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Des accidents nucléaires partout

France : Bugey : Pollution du Rhône à l’azote et au phosphore

La station d’épuration saturée, la lenteur d’EDF




8 février 2024


La centrale nucléaire du Bugey (Ain) a déclaré début février 2024 avoir déversé trop d’azote et de phosphore dans l’eau du Rhône, plus que ce qui lui est permis. En cause la station d’épuration du site nucléaire qui n’arrive pas à nettoyer les eaux usées et le manque de surveillance d’EDF.


Crédit photo : André Paris

Les rejets industriels d’azote et de phosphore dans l’environnement sont contrôlés et doivent être limités car, si ces substances sont nutritives et souvent utilisées comme engrais, elles sont aussi très délétères. Leur excès provoque un déséquilibre des écosystèmes et conduit par exemple aux marées vertes bien connues sur le littoral. Ce phénomène, dit d’eutrophisation, touche tous les milieux aquatiques qui reçoivent trop de ces substances nutritives. Boostées par ces apports, les plantes à croissance rapide se développent trop, envahissent le milieu et l’appauvrisse en oxygène. Leur prolifération (et leur putréfaction) induit une perte de biodiversité et un développement bactérien. Le phénomène d’eutrophisation est difficile à éradiquer une fois installé.

Si l’eutrophisation est la conséquence d’une pollution dite "naturelle", l’azote et le phosphore rejetés dans l’environnement par les activités agricoles, les industries et le nettoyage insuffisant des eaux usées domestiques accentuent drastiquement le phénomène. La mort des écosystèmes aquatiques peut survenir en quelques décennies, voire même quelques années [1]. Le phénomène est aussi accentué par le dérèglement climatique (stagnation des eaux, sécheresse, ensoleillement, températures élevées vont aussi jouer sur l’eutrophisation). C’est pourquoi agir sur les rejets dans l’environnement est essentiel : c’est le seul levier sur lequel l’homme peut agir directement.

Mais EDF ne semble pas s’en inquiéter. Ses centrales nucléaires sont pourtant toutes dotées de stations d’épuration, des installations qui sont censées nettoyer les eaux domestiques de ses sites de manière suffisamment efficace pour ne pas rajouter une pollution supplémentaire dans le milieu naturel.
Les rejets de la station d’épuration du Bugey, l’eau "épurée", sont effectivement surveillés, mais seulement une fois tous les deux mois. Une fréquence qui paraît trop peu rapprochée pour permettre détection et action rapide. Si un dysfonctionnement ou une pollution survient, l’industriel ne le verra pas, et possiblement il pourra perdurer deux mois avant d’être identifié.
Autre problème avec la surveillance telle que EDF l’exerce : les mesures sont faites sur les eaux "épurées" à la sortie de la station d’épuration, et non avant. Donc au moment où ces eaux sont déversées dans le réseau d’eaux pluviales, pas quand elle est encore dans les basins de décantation. S’il y a une pollution, si les concentrations limites ne sont pas respectées, si l’eau n’a pas été suffisamment épurée, il sera trop tard : lorsque la pollution de l’eau sera identifiée, l’eau se sera déjà mélangée au contenu du réseau d’eaux pluviales, qui est directement relié au Rhône. Quand EDF aura identifié que les eaux "épurées" n’étaient pas assez nettoyées, il sera trop tard pour empêcher qu’elles ne soient déversées dans le fleuve.

La méthode de contrôle et la fréquence des vérifications ne sont pas les seuls problèmes dans la surveillance qu’exerce EDF sur ses rejets dans l’environnement. La lenteur des analyses - 10 jours pour recevoir les résultats des échantillons prélevés en sortie de station d’épuration - ne permet pas non plus d’avoir une réaction rapide et de limiter la propagation d’une éventuelle pollution.
À cette lenteur de traitement des échantillons vient se coupler une lenteur de réaction : une fois informé du dépassement des valeurs limites fixées pour ses rejets d’azote et de phosphore, EDF a mis trois jours pour mettre en place des mesures visant à corriger la situation (limiter les apports d’eaux sales à traiter par sa station d’épuration et renforcer la surveillance de l’installation). Il s’est passé deux semaines entre le prélèvement et la réaction de l’industriel. Et près d’un mois avant que les autorités et le public ne soient informés (le prélèvement a été fait le 8 janvier 2024, les analyses sont revenues à EDF le 19 janvier, les mesures ont été mises en œuvre le 22, EDF a déclaré l’incident à l’Autorité de sûreté le 2 février et le public a été informé le 8 février).

