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Des accidents nucléaires partout

France : CEA Cadarache : Accidents répétés et cachés à l’Autorité de sûreté

Un Commissariat qui se croit au-dessus des lois ?




13 décembre 2023


Sur l’immense site de Cadarache (Bouches-du-Rhône) exploité par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), les accidents se répètent en zone nucléaire. Et ne sont pas toujours déclarés à l’Autorité de sûreté. Même quand du matériel est visiblement abîmé.


Crédit photo : André Paris

L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) est venue le 16 novembre 2023 à Cadarache faire une inspection surprise dans la Station de Traitement, d’Assainissement et de Reconditionnement (STAR). Elle s’est penchée sur un accident survenu mi-septembre, mais dont elle n’a été informée que plusieurs semaines après. Et dont elle n’a elle-même informé le public que mi-décembre, soit au total 3 mois après les faits. Des faits qui ont un air de déjà-vu.

Dans l’installation joliment nommée STAR, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) étudie des morceaux de combustible nucléaire irradié. Ces restes hautement radioactifs de combustible sont stockés dans des puits. Des machines téléguidées sont utilisées pour les manipuler et les déposer dans ces puits. Le 18 septembre, alors qu’elle devait être enlevée, les câbles de la machine se sont accrochés, la faisant basculer. Elle est venue s’écraser sur une porte coupe-feu et l’a endommagée.

En zone nucléaire, le risque d’incendie est pris très au sérieux. Les systèmes de détection et les dispositifs de protection doivent toujours être en parfait état de marche. Tout le personnel est censé être formé et sensibilisé à ça.
Constatant les dégâts sur la porte coupe-feu, les intervenants ont prévenu deux ingénieurs responsables ce jour-là. Ils ont décidé de poser un morceau de scotch ignifugé sur la porte endommagée, et après avoir vérifié qu’elle fermait correctement, d’en rester là. Les ingénieurs n’ont pas prévenu leur hiérarchie de l’incident qui n’a été consigné nulle part. Ce n’est que trois semaines plus tard, le 5 octobre, que le chef d’exploitation aura vent de l’évènement. Il mandate alors un expert incendie qui examine la porte coupe-feu et pour lui il est évident que dans cet l’état, elle ne pourrait plus stopper la propagation d’un incendie dans cette zone où sont stockées des matières nucléaires. Il faut immédiatement évacuer les substances radioactives et lancer des travaux de réparation du dispositif de protection. Et informer l’Autorité de sûreté que la sectorisation incendie dans cette partie du bâtiment n’est plus assurée depuis trois semaines.

Lorsque l’ASN est venue sur place mi-novembre, elle a dressé un constat amère : l’incident a été très mal géré parce que le personnel n’est pas suffisamment bien formé. Il n’a pas conscience des risques et manque de culture de sûreté. Même le personnel qui occupe des postes à responsabilités. Comment est-il dès lors possible de gérer l’installation sans risque, "en toute sûreté" ?
En 2021 déjà, un accident similaire était survenu dans ce même bâtiment, du combustible nucléaire était tombé dans un puits, venant s’écraser sur d’autres combustibles nucléaires. Après une rapide vérification visuelle, les opérateurs avaient repris leur activité, continuant à empiler des paquets de combustibles nucléaires dans le puits. Pas de mesures plus poussées pour détecter une éventuelle contamination qui serait due à un endommagement des conteneurs. Pas d’investigations sur le pourquoi de la chute. Et pas d’information immédiate de l’ASN, qui n’avait été prévenue qu’une semaine après. Mécontente, l’Autorité était venue sur place et avait pointé du doigt un manque de culture de sûreté, déjà récurrent. Car un autre incident de chute de matières radioactives étant survenu quelques mois plus tôt dans un autre bâtiment sur le site de Cadarache. Et ce n’était pas le premier, puisque déjà en 2017, des faits similaires étaient déjà arrivés : malgré une chute de plusieurs mètres de matières radioactives, elle n’avait été prévenue que plusieurs mois après, en 2018. L’ASN était allée jusqu’à mettre en demeure le CEA de se conformer aux exigences réglementaires qui touchent à l’analyse du retour d’expérience, au classement de sûreté d’un équipement et aux contrôles techniques des activités qui présentent des enjeux pour la protection des personnes et de l’environnement.

