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Des accidents nucléaires partout

France : Belleville : Trop de gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère




5 août 2020


Le 28 juillet 2020, la centrale nucléaire de Belleville (Centre Val-de-Loire) a déclaré un évènement significatif pour l’environnement. Et non des moindres puisqu’il s’agit du rejet dans l’atmosphère de gaz à effet de serre au pouvoir réchauffant bien plus puissant que le CO².


En effet, les fluides frigorigènes (utilisés pour les climatisations et pour refroidir les équipements) sont composés de molécules carbonées, le plus souvent fluorées, qui participent énormément au réchauffement climatique. Ces liquides, lorsqu’ils sont au contact de l’air à pression normale, se transforment en gaz à effet de serre extrêmement puissants : de 1 000 à 13 000 fois plus que le CO² en pouvoir réchauffant [1] (le CO² est lui dans la catégorie des gaz à "bas effet de serre"). Or, dans les centrales nucléaires, ces fluides frigorigènes sont très utilisés pour éviter les surchauffes des matériels. Et les fuites sont fréquentes. Elles sont réglementées, c’est-à-dire que la centrale a le droit de laisser fuiter une certaine quantité par an. Un droit permanent de pollution.

Cent kilos d’émissions de fluides frigorigènes par an, c’est l’autorisation accordée à la centrale de Belleville. Soit, selon le type de fluide utilisé, l’équivalent de 100 000 à 1 300 000 kg de CO² rejetés chaque année dans l’atmosphère. À titre de comparaison, un trajet Paris-Bruxelles (312 km) en train émet environ 2.6 kg de CO². En voiture, 40 kg de CO².

Cette quantité autorisée de fuites de fluides frigorigènes, déjà très importante, a été dépassée pour l’année 2020 par la centrale de Belleville en seulement quelques mois. D’après l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le dépassement du maximum autorisé constaté fin juillet est dû à trois fuites sur des groupes froids. Ces émissions de fluides frigorigènes – et donc de puissants gaz à effet de serre – sont la conséquence directe des technologies utilisées : de par leur conception, dès qu’une intervention est nécessaire sur un groupe froid, il y a émission de fluide frigorigène. Les fuites sont donc inhérentes à leur fonctionnement. Ce à quoi viennent s’ajouter les fuites dues au vieillissement, les groupes froids perdant de leur étanchéité au fil du temps. Le phénomène est bien connu d’EDF, et pourtant... Fin juillet 2020, le cumul des émissions de la centrale nucléaire de Belleville dépasse déjà le maximum autorisé pour l’année. Un peu plus de quatre kilogrammes d’émissions de fluides frigorigènes en trop selon EDF, sept selon l’Autorité de sûreté nucléaire. Un chiffre qui peut paraître dérisoire à première vue. Mais beaucoup moins quand on convertit en équivalent CO².

En prenant la valeur la plus basse, celle donnée par EDF, cent quatre kilos de fluides frigorigènes perdus dans l’atmosphère représentent entre 104 000 et 1 352 000 kg de CO² émis en un an, rien que pour les fuites de fluides frigorigènes (d’autres gaz sont également utilisés dans les centrales nucléaires comme isolants et sont encore plus puissants en pouvoir réchauffant. À titre d’exemple, le SF6, dont les fuites ne faisaient même pas l’objet de déclarations d’évènement significatif pour l’environnement jusqu’à 2018, est 23 000 fois plus puissant que le CO²), et rien que pour la centrale de Belleville-sur-Loire. À multiplier par 18, le nombre de centrales nucléaires en fonctionnement en France.

Comme il n’y a pas d’impact radiologique de ces fuites de liquides frigorigènes, l’évènement, malgré son caractère très fortement significatif pour l’environnement, ne sera pas classé sur l’échelle INES [2], l’échelle utilisée par les exploitants et les autorités pour donner un niveau de gravité des incidents dans les installations nucléaires. EDF ne fera aucune communication au grand public quant au dépassement du cumul annuel des fuites autorisées de fluides frigorigènes. Seules la Commission locale d’information et les autorités ont été informées par l’exploitant. Ayant eu vent de la déclaration, le Réseau “Sortir du nucléaire“ a demandé plus d’informations à l’exploitant qui a confirmé les faits, de même que l’ASN.

En France, des centaines de kilos de fluides frigorigènes fuitent chaque année des centrales nucléaires d’EDF, rejetant des quantités astronomiques de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Avec l’aval des institutions. Et sans que ces fuites et ces émissions - qui font pleinement partie du fonctionnement normal des centrales nucléaires - n’aient une place sur l’échelle de gravité des incidents dans les usines d’EDF. Qui a dit que les centrales nucléaires n’émettent pas de gaz à effet de serre [3] ? Comme le prouve la centrale nucléaire de Belleville, la contribution de l’industrie atomique au réchauffement climatique est pourtant loin, très loin d’être anecdotique. Sans oublier évidemment les déchets dangereux pour des centaines d’années aussi produits par cette industrie. Ce nouvel évènement significatif pour l’environnement déclaré le 28 juillet 2020 par EDF démontre clairement que l’industrie nucléaire n’est bonne ni pour le climat, ni pour la planète et ses habitants.

L.B.

Ce que dit EDF :

(échange de courriels, suite à demande d’information)

Le 04/08/2020

Réponse à votre demande d’information concernant l’ESE du 28/07/2020

La centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire a déclaré le 28 juillet dernier à l’Autorité de sûreté nucléaire un ESE (événement significatif environnement) en raison du cumul annuel d’émissions de fluide frigorigène supérieur à 100kg(104,74kg précisément).

Cette déclaration a été communiquée le jour même à la Commission locale d’information.

Conformément aux critères de déclaration précisés dans le Guide de l’ASN du 21 octobre 2005, la Direction de la centrale a déclaré cet événement sans le classer sur l’échelle INES (seuls les ESE présentant un caractère radiologique sont classés sur l‘échelle INES).

En complément, nous rappelons que les fluides frigorigènes sont utilisés dans les systèmes de production de froid. Dans une installation nucléaire, ils permettent le refroidissement et la climatisation de différents matériels. Les opérations de maintenance réalisées régulièrement sur ces systèmes permettent de contrôler les fluides frigorigènes et d’en détecter les émissions.


Ce que dit l’ASN :

Le 05/08/2020

Demande d’information ESE 28/07/2020

(échange de courriels suite à demande d’information)

Le guide de déclaration des événements significatifs impose aux exploitants de déclarer un événement significatif à l’ASN lorsque le cumul des émissions de fluides frigorigènes dépasse 100 kg sur une année. En 2020, le CNPE de Belleville a connu trois émissions sur des groupes froid, dont le cumul atteint 107 kg et dépasse 100 kg, d’où la déclaration de l’événement significatif à l’ASN.

Les fluides frigorigènes sont utilisés dans les systèmes de production de froid. Ces groupes froids permettent de refroidir et de climatiser certains équipements et locaux d’une installation nucléaire. Les émissions de fluides frigorigènes sont principalement dues à des causes technologiques. Au cours de leur exploitation, ces groupes froids peuvent présenter des dysfonctionnement, qui nécessitent d’intervenir dessus (par ex. remplacer la charge d’huile). De conception, ces interventions induisent nécessairement des émissions de fluides frigorigènes. Le phénomène est connu et suivi par EDF. D’autres groupes froids sont, pour leur part, vieillissants et perdent en étanchéité au fur et à mesure. C’est la raison pour laquelle EDF a prévu un certain nombre de maintenance et de remplacement de groupes froids sur la visite décennale actuellement en cours sur le réacteur 1 du CNPE de Belleville.

Ce type d’événement n’est pas classé sur l’échelle INES, car il ne met pas en jeu de substances radioactives (en termes de conséquences réelles ou potentielles).


[1* une fuite d’un kilogramme de réfrigérant de synthèse dans l’atmosphère produit un effet de serre équivalent à celui généré par l’émission de 1 000 à plus de 13000 kg de CO2

- Un kilogramme de R134a rejeté dans l’atmosphère produit un effet de serre équivalent à celui généré par l’émission de 1 300 kg de CO2.

- Un kilogramme de R404A rejeté dans l’atmosphère produit un effet de serre équivalent à celui généré par l’émission de 3 943 kg de CO2.

- Un kilogramme de R23 rejeté dans l’atmosphère produit un effet de serre équivalent à celui généré par l’émission de 12 400 kg de CO2.

- Un kilogramme de R508B rejeté dans l’atmosphère produit un effet de serre équivalent à celui généré par l’émission de 12 300 kg de CO2.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fluide_frigorig%C3%A8ne

[2INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici - https://www.asn.fr/Lexique/I/INES

[3EDF et Orano ont lancé plusieurs campagnes publicitaires mettant en avant une production d’électricité décarbonée grâce aux centrales nucléaires, envoyant comme message sous-jacent l’affirmation que l’industrie nucléaire permet de lutter contre le réchauffement climatique. Le Réseau Sortir du nucléaire a saisi plusieurs fois le Jury de déontologie publicitaire qui a donné raison à l’association, jugeant les arguments publicitaires des exploitants nucléaires fallacieux et trompeurs. Voir par exemple https://www.sortirdunucleaire.org/EDF-greenwashing-virtuel pour EDF et https://www.sortirdunucleaire.org/Orano-plainte-JDP-carbone pour Orano


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