matière et de contrôle de la criticité, qui améliore globalement la prise en compte des incertitudes de mesures pour l’évaluation des masses de matières fissiles. La mise en service d’un réservoir d’azote liquéfié sur la nouvelle plateforme gaz d’Atalante a également été autorisée.
Des contrôles et essais périodiques défaillants, dont les origines sont essentiellement des erreurs humaines, ont conduit à des rejets significatifs de gaz à effet de serre, et à la non-réalisation de contrôles périodiques d’étanchéité de boîtes à gants et de bouteilles de gaz extincteur en cas d’incendie. (...) Source : https://www.asn.fr/tout-sur-l-asn/l-asn-en-region/occitanie/atalante