Décidément, le bâton du gendarme du nucléaire semble peu incitatif. Et le CEA semble avoir bien du mal à corriger ses erreurs. Même lorsqu’elles relèvent une culture de sûreté insuffisante qui provient d’un manque de formation aux risques liés aux activités de son site nucléaire. Formation dont l’employeur est entièrement responsable. Le CEA ne semble pas non plus tirer de leçons quant à la nécessité d’avertir au plus tôt l’Autorité de contrôle et de se conformer aux exigences réglementaires. Le Commissariat se croirait-il au-dessus des lois ?

L.B.

Ce que dit l’ASN :

Dégradation d’une sectorisation feu et non-respect de la conduite à tenir en cas d’incident

Publié le 13/12/2023

Leca et Star Utilisation de substances radioactives - CEA

Le 6 octobre 2023, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté, suite au basculement d’une charge qui a entraîné la dégradation d’une porte coupe-feu au niveau du sous-sol de l’installation STAR.

L’événement est survenu le 18 septembre 2023, lors d’une opération de dépose d’un télémanipulateur sur son châssis de stockage. Lors du retrait des élingues [1] ayant servi à la manutention de l’équipement, le crochet du pont s’est accroché au châssis et a fait basculer l’ensemble sur la porte coupe-feu. Le télémanipulateur a été redressé afin de ne plus bloquer l’accès au local par cette porte. L’endommagement de la porte coupe-feu a été détecté immédiatement par le personnel présent, qui a informé l’ingénieur permanent d’exploitation et l’ingénieur sécurité. Un adhésif métallique présentant des caractéristiques de tenue au feu a été apposé sur la zone touchée, et la bonne fermeture de la porte a été testée. Le chef d’installation a été informé de cet événement, le 5 octobre 2023. Un expert incendie du CEA est alors intervenu. Il a constaté l’endommagement de la porte, la perte de sa qualification coupe-feu et a préconisé la mise en œuvre de mesures compensatoires complémentaires. Ces mesures ont consisté en l’éloignement des substances radioactives, la consignation de la table élévatrice hors tension en l’absence de personnel, et l’affichage de ces dispositions au poste de travail.

Lors de l’inspection réalisée à STAR le 16 novembre 2023, l’ASN a relevé un défaut de culture de sûreté de l’équipe qui a traité l’événement, au vu des lacunes dans la gestion de l’événement. Contrairement à la conduite à tenir prévue par les règles générales d’exploitation, cet événement n’avait fait l’objet d’aucun enregistrement. Il présente par ailleurs des causes récurrentes avec celui survenu le 21 avril 2021[2], en lien avec une remontée tardive d’informations.

En raison du non-respect du référentiel de sûreté de l’INB 55 relatif à l’enregistrement et à la traçabilité du traitement de l’écart, qui a été porté tardivement à la connaissance du chef d’installation, traduisant un défaut de culture de sûreté de l’équipe en charge du traitement de l’écart, l’incident a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/degradation-d-une-sectorisation-feu-et-non-respect-de-la-conduite-a-tenir-en-cas-d-incident

Pour en savoir plus :

Consulter le rapport de l’inspection du 16 novembre 2023 (INSSN-MRS-2023-0625) :

Extraits :

L’équipe d’inspection s’est principalement intéressée aux circonstances ayant conduit à la déclaration de l’évènement significatif (ES) du 6 octobre 2023 concernant la dégradation d’une sectorisation feu (porte coupe-feu 2H) sans mesure compensatoire.
(...)
Concernant l’évènement significatif déclaré le 6 octobre, il est apparu un défaut important de culture de sûreté, principalement lié à des lacunes dans le traitement des écarts. Ceci n’est pas satisfaisant. Une demande est également formalisée au niveau du centre de Cadarache pour le respect des exigences d’une instruction nationale sur la gestion des écarts. (...)


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Installation(s) concernée(s)

CEA Cadarache

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40