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Des accidents nucléaires partout

France : Bugey : Plusieurs systèmes de secours hors-service sur le réacteur 2

Erreur de branchement et vérifications inefficaces, le manque de rigueur d’EDF provoque des incidents à répétition




23 mai 2022


Une armoire électrique qui permet d’alimenter les systèmes les plus essentiels pour garder un minimum de contrôle en cas de coupure de courant sur le réacteur 2 de la centrale du Bugey (Ain) était mal branchée. Mais ce n’est que plusieurs jours après qu’EDF s’en est rendu compte. Erreur de maintenance et vérifications insuffisantes, alors que le réacteur montait en puissance.


L’alimentation électrique d’un réacteur nucléaire est fondamentale. Sans électricité, pas de refroidissement du combustible nucléaire, pas de système de surveillance ni de ventilation, pas d’équipements opérationnels. C’est pourquoi plusieurs sources électriques sont prévues en cas de coupure du réseau d’alimentation classique. Les groupes électrogènes à moteur diesels sont les sources de secours principales. Depuis l’accident de Fukushima en 2011, il a été démontré que ces groupes électrogènes devaient pouvoir résister à des tremblements de terres et des inondations, c’est pourquoi de nouveaux diesels ont été mis en place, les diesels dits d’ultime secours (DUS). Ils sont chargés de fournir de l’électricité pour faire fonctionner les systèmes les plus essentiels afin de garder un minimum de contrôle sur le réacteur en cas de besoin : l’éclairage dans la salle des commandes et l’injection d’eau dans les pompes du circuit primaire pour éviter une perte totale du refroidissement du combustible [1] .

Dès que la réaction nucléaire est lancée et que le réacteur monte en puissance, les systèmes de secours doivent être pleinement opérationnels. EDF vérifie, au préalable, que tout est en état de marche. Mais parfois les vérifications de l’industriel ne sont pas suffisantes. Et passent à côté de problèmes de fonctionnement créés par une maintenance de piètre qualité. C’est ce qu’il s’est passé début mai 2022 à la centrale du Bugey lorsqu’il a fallu redémarrer le réacteur 2.
Alors qu’il devait être remis en service, le tableau électrique qui permet aux systèmes essentiels (éclairage et injection) d’être alimentés par le DUS a été mal branché. Et EDF ne s’en est pas rendu compte. En conséquence, en cas de coupure d’électricité, même si le DUS avait fourni du courant, il n’aurait pas été possible d’avoir de la lumière en salle des commandes ni d’injecter de l’eau dans les pompes du circuit primaire. Alors qu’en cas de dysfonctionnement de cette armoire électrique le réacteur doit être mis à l’arrêt dans les 3 jours et sa puissance rabaissée dans l’heure, EDF a mis plus de 6 jours à se rendre compte que les systèmes ne pouvaient pas être alimentés en électricité e à identifier que le tableau électrique n’était pas raccordé. Pour cette détection trop tardive d’indisponibilité d’équipements dont le fonctionnement était requis, l’industriel a déclaré un incident significatif pour la sûreté [2] [3] . Quant aux problèmes de fond qui ont causé l’incident, une maintenance de mauvaise qualité, des vérifications inexistantes ou insuffisantes, un manque de rigueur dans une phase d’exploitation délicate, ni EDF ni l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ne semblent s’en inquiéter. C’est pourtant le 7ème évènement du genre en un peu plus de 2 mois sur le site nucléaire du Bugey.

Ce que dit EDF :

Détection tardive de l’indisponibilité d’une armoire électrique alimentant des matériels de sauvegarde de l’unité de production n°2

Publié le 23/05/2022

Evénement sûreté

L’unité de production n°2 est en arrêt pour simple rechargement. Le 6 mai 2022, dans le cadre de son redémarrage, les équipes de la centrale nucléaire du Bugey réenclenchent une cellule électrique pour remettre en service une armoire électrique. Alimentée par le diesel d’ultime secours [4] de l’unité de production n°2, cette armoire permet l’alimentation de matériels de sauvegarde.

Le 12 mai, un essai de fonctionnement est réalisé sur le diesel d’ultime secours et met en évidence un défaut d’alimentation de l’armoire électrique.

