13 février 2024
Le 6 février 2024, sur le réacteur 5 de la centrale nucléaire du Bugey (Ain), les équipes constatent qu’il y a un problème avec la ventilation en salle de commande : les pilotes du réacteur auraient respiré de l’air radioactif en cas d’accident. En cause, une gaine souple installée... On ne sait pas quand. La présence de cette gaine avait déjà été repérée il y a plusieurs mois mais n’a pas été signalée. Dans son communiqué d’information du public, EDF développe tout son art de communicant. L’industriel espère-t-il que les euphémismes qu’il utilise minimisent ses erreurs d’exploitant nucléaire ?
Crédit photo : André Paris
En cas d’accident dans un réacteur nucléaire, des rejets radioactifs - qu’ils soient liquides ou gazeux - sont possibles. À l’intérieur comme à l’extérieur des bâtiments. Au sein de ces bâtiments, la salle de commande est le véritable centre névralgique du réacteur. C’est là où sont centralisées les informations nécessaires à la conduite et les moyens de commande à distance des différents systèmes. Elle doit pouvoir être utilisée et utilisable quelque soit la situation du réacteur. Véritable bunker, elle peut être alimentée en électricité même en cas de black out. Elle doit aussi pouvoir être ventilée et confinée, isolée de l’extérieur de manière parfaitement hermétique, afin que les personnes aux commandes puissent respirer et ne soient pas soumises à des températures trop extrêmes. Pour ce confinement, le système de ventilation est essentiel. Il permet de maintenir la pièce en surpression - et donc d’empêcher l’air extérieur d’y entrer [1]. Il permet aussi de filtrer l’air et de capter certains éléments radioactifs qui seraient émis en cas d’accident, comme l’iode par exemple.
C’est justement ce système de piège à iode qui ne fonctionnait pas dans la salle de commande du réacteur 5 du Bugey. À cause d’une gaine souple qui n’aurait pas dû être là. On ne sait ni quand elle a été installée, ni pourquoi cette pièce a été mise là alors qu’elle est interdite sur ce système. On ne sait pas non plus pourquoi le problème n’a pas été détecté plus tôt. Les interventions faites sur les équipements sont normalement contrôlées après-coup, c’est le contrôle technique. Et par une personne différente de celle qui a réalisé l’intervention. Manifestement, le contrôle technique n’a pas été fait - ou a été mal fait. Sinon, la gaine souple aurait été détectée juste après avoir été installée.
En novembre 2023, une intervention sur un ventilateur de ce même système de ventilation a pourtant bien repéré la présence de la gaine souple. Mais personne ne l’a signalée. Est-ce par oubli que l’information n’a pas été remontée ? Ou parce que les intervenants n’en n’ont pas compris l’importance, qu’ils ne savaient pas que cette gaine souple empêchait la filtration de l’iode radioactif ?
Intervention mal exécutée, pièces qui ne sont pas les bonnes, contrôles techniques défaillants, manque de connaissances et/ou de rigueur... La maintenance faite au Bugey pâti vraiment de manque de moyens. Avec des conséquences pouvant aller jusqu’à exposer le personnel censé piloter le réacteur en cas d’accident à des rejets radioactifs.
EDF a déclaré les faits à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) comme étant significatifs [2] pour la sûreté [3]. Au motif d’une détection tardive de l’indisponibilité de la filtration d’iode : les règles que l’exploitant nucléaire doit respecter imposent que la ventilation soit pleinement opérationnelle, et fixent des délais à ne pas dépasser pour remettre le circuit en état. Quid du manque de qualité des opérations de maintenance ? Quid de l’absence ou de l’inefficacité des contrôles ? Du manque de remontée d’informations et de traçabilité des interventions ? Quid du manque de compétences et de formation des intervenants ? Autant d’éléments tout bonnement éludés de la réalité si l’on s’en tient mot pour mot à la présentation des faits par EDF.
On notera par ailleurs que le communiqué de l’industriel publié le 13 février 2024 ne mentionne pas une seule fois le mot radioactivité mais seulement iode. Il ne parle pas non plus d’accident mais de "marche dégradée".
Entre le manque d’éléments circonstanciels expliquant comment il a été possible que cet incident advienne (pourquoi une gaine souple a été installée, pourquoi n’a-t-elle pas été détectée, combien de temps la filtration d’iode a-t-elle été indisponible au total etc.) et le recours aux euphémismes, l’utilisation de termes sciemment choisi pour atténuer, voire masquer des notions pourtant centrales pour qui veut comprendre cet incident et ses enjeux, EDF fait preuve de tout son art, non pas en tant qu’exploitant nucléaire, mais en tant qu’expert de la communication.
L.B.
Déclaration d’un ESS de niveau 1 : Indisponibilité partielle de la fonction filtration iode suite à la présence inappropriée d’une gaine souple
Publié le 13/02/2024
Le 6 février 2024, alors que le réacteur n°5 est en puissance, au cours d’un essai périodique réalisé dans le cadre de la maintenance préventive des installations, les équipes de la centrale du Bugey ont constaté la présence d’une gaine souple rendant leur opération de contrôle impossible sur la filtration de l’iode du système de ventilation et de filtration de l’air (système DCC) de la salle des commandes. Le système DCC permet d’assurer, en cas de marche dégradée des installations, le confinement dynamique de la salle de commande et de ses locaux annexes. Il est constitué de ventilateurs, d’actionneurs et de filtres.
En application des règles générales d’exploitation (RGE), la présence de la gaine souple rendait la fonction filtration de l’iode du système DCC indisponible.
En novembre 2023, lors d’une opération de maintenance sur un ventilateur DCC, les équipes de la centrale ont constaté la présence de la gaine sans porter l’information de celle -ci. Par conséquent la gaine souple laissée lors de cette opération de maintenance rendait indisponible la fonction filtration de l’iode de la salle de commande du réacteur n°5.
Cet écart n’a pas eu de conséquence réelle sur le personnel, sur l’environnement ou sur la sûreté.
Du fait de la détection tardive de la situation et d’une durée totale d’indisponibilité de la filtration iode du système DCC supérieure au délai prévu par les RGE, cet évènement a été déclaré par la direction de la centrale du Bugey auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire le 9 février, au niveau 1de l’échelle INES, qui en compte 8.
Indisponibilité partielle du système de ventilation et de conditionnement de la salle des commandes du réacteur 5
Publié le 19/02/2024
Centrale nucléaire du Bugey Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 9 février 2024, l’exploitant de la centrale nucléaire du Bugey a déclaré à l’ASN un événement significatif pour la sûreté relatif à l’indisponibilité partielle de la fonction de filtration de l’iode du système de ventilation et de conditionnement de la salle de commande (système DCC) du réacteur n°5.
Le système DCC permet la ventilation et la régulation de la température et de l’hygrométrie de la salle des commandes et de ses locaux annexes. Il permet également, en cas de rejet en situation incidentelle ou accidentelle, de filtrer les particules d’iode radioactif qui seraient présentes dans l’air pour protéger le personnel présent en salle de commande.
Le 6 février 2024, dans le cadre de la préparation d’un essai périodique du système DCC, il est constaté la présence d’une gaine souple, reliant directement la filtration d’iode à l’un des deux ventilateurs d’aspiration du système DCC. Cette configuration n’est pas celle normalement attendue, les deux ventilateurs devant normalement aspirer de l’air filtré. En cas d’indisponibilité du ventilateur directement relié aux filtres, le second ventilateur aurait aspiré de l’air non filtré. Après analyse de la situation, la gaine souple a été retirée, permettant de rétablir le jour même une situation conforme.
En cas d’indisponibilité d’un ventilateur de la filtration de l’iode, les règles générales d’exploitation (RGE) du réacteur tolèrent un délai de fonctionnement de trois jours. L’examen de l’historique des essais réalisés sur le système DCC a permis de démontrer que la situation était déjà présente lors du précédent essai, réalisé le 22 novembre 2023. La fonction de filtration de l’iode du système DCC a donc été considérée comme partiellement indisponible depuis plus de trois jours.
Aucune situation nécessitant la filtration d’iode n’étant survenue sur le site, cet évènement n’a pas eu de conséquence directe sur le personnel, sur les installations ou sur l’environnement. Cependant, la durée de l’indisponibilité partielle de la filtration de l’iode étant supérieure au délai toléré par les RGE, cet évènement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.
[1] Le confinement dynamique est couramment utilisé dans les locaux sensibles et les zones nucléaires : grâce à la différence de pression entre deux espaces, il est possible de contrôler les mouvements de l’air et des poussières qu’il transporte. Si la pression est plus forte à l’intérieur de la pièce, l’air ne peut pas y entrer, il ne peut que en sortir. Les particules radioactives en suspension dans l’air ne peuvent donc pas pénétrer dans la pièce en question
[2] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[3] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire