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Sortir du nucléaire n°74



Été 2017

Au cœur de l’action

Fin de la Vigie devant le siège de l’OMS à Genève

Le 26 avril 2017 signait la fin de la Vigie d’Hippocrate, manifestation quotidienne organisée par le collectif IndependentWHO – Santé et Nucléaire. Rassemblées une dernière fois devant le siège de l’OMS à Genève, les "sentinelles" ont été rejointes par des militants qui réclament que cesse l’opacité qui règne à l’OMS en matière de nucléaire et de prévention des risques liés aux rayonnements ionisants. Admiration, soutiens, nostalgie, remerciements... Cet ultime rassemblement est l’occasion de retracer le cheminement d’une aventure exceptionnelle débutée il y a dix ans.

Luttes et actions

La santé est notre bien le plus précieux. Pourtant, en matière de nucléaire, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a les mains liées à l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA). En 1959, les deux institutions onusiennes concluent un accord qui interdit à l’OMS de traiter des questions de radiations et de santé publique sans l’aval de l’AIEA. Autrement dit, l’organe chargé de garantir la santé publique ne peut pas conduire de recherches médicales indépendantes ni publier de conclusions sans le consentement de l’organe chargé de promouvoir les intérêts industriels de la filière nucléaire. Dans ces conditions, impossible de mettre en place un dispositif efficace pour assurer la prise en charge des individus en matière de radioprotection. Ainsi, l’OMS ne remplit pas sa mission de protection des victimes de contamination radioactive et sous-estime l’impact sanitaire des accidents nucléaires.

© SDN 38

Le statut de l’AIEA lui donne la responsabilité du contrôle de la bonne application de la sécurité et de la protection des personnes ainsi que du transfert des technologies nucléaires. Ainsi, le promoteur de l’expansion du nucléaire est aussi le juge des atteintes sanitaires de cette industrie ! Pas étonnant donc que les bilans officiels des catastrophes nucléaires de Tchernobyl et Fukushima soient aussi lénifiants.

Par cette action silencieuse, la vigie d’IndependentWHO n’a cessé de rappeler à l’OMS ses devoirs, tels qu’ils sont notamment inscrits dans sa constitution.
DR

Pour dénoncer cette situation, des associations, des chercheurs, des militants et des médecins de la société civile créent en 2007 le mouvement IndependentWHO. Ce collectif au nom très explicite réclame l’indépendance de l’OMS (WHO en anglais) vis-à-vis de toute forme de pression politique ou de lobbying industriel et particulièrement nucléaire. Depuis le 26 avril 2007 et l’anniversaire des 31 ans de la catastrophe de Tchernobyl, des vigies qui, comme à bord d’un navire, surveillent, avertissent et signalent, se postent en station debout, devant le siège de l’OMS, à Genève. Tous les jours ouvrables, de 8h à 18h, par tous les temps. Munis de pancartes aux slogans percutants ("Tchernobyl : où est la vérité ? 50 morts ou 985 000 morts ? Exigeons une investigation indépendante et une OMS indépendante" ; "WHO must honour the terms of its constitution [1]" ou encore : "You will not be able to say that you did not know [2]") et d’une bonne dose d’abnégation, les participants de la Vigie d’Hippocrate se relayèrent pendant dix années durant pour interpeller l’organisation onusienne sur ses statuts et mettre les acteurs de l’OMS face à leurs responsabilités.

Par cette action silencieuse, la vigie d’IndependentWHO n’a cessé de rappeler à l’OMS ses devoirs, tels qu’ils sont notamment inscrits dans sa constitution. La détermination des vigies aura permis de sensibiliser l’opinion sur les conséquences sanitaires réelles des essais nucléaires militaires et des catastrophes civiles de Tchernobyl et Fukushima. En même temps, cette présence quotidienne a permis de donner plus de visibilité médiatique et politique à la lutte antinucléaire. Là où des associations comme Greenpeace privilégient les actions spectaculaires, les happenings et les coups d’éclat, les vigies d’IndependentWHO ont opté pour une stratégie différente : par une présence symbolique étalée dans le temps, la vigie aborde l’activisme sous un angle novateur. Présence quotidienne et actions ponctuelles deviennent alors complémentaires et renforcent l’écho des luttes.

Ce travail assidu aura finalement porté ses fruits : la vigie d’IndependentWHO sera parvenue à mettre en lumière les mensonges de l’OMS, notamment le fait qu’elle dissimule l’impact sanitaire réel des accidents de Tchernobyl et de Fukushima. Habillées de combinaisons blanches et munies de photographies de liquidateurs, les vigies ont inauguré une stèle en marbre à la mémoire des victimes de l’atome. En ce jour si particulier, c’est encore Paul Roullaud, l’initiateur de la vigie, qui résuma le mieux ces dix années de lutte tranquille mais déterminée : "On a considéré que 10 ans, c’était suffisant pour faire comprendre aux employés de l’OMS et à la direction qu’il y avait un problème de comportement de cette institution à propos des victimes de la radioactivité" [3].

Un rassemblement plus important que d’habitude a donc clos ce 26 avril 2017 à Genève cette action de long terme. Durant près de 6h, en combinaisons blanches et portant des portraits de liquidateurs décédés de Tchernobyl ou de grandes pancartes "vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas", a participé une centaine de militants, suisses et français pour la plupart.

Devant la façade muette de cette institution défaillante, une stèle de marbre a été inaugurée au pied de chênes centenaires : elle rappellera à l’OMS, restée de marbre face à cette longue et patiente interrogation, la mémoire des victimes passées, présentes et futures du nucléaire.

© Maison de Vigilance

Les discours des organisateurs d’IndependentWHO et de leurs différents partenaires (Ville de Genève, Contratom, CRIIRAD, Réseau SDN...) ont oscillé entre nostalgie de la fraternelle communauté constituée ici année après année, rage de devoir continuer le combat sous d’autres formes et espoir de vérifier que le colosse aux pieds d’argile qu’est le nucléaire se fissure de toutes parts.

Hommage à Chaim Nissim, ardent militant antinucléaire genevois, décédé quelques jours avant le rassemblement.
© SDN 38

La journée anniversaire des 31 ans de la catastrophe de Tchernobyl avait débuté par un rassemblement devant le Consulat de France pour exiger la fermeture de la vieille centrale du Bugey proche de 70 km de Genève. Un hommage y a été rendu à Chaim Nissim, décédé quelques jours auparavant : ardent militant antinucléaire genevois et transfrontalier, notamment contre SuperPhénix.

Une autre manifestation place des Nations, à l’initiative de Contratom, a conclu la journée. Sous les drapeaux de tous les pays du monde et face au bâtiment de l’ancienne Société des Nations, on se rappelait que la radioactivité n’a pas de frontières !

Julien Baldassarra

Vigie devant le ministère de la Défense à Paris.
© Maison de Vigilance

La vigie, un moyen d’action répandu chez les antinucléaires

La vigie est un moyen d’action qui vise à être présent devant un lieu de pouvoir ou de décision, de manière visible et répétée, pour faire passer un message. Certains groupes l’ont mis en place au fil des années. Ainsi, une fois par mois, des militants pour l’abolition des armes nucléaires se retrouvent devant le ministère de la Défense pour dénoncer la bombe atomique, sa folie, son coût, ses essais, destructeurs de populations... Il y a douze ans, quand les militants ont commencé à se rendre devant le ministère, ils essuyaient toutes sortes de quolibets par certains fonctionnaires ou gradés qui passaient devant eux pour entrer dans le bâtiment. Aujourd’hui, l’ambiance a bien changé, leur combat n’est plus tourné en ridicule, et ils échangent régulièrement avec le personnel. Grâce à leur persévérance, l’opposition à l’arme nucléaire est visible.

La vigie, dans une autre de ses formes, peut aussi servir à mettre en place des actions. Par leur présence quotidienne devant certaines installations, des militants ont pu observer des dysfonctionnements, voire des choses illégales (comme par exemple l’entreposage de matière nucléaire sans autorisation, sur la plateforme de Void Vacon). Les infos recueillies ont permis des actions par la suite (communication, mobilisation, justice...). Enfin, des vigies sont aussi mises en place lors de passage de convois radioactifs, pour pouvoir récolter des infos sur ces dangereux transports et les rendre publiques.

Mélisande Seyzériat


Notes

[1"L’OMS doit honorer les termes de sa constitution"

[2"Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas"

[3Paul Roullaud, interviewé par Lémanbleu, le 26 avril 2017.

La santé est notre bien le plus précieux. Pourtant, en matière de nucléaire, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a les mains liées à l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA). En 1959, les deux institutions onusiennes concluent un accord qui interdit à l’OMS de traiter des questions de radiations et de santé publique sans l’aval de l’AIEA. Autrement dit, l’organe chargé de garantir la santé publique ne peut pas conduire de recherches médicales indépendantes ni publier de conclusions sans le consentement de l’organe chargé de promouvoir les intérêts industriels de la filière nucléaire. Dans ces conditions, impossible de mettre en place un dispositif efficace pour assurer la prise en charge des individus en matière de radioprotection. Ainsi, l’OMS ne remplit pas sa mission de protection des victimes de contamination radioactive et sous-estime l’impact sanitaire des accidents nucléaires.

© SDN 38

Le statut de l’AIEA lui donne la responsabilité du contrôle de la bonne application de la sécurité et de la protection des personnes ainsi que du transfert des technologies nucléaires. Ainsi, le promoteur de l’expansion du nucléaire est aussi le juge des atteintes sanitaires de cette industrie ! Pas étonnant donc que les bilans officiels des catastrophes nucléaires de Tchernobyl et Fukushima soient aussi lénifiants.

Par cette action silencieuse, la vigie d’IndependentWHO n’a cessé de rappeler à l’OMS ses devoirs, tels qu’ils sont notamment inscrits dans sa constitution.
DR

Pour dénoncer cette situation, des associations, des chercheurs, des militants et des médecins de la société civile créent en 2007 le mouvement IndependentWHO. Ce collectif au nom très explicite réclame l’indépendance de l’OMS (WHO en anglais) vis-à-vis de toute forme de pression politique ou de lobbying industriel et particulièrement nucléaire. Depuis le 26 avril 2007 et l’anniversaire des 31 ans de la catastrophe de Tchernobyl, des vigies qui, comme à bord d’un navire, surveillent, avertissent et signalent, se postent en station debout, devant le siège de l’OMS, à Genève. Tous les jours ouvrables, de 8h à 18h, par tous les temps. Munis de pancartes aux slogans percutants ("Tchernobyl : où est la vérité ? 50 morts ou 985 000 morts ? Exigeons une investigation indépendante et une OMS indépendante" ; "WHO must honour the terms of its constitution [1]" ou encore : "You will not be able to say that you did not know [2]") et d’une bonne dose d’abnégation, les participants de la Vigie d’Hippocrate se relayèrent pendant dix années durant pour interpeller l’organisation onusienne sur ses statuts et mettre les acteurs de l’OMS face à leurs responsabilités.

Par cette action silencieuse, la vigie d’IndependentWHO n’a cessé de rappeler à l’OMS ses devoirs, tels qu’ils sont notamment inscrits dans sa constitution. La détermination des vigies aura permis de sensibiliser l’opinion sur les conséquences sanitaires réelles des essais nucléaires militaires et des catastrophes civiles de Tchernobyl et Fukushima. En même temps, cette présence quotidienne a permis de donner plus de visibilité médiatique et politique à la lutte antinucléaire. Là où des associations comme Greenpeace privilégient les actions spectaculaires, les happenings et les coups d’éclat, les vigies d’IndependentWHO ont opté pour une stratégie différente : par une présence symbolique étalée dans le temps, la vigie aborde l’activisme sous un angle novateur. Présence quotidienne et actions ponctuelles deviennent alors complémentaires et renforcent l’écho des luttes.

Ce travail assidu aura finalement porté ses fruits : la vigie d’IndependentWHO sera parvenue à mettre en lumière les mensonges de l’OMS, notamment le fait qu’elle dissimule l’impact sanitaire réel des accidents de Tchernobyl et de Fukushima. Habillées de combinaisons blanches et munies de photographies de liquidateurs, les vigies ont inauguré une stèle en marbre à la mémoire des victimes de l’atome. En ce jour si particulier, c’est encore Paul Roullaud, l’initiateur de la vigie, qui résuma le mieux ces dix années de lutte tranquille mais déterminée : "On a considéré que 10 ans, c’était suffisant pour faire comprendre aux employés de l’OMS et à la direction qu’il y avait un problème de comportement de cette institution à propos des victimes de la radioactivité" [3].

Un rassemblement plus important que d’habitude a donc clos ce 26 avril 2017 à Genève cette action de long terme. Durant près de 6h, en combinaisons blanches et portant des portraits de liquidateurs décédés de Tchernobyl ou de grandes pancartes "vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas", a participé une centaine de militants, suisses et français pour la plupart.

Devant la façade muette de cette institution défaillante, une stèle de marbre a été inaugurée au pied de chênes centenaires : elle rappellera à l’OMS, restée de marbre face à cette longue et patiente interrogation, la mémoire des victimes passées, présentes et futures du nucléaire.

© Maison de Vigilance

Les discours des organisateurs d’IndependentWHO et de leurs différents partenaires (Ville de Genève, Contratom, CRIIRAD, Réseau SDN...) ont oscillé entre nostalgie de la fraternelle communauté constituée ici année après année, rage de devoir continuer le combat sous d’autres formes et espoir de vérifier que le colosse aux pieds d’argile qu’est le nucléaire se fissure de toutes parts.

Hommage à Chaim Nissim, ardent militant antinucléaire genevois, décédé quelques jours avant le rassemblement.
© SDN 38

La journée anniversaire des 31 ans de la catastrophe de Tchernobyl avait débuté par un rassemblement devant le Consulat de France pour exiger la fermeture de la vieille centrale du Bugey proche de 70 km de Genève. Un hommage y a été rendu à Chaim Nissim, décédé quelques jours auparavant : ardent militant antinucléaire genevois et transfrontalier, notamment contre SuperPhénix.

Une autre manifestation place des Nations, à l’initiative de Contratom, a conclu la journée. Sous les drapeaux de tous les pays du monde et face au bâtiment de l’ancienne Société des Nations, on se rappelait que la radioactivité n’a pas de frontières !

Julien Baldassarra

Vigie devant le ministère de la Défense à Paris.
© Maison de Vigilance

La vigie, un moyen d’action répandu chez les antinucléaires

La vigie est un moyen d’action qui vise à être présent devant un lieu de pouvoir ou de décision, de manière visible et répétée, pour faire passer un message. Certains groupes l’ont mis en place au fil des années. Ainsi, une fois par mois, des militants pour l’abolition des armes nucléaires se retrouvent devant le ministère de la Défense pour dénoncer la bombe atomique, sa folie, son coût, ses essais, destructeurs de populations... Il y a douze ans, quand les militants ont commencé à se rendre devant le ministère, ils essuyaient toutes sortes de quolibets par certains fonctionnaires ou gradés qui passaient devant eux pour entrer dans le bâtiment. Aujourd’hui, l’ambiance a bien changé, leur combat n’est plus tourné en ridicule, et ils échangent régulièrement avec le personnel. Grâce à leur persévérance, l’opposition à l’arme nucléaire est visible.

La vigie, dans une autre de ses formes, peut aussi servir à mettre en place des actions. Par leur présence quotidienne devant certaines installations, des militants ont pu observer des dysfonctionnements, voire des choses illégales (comme par exemple l’entreposage de matière nucléaire sans autorisation, sur la plateforme de Void Vacon). Les infos recueillies ont permis des actions par la suite (communication, mobilisation, justice...). Enfin, des vigies sont aussi mises en place lors de passage de convois radioactifs, pour pouvoir récolter des infos sur ces dangereux transports et les rendre publiques.

Mélisande Seyzériat



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