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Des accidents nucléaires partout

France : Bugey : Mesurer la température ? Trois années d’erreurs

Quand EDF ne sait ni intégrer de nouvelles règles ni faire des mesures ni détecter ses erreurs




16 octobre 2023


Depuis 2020, EDF doit faire des nouveaux contrôles sur ses réacteurs de plus de 40 ans, des mesures de températures. Trois ans plus tard, le gendarme du nucléaire se penche sur la manière dont EDF procède à la centrale du Bugey (Rhône-Alpes). Et découvre un sérieux problème. La manière dont EDF prenait ses mesures de températures faussait le résultat.


Crédit photo : André Paris

L’industriel n’a pas détecté de lui-même que son protocole d’essai était biaisé, il a fallu une inspection de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Des vérifications ont ainsi été réalisées à plusieurs reprises sur les réacteurs 2, 4 et 5 de la centrale du Bugey entre 2020 et 2023 sans que EDF ne se rende compte qu’il n’avait pas su respecter les critères de ces essais. Des essais qui sont destinés à vérifier le bon fonctionnement d’une nouvelle pompe rajoutée sur un système essentiel en cas d’accident dans le bâtiment du réacteur : le système qui asperge le cœur pour faire baisser la pression, la température et rabattre au sol les radionucléides. Depuis trois ans, une modification effectuée sur les réacteurs, une "amélioration de sûreté" n’était pas mise en œuvre.

Quand un industriel n’est pas capable d’intégrer de nouveaux critères à des tests et ne se rend pas compte que sa manière de faire fausse le résultat, quel sens a la vérification effectuée ? Et qu’est-ce que ça dit de son niveau de compétences ?
À quoi sert de faire des tests si on ne mesure pas ce qu’on est censé mesurer ? Quelles capacités d’analyse, de réflexion, de compréhension a-t-on quand on se rend pas compte durant des années qu’on n’a pas appliqué les règles de ses essais ? Sans les questions de l’ASN, EDF penserait toujours mesurer correctement la température lors de ses essais. De quoi interroger sérieusement la compétence de l’exploitant nucléaire, sa capacité à connaître réellement l’état de son installation, à comprendre ce qu’il est en train de faire et à identifier les problèmes.

Mesures faussées durant des années, manque d’analyse, mauvaise compréhension des procédés de vérifications, ces erreurs commises sur 3 réacteurs de la centrale nucléaire du Bugey ont valu à EDF la déclaration d’un évènement significatif [1] pour la sûreté [2] en septembre 2023. Mais courant octobre, il a été reclassé à un niveau de gravité supérieur en raison de leurs répétitions et de leur persistance durant des années. Pour l’ASN, ces faits démontrent le manque de culture de sûreté de l’exploitant nucléaire.

Ce que dit EDF :

Publié le 16/10/2023

Défaut d’intégration d’une règle d’essai du système d’aspersion enceinte (EAS) sur les réacteurs 2, 4 et 5.

Le circuit EAS est un système de sauvegarde permettant l’aspersion de l’enceinte du réacteur.

En juin 2020, les réacteurs de la centrale du Bugey* ayant déjà réalisé leur quatrième visite décennale ont intégré à leurs gammes d’essais de nouveaux critères de mesure de température d’une pompe du circuit EAS. Un nouveau critère consiste à mesurer la température au contact de la pompe.

Ces essais ont été réalisés lors des arrêts pour maintenance programmée des réacteurs, entre mars 2022 et mai 2023, et se sont avérés satisfaisants pour ces réacteurs*.

En septembre 2023, des questions de l’ASN relatives à ces essais ont conduit les équipes d’EDF à requestionner les critères intégrés en 2020. L’analyse a mis en évidence un défaut dans la prise des mesures de températures, pouvant conduire à la collecte de valeurs erronées.

Les équipes d’EDF ont procédé à la clarification du mode opératoire de la prise de mesures de températures permettant la vérification des critères tels que définis par la règle associée à l’essai.

Bien que la disponibilité des matériels n’ait pas été remise en cause durant cette période, cet événement a conduit EDF à informer, le 19 septembre 2023, l’Autorité de sûreté nucléaire de la survenue d’un événement significatif pour la sûreté, au niveau 0 en dessous de l’échelle INES qui en compte 7.

