12 novembre 2023
Il s’agissait d’ajouter un produit dans le circuit de refroidissement du réacteur 4 de la centrale nucléaire du Blayais (Nouvelle-Aquitaine). Un produit qui cristallise quand il est trop concentré, et les cailloux formés peuvent endommager et boucher les tuyaux. EDF a rajouté le produit alors que toutes les pompes du circuit étaient arrêtées. Dans ces conditions, impossible que le mélange se fasse.
Crédit photo : André paris
On en sait très peu sur ce qu’il s’est passé au Blayais, le succin communiqué de l’exploitant nucléaire est lacunaire. Fin octobre 2023, alors que le réacteur 4 s’est arrêté en urgence à cause d’un problème de fonctionnement, les équipes d’EDF font un appoint d’eau et de bore dans le circuit primaire, le principal circuit de refroidissement [1] . Le bore est un des deux moyens qu’à EDF pour contrôler la puissance de son réacteur [2] . Cette substance absorbe les neutrons. Elle permet donc en étant plus ou moins concentrée de moduler la réaction nucléaire [3] . Cette substance a aussi la particularité de cristalliser lorsqu’elle est trop concentrée [4] . Elle doit donc être ajoutée dans un circuit où l’eau circule, afin d’être brassée avec le volume total. Et surtout pas stagner, hyper-concentrée à un endroit. Sans quoi, les cristaux qui se forment peuvent non seulement endommager les tuyaux mais aussi les boucher.
Les règles qui régissent le fonctionnement de la centrale nucléaire précisent d’ailleurs bien que lors d’un appoint en bore dans le circuit primaire, au moins une de ses pompes doit être en marche. Méconnaisse des règles ? Méconnaissances des propriétés du bore ? Absence de réflexion ? EDF a fait son appoint de bore dans un circuit qui état totalement immobile (car le réacteur, arrêté en urgence, était refroidit par un autre circuit). Impossible que le bore se mélange à toute l’eau contenue dans le circuit puisque celle-ci ne circulait pas. D’une part, le bore n’aurait pas pu jouer son rôle de modulateur de réaction nucléaire, d’autre part la formation de cristaux aurait pu causer d’importants dégâts matériels sur le circuit primaire.
On ne sait pas combien de temps EDF a mis à se rendre compte de son erreur. On ne sait pas non plus comment une telle erreur a pu être commise. On ne sait pas non plus ce qui a été mis en œuvre pour brasser le bore, si des cristaux se sont formés, ni quelles ont été les conséquences en terme de maîtrise de la puissance du réacteur. Autant d’éléments absents du communiqué de l’exploitant.
On sait toutefois que les faits démontrent un grave manque de compétences, de connaissances et de capacités de réflexion dans une situation qui n’a pourtant rien d’exceptionnelle. Pour avoir injecté du bore dans un circuit à l’arrêt, EDF a déclaré aux autorités un incident significatif [5]
pour la sûreté [6]
. Et le présente au public comme s’agissant uniquement du "non-respect d’une spécification technique". Un niveau d’analyse à l’image de sa manière de gérer son réacteur : tout en superficialité et sans profondeur.
L.B.
Déclaration d’un événement significatif de sûreté de niveau 1 relatif au non-respect d’une spécification technique d’exploitation
Publié le 12/11/2023
Le 31 octobre 2023, l’unité de production n°4 est à l’arrêt, à la suite du déclenchement automatique des mécanismes de protection de la turbine survenu le 27 octobre. Dans cet état d’exploitation du réacteur, les trois pompes du circuit primaire ne sont pas en service.
Dans le cadre de la gestion du conditionnement et du volume d’eau du circuit primaire de cette unité, plusieurs appoints en eau borée* sont réalisés. Or, les spécifications techniques d’exploitation** exigent que tout appoint en eau dans cet état d’exploitation du réacteur soit réalisé avec au moins une pompe du circuit primaire en service.
Cet événement n’a eu aucune conséquence réelle sur la sûreté des installations. Toutefois, le non-respect des spécifications techniques d’exploitation a conduit la centrale nucléaire du Blayais à déclarer à l’Autorité de sûreté nucléaire, le 10 novembre 2023, un événement significatif de niveau 1 sur l’échelle INES***, qui en compte 7.