Le 13 mai, dans un premier temps, un essai permet de confirmer la pleine disponibilité du diesel d’ultime secours. Dans un second temps, les équipes procèdent à un contrôle dans le local de l’armoire et constatent que le levier de déclenchement de la cellule de l’armoire n’est pas dans la position attendue. Il est aussitôt remis en conformité. Un nouvel essai est réalisé, il est satisfaisant et atteste de la disponibilité de l’armoire électrique.

L’analyse, a posteriori, indique que l’alimentation de l’armoire n’était pas effective depuis le 06 mai, date de l’intervention initiale pour sa remise en service. Or, conformément aux spécifications techniques d’exploitation, une baisse de puissance du réacteur aurait dû être engagée dans un délai de 24h à la suite de son indisponibilité.

Cet événement n’a eu aucune conséquence réelle sur la sûreté des installations ni sur l’environnement ; les autres sources électriques sont restées opérationnelles.

Toutefois, en raison de la détection tardive de l’indisponibilité de l’armoire électrique, la direction de la centrale nucléaire du Bugey a déclaré le 19 mai 2022 à l’Autorité de sûreté nucléaire un événement significatif de sûreté de niveau 1 sur l’échelle INES, graduée de 0 à 7.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-du-bugey/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-du-bugey/detection-tardive-de-lindisponibilite-dune-armoire-electrique-alimentant-des-materiels-de-sauvegarde-de-lunite-de-production-ndeg2


Ce que dit l’ASN :

Détection tardive de l’indisponibilité du tableau d’alimentation électrique d’ultime secours

Publié le 24/05/2022 Centrale nucléaire du Bugey Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 19 mai 2022, EDF a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif à l’indisponibilité du tableau d’alimentation d’ultime secours du réacteur 2.

Chaque réacteur est équipé de deux lignes d’alimentation électrique en provenance du réseau national de transport d’électricité et de deux groupes électrogènes de secours à moteur diesel. En cas de perte totale des alimentations électriques, y compris des groupes électrogènes de secours, chaque réacteur dispose également d’un groupe diesel d’ultime secours (DUS) qui alimente un tableau électrique d’ultime secours (tableau LLS) assurant le fonctionnement des équipements minimaux de conduite du réacteur, l’éclairage en salle de commande et une pompe permettant de maintenir l’injection aux joints des groupes motopompes primaires pour éviter que ces derniers ne se détériorent, conduisant à une brèche du circuit primaire.

Le 12 mai 2022, alors que le réacteur était en arrêt à chaud, un essai périodique de basculement entre les sources électriques a été réalisé pour vérifier notamment le démarrage et la connexion du DUS, requis en préalable au redémarrage du réacteur. Cet essai a montré que l’alimentation du tableau LLS par le DUS n’aurait pas fonctionnée en cas de perte totale des alimentations électrique externes et internes.

Le 13 mai 2022, EDF a mis en évidence que le dysfonctionnement a été provoqué par une erreur commise lors du branchement d’une cellule d’alimentation électrique du tableau LLS, le 6 mai 2022, le rendant indisponible depuis cette date. Or, ce tableau était requis par les spécifications techniques d’exploitation (STE) qui requéraient une réparation sous 3 jours en cas d’indisponibilité, délai qui n’a donc pas été respecté.

Cet incident n’a pas eu de conséquences sur l’installation, l’environnement ou le personnel. Toutefois, compte tenu de l’indisponibilité du tableau d’alimentation électrique d’ultime secours pendant une durée supérieure à celle préconisée par les spécifications techniques d’exploitation, il a été classé au niveau 1 de l’échelle INES.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/detection-tardive-de-l-indisponibilite-du-tableau-d-alimentation-electrique-d-ultime-secours


[1Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire

[2Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif

[3La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire

[4Un réacteur nucléaire dispose de six sources d’alimentation électrique. Une seule est suffisante pour garantir le fonctionnement des matériels de sûreté. Construits dans le cadre du déploiement du programme post-Fukushima, les diesels d’ultime secours permettent de disposer d’une alimentation électrique supplémentaire en cas de défaillance des cinq alimentations électriques déjà existantes.


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Installation(s) concernée(s)

Bugey

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152