Manque de surveillance de l’installation, organisation et méthode qui ne permettent pas de détection ni d’action rapide en cas de pollution, dépassement des autorisations de rejets (plus de 3 fois la limite autorisée pour l’azote)... Malgré des éléments incomplets (pourquoi la station d’épuration était-elle saturée et les eaux trop peu épurées ? Quelles quantités totales estimées d’azote et de phosphore ont été rejetées ? etc.), l’incident déclaré par la centrale nucléaire du Bugey montre le peu de cas que EDF fait de la protection de l’environnement. En ne se donnant pas les moyens de surveiller correctement ses équipements ni d’agir à temps, l’industriel laisse forcément advenir les incidents.

L.B.

Ce que dit EDF :

Dépassement de la limite autorisée en azote et en phosphore dans les rejets de la station d’épuration des eaux usées

Publié le 08/02/2024

Sur une centrale nucléaire, les eaux usées d’origine domestique (sanitaires, etc.) sont collectées par un réseau particulier puis orientées vers une station d’épuration. Ces eaux usées sont entreposées dans des bassins d’aération et traitées biologiquement par culture bactérienne et oxygénation. Ces eaux épurées sont dirigées vers le réseau d’évacuation des eaux pluviales puis rejetées dans le Rhône.

Des prélèvements réglementaires bimestriels sont réalisés en sortie de la station d’épuration, afin de contrôler les concentrations de différents paramètres, dont les concentrations en azote et en phosphore.

Le 9 novembre 2023 les contrôles réalisés se sont avérés conformes.

Le 16 novembre, le bassin d’aération est complétement vidé afin de réaliser une inspection de génie civil, puis les effluents sont remis dans le bassin le 30 novembre.

De nouveaux prélèvements réglementaires bimestriels sont réalisés les 8 et 9 janvier 2024. Les premiers résultats le 19 janvier identifient un potentiel dépassement de l’un des critères fixant la valeur maximale d’azote et de phosphore autorisée en sortie de la station d’épuration, sur une période de 24h.

Les résultats d’une nouvelle analyse des prélèvements confirment des valeurs mesurées de 6,69kg en azote, pour une limite à 2kg, et de 0,76kg en phosphore, pour une limite à 0,5kg.

Dès le 22 janvier, des actions correctives sont mises en œuvre afin de réduire la quantité d’effluents à traiter par les bactéries du bassin d’aération. Une surveillance accrue est mise en place.

Les analyses effectuées par le laboratoire environnement de la centrale à la sortie du canal de rejet, ainsi que la surveillance en continu des paramètres de qualité de l’eau du Rhône, indiquent des valeurs conformes à l’attendu, sans dégradation de la qualité de l’eau.

Cette situation n’a eu aucun impact réel sur l’environnement. Toutefois, en raison du dépassement d’une limite réglementaire, la centrale du Bugey a déclaré cet événement, le 2 février 2024, à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), comme significatif pour l’environnement.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-du-bugey/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-du-bugey/cnpe-bugey-depassement-de-la-limite-autorisee-en-azote-et-en-phosphore-dans-les-rejets-de-la-station-depuration-des-eaux-usees


[1L’eutrophisation d’un milieu aquatique peut aboutir à son asphyxie et à la mort d’un grand nombre d’organismes vivants. Pour comprendre la raison de cette asphyxie, il est nécessaire de comprendre le processus de ce type de pollution :
Étape 1 : apport excessif de substances nutritives
Étape 2 : croissance et multiplication des algues
Étape 3 : dégradation de ces algues par les bactéries aérobies
Étape 4 : asphyxie du milieu aquatique
Étape 5 : Diminution de la biodiversité et de la qualité de l’eau en tant que ressource
Source : https://ecotoxicologie.fr/eutrophisation-milieux-aquatiques


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Installation(s) concernée(s)

Bugey

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158