* Le bore est un produit chimique ayant la propriété d’absorber les neutrons produits par la réaction nucléaire. Mélangé à l’eau du circuit primaire principal, il participe ainsi au contrôle de la puissance du réacteur et, le cas échéant, à son arrêt.
** Les spécifications techniques d’exploitation (STE) sont un recueil de règles d’exploitation approuvées par l’Autorité de sûreté nucléaire, qui définissent le domaine autorisé de fonctionnement d’une centrale nucléaire et les prescriptions de conduite du réacteur associées. Elles prescrivent également les délais maximums de réparations en cas de dysfonctionnement de certains matériels.
***International Nuclear Event Scale
Non-respect d’une prescription permanente des règles générales d’exploitation
Publié le 23/11/2023
Centrale nucléaire du Blayais Réacteurs de 900 MWe - EDF
Le 10 novembre 2023, l’exploitant de la centrale nucléaire du Blayais a déclaré à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) un événement significatif pour la sûreté relatif au non-respect des règles générales d’exploitation (RGE) concernant la réalisation d’appoints en eau borée au circuit primaire du réacteur 4 sans pompes primaires en service.
Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, permet de modérer, par sa capacité à absorber les neutrons, la réaction en chaîne. L’exploitant réalise régulièrement des appoints en eau borée au circuit primaire afin de maintenir l’inventaire en eau.
Le 31 octobre 2023, le réacteur 4 était à l’arrêt, à la suite du déclenchement automatique des mécanismes de protection de la turbine survenu le 27 octobre. Les pompes primaires étaient à l’arrêt et le circuit primaire était refroidi par le circuit de refroidissement à l’arrêt.
L’exploitant a procédé durant l’après-midi du 31 octobre 2023 à des appoints en eau borée au circuit primaire sans pompe primaire en fonctionnement. En application des RGE, ces appoints doivent être réalisés avec au moins une pompe primaire en fonctionnement afin d’homogénéiser la concentration en bore dans le circuit primaire et d’éviter le risque de dilution. Toutefois, l’exploitant disposait d’un dispositif automatique anti-dilution opérationnel. Ce dispositif empêche des appoints d’eau à une concentration en bore trop faible.
Cet événement n’a pas eu de conséquence sur l’installation, les personnes et l’environnement. Néanmoins, en raison du non-respect d’une prescription permanente des RGE, cet événement a été classé au niveau 1 de l’échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, graduée de 0 à 7 par ordre croissant de gravité).
[1] Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire
[2] Le bore, présent dans l’eau du circuit primaire sous forme d’acide borique dissous, permet de modérer, par sa capacité à absorber les neutrons, la réaction en chaîne. La concentration en bore est ajustée pendant le cycle en fonction de l’épuisement progressif du combustible en matériau fissile. https://www.asn.fr/lexique/b/Bore
[3] Réaction nucléaire : Processus entraînant la modification de la structure d’un ou de plusieurs noyaux d’atome. La transmutation peut être soit spontanée, c’est-à-dire sans intervention extérieure au noyau, soit provoquée par la collision d’autres noyaux ou de particules libres. La réaction nucléaire de certains atomes s’accompagne d’un dégagement de chaleur. Il y a fission lorsque, sous l’impact d’un neutron isolé, un noyau lourd se divise en deux parties sensiblement égales en libérant des neutrons dans l’espace. Il y a fusion lorsque deux noyaux légers s’unissent pour former un noyau plus lourd. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-nucleaire - Réaction en chaîne : Suite de fissions nucléaires au cours desquelles les neutrons libérés provoquent de nouvelles fissions, à leur tour génératrices de neutrons expulsés vers des noyaux cibles, etc. https://www.asn.fr/lexique/R/Reaction-en-chaine
[4] La concentration du bore contenu dans le fluide primaire doit être comprise entre deux valeurs limite (2000 et 2575 ppm) 1. L’excès de bore peut provoquer la cristallisation de l’acide borique dans le circuit primaire. Source : ASN, https://www.asn.fr/l-asn-controle/actualites-du-controle/installations-nucleaires/avis-d-incident-des-installations-nucleaires/depassement-de-la-valeur-maximale-de-concentration-en-bore-du-fluide-primaire
[5] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements
[6] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire