25 août 2023
La centrale nucléaire du Bugey (Auvergne-Rhône-Alpes) a annoncé le 17 août 2023 avoir dépassé les 100 kilos de fuites de liquides de refroidissement depuis le début de l’année. Ce qui se traduit par des rejets de gaz au très fort pouvoir réchauffant, des milliers de fois plus puissant que le CO2. C’est la 5ème centrale nucléaire à dépasser le seuil annuel réglementaire. À perdre trop de liquide de refroidissement, EDF participe activement au réchauffement. Le problème est bien connu, mais pourtant récurrent d’année en année. À quand une véritable protection de l’environnement ?
Les liquides de refroidissement sont très prisés dans les centrales nucléaires. Ils permettent de refroidir l’air (climatisation) et les équipements (groupe-froid). Mais ce sont aussi des produits qui, par leur composition chimique, participent activement au réchauffement climatique. De la famille des hydrofluorocarbures (HFC), sous forme liquide lorsqu’ils sont sous pression, ils passent à l’état gazeux dès qu’ils sont à l’air libre (du fait de n’être plus sous pression). Donc lorsqu’il y a une fuite. Et ces gaz ont un pouvoir de réchauffement global (PRG) des milliers de fois plus puissant que le CO2.
Par exemple, 1 kilo de liquide de refroidissement de type R134A a le même effet en terme de réchauffement sur 20 ans que 3700 kilos de CO2
[1]
. Quand EDF constate une fuite de 1 kg de liquide de refroidissement de type R125, c’est l’équivalent d’un rejet de plus de 6000 kilos de CO2 dans l’atmosphère.
Qui plus est, une fois dans l’air, ces substances ont une durée de vie qui se comptent en dizaines d’années. Elles vont donc s’accumuler au fil des ans, sans que leur effet de réchauffement ne diminue rapidement. Par exemple, il faut plus de 28 ans pour que le pouvoir de réchauffement global du R125 diminue de moitié (demi-vie de 28.2 ans
[2]
) ; et encore 28 années de plus pour que son activité diminuée de moitié soit de nouveau divisée par 2, etc.
Le problème des HFC et de leurs impacts climatique est bien connu des industriels et des autorités. En 2016, près de 200 états s’engageaient à les faire disparaître progressivement (accord de Kigali). D’après une étude américaine, publiée en 2022, et comme le met en avant un récent article de Reporterre, la climatisation génère a elle seule de près de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les liquides de refroidissement utilisés par les climatiseurs et les besoins industriels, pourraient causer un réchauffement supplémentaire de 0.3 à 0.5°C d’ici la fin du siècle (d’après un rapport de l’Organisation météorologique mondiale).
Quand la centrale du Bugey déclare avoir constaté une "perte" de 60 kilos de liquide de refroidissement le 17 août 2023 lors du contrôle d’un de ses groupe-froid, elle ne précise pas quel type de HFC est utilisé. Difficile donc d’évaluer le pouvoir de réchauffement ou l’équivalent en émissions de CO2 de ces fuites, mais on sait, que ce soit du R134A, du R125 ou même du R32 (le "moins pire" des HFC en comparaison aux autres) que c’est des milliers de fois pire.
Cette fuite de 60 kilos, EDF ne l’explique pas. Matériel défectueux, mal entretenu, mal réglé ? On ne sait pas non plus quand précisément elle a eu lieu ni combien de temps elle a duré. À quand remonte le dernier contrôle de cet équipement ? Pourquoi n’y a-t-il pas un système de détection de fuite qui permettrait à l’industriel d’intervenir dès sa survenue et ainsi de limiter les rejets atmosphériques ?
Ce qu’on sait, c’est que cette fuite de 60 kilos a fait dépasser le seuil réglementaire annuel des 100 kilos. En 8 mois, ce sont près de 134 kg d’HFC (de type non précisé) que la centrale du Bugey a déversé dans la nature. Pour avoir dépassé le seuil annuel, elle a déclaré aux autorités le 22 août 2023 un évènement significatif pour l’environnement [3].
