Fessenheim : chronique d’une non-fermeture
Fermer Fessenheim, telle était la promesse du candidat Hollande en 2012. Cinq ans après, sa concrétisation se fait toujours attendre : le décret fumeux signé par Ségolène Royal ne garantit absolument pas l’arrêt prochain de la doyenne des centrales françaises. Un renoncement à l’image de la politique énergétique des cinq années écoulées…
Une promesse embarrassante
En 2012, François Hollande avait déclaré : "Je veux fermer Fessenheim pour deux raisons. C’est la plus ancienne centrale, prévue pour 30 ans et elle aura 40 ans d’âge en 2017. Et elle est située près d’une zone sismique". À ce constat, on aurait également pu ajouter d’autres risques repérés depuis longtemps : risque d’inondation par le Canal d’Alsace situé 8,50 mètres au-dessus, un radier (fondation en béton sous la centrale) qui pouvait être rapidement transpercé en cas d’accident, des enceintes de confinement peu étanches et des piscines de stockage de combustible nucléaire non bunkérisées, vulnérables à un crash d’avion…
Mais une fois François Hollande élu, cette lucidité apparente a cédé la place à l’inaction ou à l’aveuglement de ses ministres de l’Environnement successifs. Il aurait été possible de modifier la législation pour que l’État retrouve ses prérogatives dans le domaine de l’énergie et puisse ordonner la fermeture d’installations nucléaires. Au lieu de cela, Ségolène Royal a choisi la voie du contournement. Dans la "Loi de transition énergétique pour une croissance verte", a été instauré un plafonnement de la puissance nucléaire installée à 63,2GW, ce qui correspond au parc actuel. L’idée était simple : pour ne pas dépasser ce plafond, Fessenheim devrait fermer plusieurs mois avant la mise en service de l’EPR de Flamanville, alors prévue pour 2016…
Après quelques atermoiements, laissant entendre qu’une autre centrale pourrait tout aussi bien fermer à la place de Fessenheim, la Ministre s’est enfin résolue à inscrire le principe de sa fermeture dans la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie et y a conditionné le démarrage de l’EPR. La balle était désormais dans le camp d’EDF !
Échange vieille casserole contre réacteur défectueux…
Mais entre-temps, la mise en service prévue de l’EPR de Flamanville avait pris du retard, permettant à EDF d’impulser un renversement complet de la logique de la Loi de transition énergétique. Par un tour de passe-passe invraisemblable, l’ouverture (de plus en plus hypothétique) du réacteur EPR, l’absence de date limite pour l’arrêt de Fessenheim, est devenue la condition sine qua non pour que la doyenne des centrales soit un jour fermée ! Le "plafond" de la puissance nucléaire installée s’est ainsi subtilement transformé en "plancher". Oubliée, la réduction de la part du nucléaire promise par François Hollande : tant que le réacteur catastrophique de Flamanville ne serait pas achevé, la vieille centrale grabataire devait continuer à fonctionner !
L’État accepte le chantage d’EDF
Non content d’accepter ce renversement avec complaisance, le gouvernement a même laissé EDF, dont l’État est pourtant actionnaire à 83 %, dicter ses conditions pour cette fermeture. Le 24 janvier 2017, le Conseil d’Administration de l’entreprise, composé de six représentants de l’État, six représentants des salariés et six administrateurs indépendants, devait se prononcer sur la première étape de sa validation. EDF a alors imposé de pouvoir jouer la partie sans les représentants de l’État, les disqualifiant au prétexte d’un hypothétique "conflit d’intérêt".
Contre toute logique, Ségolène Royal a benoîtement acquiescé et accepté que les représentants de l’État s’abstiennent ! Au final, suite au vote prépondérant du président d’EDF Jean-Bernard Lévy, le résultat surréaliste aboutit à ce que le principe de fermer Fessenheim soit retenu, mais à trois conditions :
▸ Que les travaux sur un autre réacteur gravement endommagé, Paluel 2, puissent se poursuivre, contrairement aux dispositions qui auraient dû entraîner son arrêt définitif.
▸ Que le chantier de l’EPR, dont l’autorisation allait prendre fin le 10 avril 2017, soit autorisé par la Ministre à durer 3 années de plus.
▸ Qu’une indemnisation (estimée à ce jour à 490 millions d’euros !) soit versée par l’État à EDF... alors même que Fessenheim est non seulement grabataire, mais aussi déficitaire !
Lors de la 2è mi-temps, jouée le 6 avril 2017, le CA d’EDF a opéré un véritable tour de magie, imposant encore d’autres conditions. Non seulement la centrale de Fessenheim ne pourrait fermer que lorsque l’EPR de Flamanville serait prêt à démarrer, ce qui revient à dire que, si l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) venait à refuser le démarrage du réacteur normand, les deux réacteurs alsaciens continueraient d’être maintenus sous acharnement thérapeutique. Mais surtout, cette fermeture ne serait obligatoire que si elle était encore nécessaire pour respecter le plafond de 63,2 GW. Ainsi, pour peu qu’une autre installation soit fermée ailleurs... Fessenheim resterait sous perfusion
Ségolène Royal a alors publié un décret d’abrogation ne contenant aucune date, que l’on peut résumer par cet avis de décès conditionnel : Fessenheim sera inhumée... lorsqu’elle sera morte ! Une non-décision absurde au regard de l’état réel de la centrale... Le réacteur n°1, de plus en plus souvent en panne et équipé de générateurs de vapeur qui inquiètent l’ASN, doit être piloté avec des précautions supplémentaires pour éviter que des variations trop rapides de température n’entraînent un accident majeur. Quant au réacteur n°2, il est hors-service depuis plus d’un an, l’ASN interdisant son redémarrage en raison d’un générateur de vapeur suspect.
Réduction de la part du nucléaire : après moi le déluge…
Cette série de renoncements illustre la manière dont le gouvernement, pendant 5 ans, a laissé la politique énergétique aux mains d’EDF. Certes, un objectif de réduction de la part du nucléaire a été inscrit dans la Loi ; mais aucun scénario n’a été proposé pour assurer sa concrétisation. La "Programmation Pluriannuelle de l’Énergie" (PPE) censée traduire la loi n’envisage, d’ici à 2018, qu’une fermeture de Fessenheim de plus en plus hypothétique. Quant à la période de 2018 à 2023, la réduction de la part du nucléaire y est laissée au gré d’éventuelles décisions de l’Autorité de sûreté nucléaire (qui, subissant la pression d’EDF, n’est encore jamais parvenue à imposer l’arrêt définitif d’une centrale). Pire, il est envisagé que la production nucléaire pourrait éventuellement baisser… car certains réacteurs se retrouveraient momentanément à l’arrêt pour travaux, en prévision de leur prolongation ! On a vu mieux comme "programmation"…
Cerise sur le gâteau, EDF, qui devait proposer un plan stratégique pour concrétiser les objectifs de la PPE, a renvoyé un document qui ne présentait aucun moyen ou mesure pour préparer d’éventuelles fermetures de centrales. Dans un éclair de lucidité, avant son départ, Ségolène Royal a demandé à EDF de revoir sa copie.
Pendant ce temps, le parc nucléaire vieillit, plus des deux tiers des réacteurs ayant dépassé les 30 ans de fonctionnement, et des mesures fortes s’imposent. La planification énergétique ne se décide pas au doigt mouillé ! Désormais, Nicolas Hulot va-t-il se mettre à l’écoute des associations en lutte pour mesurer les risques réels que Fessenheim fait peser sur les populations et prendre enfin les décisions qui s’imposent pour sa fermeture immédiate ?
André Hatz et Charlotte Mijeon
Quelles perspectives pour les travailleurs de Fessenheim ?
Les 756 salariés EDF ne se retrouveraient pas au chômage avec l’arrêt de la centrale : ils bénéficient d’un statut protecteur qui leur accorde une garantie d’emploi quel que soit le sort du site. Quant aux prestataires extérieurs, plusieurs centaines d’entre eux naviguent déjà entre plusieurs installations nucléaires. De plus, la préparation du démantèlement de la centrale exigera encore, et pour de longues années, l’intervention de travailleurs qualifiés. L’expérience des anciens travailleurs, salariés d’EDF ou sous-traitants, sera nécessaire. Dans tous les cas, cette centrale à bout de souffle ne pourra fonctionner des années. Plutôt que de s’arc-bouter, la responsabilité d’EDF devrait être d’en prendre acte et d’anticiper la reconversion des travailleurs.