La mise en évidence répétitive de dysfonctionnements lors de l’intégration de la règle d’essais et lors de sa mise en œuvre sur le réacteur 2 ont conduit la centrale du Bugey a redéclarer, le 12 octobre 2023 l’évènement significatif sûreté au niveau 1 sur l’échelle INES qui en compte 7 à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

*Réacteurs 2, 4 et 5 de la centrale du Bugey

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-du-bugey/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-du-bugey/defaut-dintegration-dune-regle-dessai-du-systeme-daspersion-enceinte-eas-sur-les-reacteurs-2-4-et-5


Ce que dit l’ASN :

Défaut de réalisation d’essais périodiques de motopompes du système d’aspersion dans l’enceinte

Publié le 26/10/2023

Centrale nucléaire du Bugey Réacteurs de 900 MWe - EDF

Le 27 septembre 2023, l’exploitant de la centrale nucléaire de Bugey a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif à des défauts de vérification des critères de fonctionnement de motopompes du système d’aspersion dans l’enceinte.

Le circuit d’injection de sécurité (RIS) permet, en cas d’accident causant une brèche au niveau du circuit primaire du réacteur, d’introduire de l’eau borée sous pression dans celui-ci afin d’étouffer la réaction nucléaire et d’assurer le refroidissement du cœur. Sur les réacteurs de 900 MWe, le circuit RIS se compose de deux systèmes d’injection : un circuit à haute pression (RIS HP) et un circuit à basse pression (RIS BP), chacun constitué de deux voies redondantes.

Le circuit d’aspersion dans l’enceinte (EAS) est un système de sauvegarde, constitué de deux voies redondantes, qui pulvérise de l’eau contenant de la soude en cas d’accident dans l’enceinte du réacteur, afin d’y diminuer la pression et la température et de diminuer la quantité d’iode radioactif sous forme de gaz. Cette eau est ensuite pompée depuis le fond du bâtiment constituant l’enceinte du réacteur, refroidie et réutilisée pour l’aspersion. En cas de brèche du circuit primaire, le circuit EAS permet également de récupérer le fluide primaire au fond de l’enceinte pour le réinjecter.

En cas de situation de défaillance des deux voies du circuit RIS BP ou du circuit EAS, une motopompe complémentaire du système EAS, installée sur chaque réacteur, permet de secourir mutuellement, sur le long terme, ces circuits.

En 2020, dans le cadre de la mise en œuvre d’exigences de sûreté renforcées liées aux quatrièmes visites décennales, de nouveaux critères de surveillance des températures de fonctionnement de ces motopompes complémentaires ont été fixés par les services centraux d’EDF. L’exploitant du site de Bugey a adapté localement les contrôles réalisés sur ces motopompes.

Le 14 septembre 2023, à la suite d’une inspection de l’ASN, les services centraux d’EDF ont considéré que les essais réalisés par le site de Bugey ne permettaient pas de démontrer le respect des exigences de sûreté attendues à l’issue des quatrièmes visites décennales. Les motopompes concernées des réacteurs 4 et 5 ont donc été considérées comme indisponibles au sens des règles générales d’exploitation des réacteurs (RGE). Le réacteur 2 était alors complétement déchargé, état dans lequel cette motopompe n’était pas requise par les RGE.

En outre, les essais réalisés en septembre 2023 sur la motopompe du réacteur 2 ont dû être repris à plusieurs reprises et l’ASN a identifié des manques de rigueur dans leur réalisation.

En raison de la réalisation d’essais en écart aux critères fixés par les règles générales d’exploitation (RGE) et de lacunes dans le processus d’intégration des nouveaux essais issus des quatrièmes visites décennales, mettant en évidence des insuffisances de culture de sûreté, cet événement, initialement déclaré au niveau 0 de l’échelle INES, a été reclassé au niveau 1 le 13 octobre 2023.

https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/defaut-de-realisation-d-essais-periodiques-de-motopompes-du-systeme-d-aspersion


[1Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements

[2La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire


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Installation(s) concernée(s)

Bugey

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152