D’après notre suivi des incidents déclarés par les exploitants nucléaires, la centrale du Bugey est la 5ème à avoir dépassé la limite en 2023. Il y a d’abord eu Dampierre (Centre - Val de Loire), qui dès la mi-février a déclaré que suite à une fuite de près de 67 kilos, elle avait dépassé les 100 kilos de rejets. Puis en avril, le réacteur EPR de Flamanville (Normandie) : il manquait pas moins de 250 kilos de liquide de refroidissementdans le système de production d’eau froide. Comme quoi un réacteur nucléaire n’a pas besoin d’être en service pour être polluant. Puis ce fut la centrale de Paluel (Normandie) qui a découvert le 9 juin qu’il manquait 40 kilos de liquide réfrigérant dans un de ses équipements, faisant ainsi dépasser la barre des 100 à son cumul annuel de fuites. Le site côtier détenait le record de ces fuites l’année passée, ayant laissé s’évaporer plus de 1000 kilos de HFC dans la nature... Fin juin, c’était la centrale nucléaire de Golfech (Occitanie) qui déclarait une fuite de plus de 72 kilos, dépassant aussi le quota réglementaire annuel. À chaque fois, EDF ne donne aucun détail sur les causes des fuites, aucune précision sur les mesures prises pour les éviter, ni aucun élément technique qui permette d’estimer les conséquences de ces fuites en terme d’impact climatique.
En 2022, c’était pas moins de 9 centrales nucléaires qui avaient dépassé les 100 kilos de fuite de HFC (Blayais, Paluel, Golfech, Belleville, Bugey, Tricastin, Civaux, Chooz et Flamanville). Bon nombre d’entre-elles dépassaient déjà le seuil réglementaire en 2021. Si le problème des fuites de liquides frigorigènes et de leur impact sur le climat est reconnu mondialement, EDF ne semble pas s’en saisir pour autant. Et c’est sans compte les fuites de SF6, le plus puissant de tous les gaz à effet de serre : 23 000 fois plus puissant que le CO2. Utilisé en isolant électrique, notamment dans les postes à haute tension, ces fuites dépassent elles aussi régulièrement les 100 kilos par an. À quand des moyens de substitution et la fin des gaz fluorés ? À quand des contrôles, un entretien, une surveillance plus rapprochée des équipements liés au refroidissement ? À quand un système de détection immédiate des fuites ? À quand une réelle protection de l’environnement ?
L.B.
Déclaration d’un Evénement Significatif Environnement (ESE) suite au dépassement du seuil de cumul annuel des émissions de fluide frigorigène
Publié le 25/08/2023
Dans une installation industrielle, les fluides frigorigènes sont utilisés dans les systèmes de production de froid. Ils permettent le refroidissement et la climatisation de différents matériels et locaux. Les opérations de contrôle et de maintenance réalisées régulièrement sur les groupes frigorifiques permettent de contrôler leur bon fonctionnement et l’absence d’émission de fluides frigorigènes.
La réglementation en vigueur prévoit la déclaration d’un événement significatif pour l’environnement lorsque le seuil de 100kg/an d’émission de fluide frigorigène est atteint.
Le 17 août 2023, les équipes de la centrale du Bugey détectent une perte de fluide frigorigène lors d’un contrôle sur un groupe froid. Les équipes interviennent immédiatement pour identifier la localisation précise de l’inétanchéité et mettre en sécurité le groupe. Des investigations sont menées et confirment la perte de 60 kg de fluide. Cette perte de fluide, ajoutée aux précédentes émissions comptabilisées sur le site, a conduit au dépassement du seuil de cumul annuel des émissions de fluides frigorigènes de la centrale du Bugey qui a atteint 133,7 kg le 17 août 2023.
Cet événement n’a eu aucune conséquence sur la sûreté des installations, ni sur la santé des salariés. Toutefois, le cumul de fluide frigorigène émis au titre de l’année 2023 étant supérieur à 100kg/an, un événement significatif environnement a été déclaré par la direction de la centrale du Bugey à l’Autorité de sûreté nucléaire le 22 août 2023.
[1] Source : "Certains gaz à effet de serre des centrales nucléaires", Bernard Laponche, octobre 2020, Global Chance. * : La courbe de décroissance du CO2, pour une émission de 1 l’année 0 : 0,217+ exponentielles de demi-vies : 173 ans (26%), 18,5 ans (34%), 1,2 ans (2%).
[2] Une demi-vie correspond à la période de temps nécessaire pour que l’activité de la substance se réduise de moitié.
[3] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements